Concernant les événements de foi, les JMJ de Lisbonne ont été beaucoup citées avec une dimension émotionnelle assez présente | © Raphaël Zbinden
Suisse

Isabelle Jonveaux: «Les jeunes catholiques exigent plus de l’Église»

Concernant l’enseignement et la liturgie, les jeunes catholiques deviennent plus exigeants vis-à-vis de l’Église et n’hésitent pas à remettre en cause l’institution. Tel est l’un des constats d’une enquête menée par la sociologue des religions Isabelle Jonveaux auprès des jeunes de 16 à 30 ans en Suisse romande, que l’Institut suisse de sociologie pastorale (SPI) publie le 2 juin 2025.

Isabelle Jonveaux a diffusé un questionnaire en Suisse romande auquel elle a reçu 500 réponses exploitables. La plupart des jeunes qui ont répondu sont proches de l’Église catholique. Elle a également mené des entretiens qualitatifs avec certains jeunes. La sociologue a complété ses recherches en étudiant les questions posées sur ciao.ch (Centre d’Information jeunesse Assisté par Ordinateur – une plateforme destinée aux jeunes Romands de 11 à 20 ans) par des jeunes. Le panel s’étend de ceux qui pratiquent régulièrement aux jeunes ayant un rapport ponctuel à l’Église.

Isabelle Jonveaux a noté que la pratique religieuse est plus grande en ville qu’à la campagne | © B. Hallet

Elle observe que les jeunes sont devenus exigeants vis-à-vis de l’Église en termes d’enseignement de la foi et de liturgie et n’hésitent plus à critiquer ouvertement l’institution lorsqu’ils estiment qu’elle ne tient pas suffisamment compte de leurs demandes. Le fait marquant de cette étude: en Romandie, les jeunes hommes sont maintenant plus nombreux que les jeunes femmes à la messe alors que ces dernière se disent plus croyantes. «Une première depuis qu’on effectue des relevés», indique-t-elle.

Selon les témoignages que vous avez recueillis, dans le domaine de la recherche spirituelle, l’institution est relayée au second plan par les jeunes, et même ne définit plus la norme. Cela correspond-il à une tendance des jeunes à une recherche de foi «à la carte»?
Isabelle Jonveaux: L’institution connaît depuis une trentaine d’années une perte de crédibilité. Ce n’est pas nouveau. Par rapport à une initiation vécue en Église, les jeunes valorisent plus un chemin de foi personnel qu’ils considèrent comme authentique. Ils n’attendent pas que l’institution définisse la religion lorsqu’elle ne correspond pas à leur cheminement.

Comment se manifeste cette recherche spirituelle chez les jeunes?
J’ai été étonnée de constater chez des jeunes peu ou pas socialisés dans une religion leur préoccupation de ce que Dieu pense de leur comportement. Que ce soit dans le domaine de la sexualité ou de la spiritualité. J’ai même noté chez certains la peur de se retrouver damnés. Certains jeunes se rapprochent de la religion lorsqu’ils traversent une phase difficile comme la maladie ou le deuil. En cas de période difficile, plus le jeune affirme avoir une relation avec Dieu ou un être supérieur, plus le recours à la prière ou la méditation va jouer un rôle important contre l’anxiété. C’est même une ressource qui vient d’emblée.

«J’ai été étonnée de constater chez des jeunes peu ou pas socialisés dans une religion leur préoccupation de ce que Dieu pense de leur comportement.»

Concernant les lieux d’expérience spirituelle, qu’avez-vous constaté à travers les réponses obtenues?
La plupart des expériences spirituelles que les jeunes rapportent se déroulent en grande partie en dehors de leur vie quotidienne et de leur cadre géographique habituel, lors de pèlerinages et de voyages hors de la Suisse. Ils évoquent aussi les grands rassemblements. L’enquête s’est déroulée après les JMJ de Lisbonne. L’événement est donc beaucoup cité avec une dimension émotionnelle assez présente. L’expérience spirituelle est de l’ordre du «tout autre», ce qu’on trouve déjà au 20e siècle dans la phénoménologie des religions «Das ganz andere».

Ils ont évoqué des lieux plus traditionnels de pèlerinages tels que Lourdes.
Lourdes notamment, mais aussi Medjugorje, Rome ou Jérusalem. Des lieux assimilés à des hauts lieux de foi. Taizé est également cité. Selon les profils, les jeunes qui parlent de ces lieux ne sont pas très croyants dans leur vie quotidienne, mais ils font une expérience forte dans ces occasions. Cet aspect spirituel concerne toutes les catégories de jeunes. En parallèle de ces déplacements spécifiques, la messe reste une activité très pratiquée. Ces pèlerinages n’ont pas remplacé la messe.

Quelle dimension apparaît la plus importante dans la pratique religieuse des jeunes?
Pour certains, l’expérience spirituelle doit être vécue en commun, que ce soit la messe ou les pèlerinages et les grands événements de foi. Un autre aspect m’a beaucoup surprise dans les réponses sur ce chapitre: les récits d’expériences surnaturelles avec des récits d’interventions divines, que l’on pourrait qualifier de mystiques, ou des récits de rêves à la signification religieuse. Cela va au-delà de la prière ou de la lecture, certains jeunes parlent d’expériences vécues et ce qui renvoie aussi au renouveau charismatique.

Une tendance émerge: le lien à la communauté paroissiale est devenu ponctuel.
De manière étonnante, lorsque les jeunes de l’enquête pensent ‘communauté’, ils pensent d’abord paroisse. Ils ont donc des attentes par rapport à cela et sont souvent déçus parce que la paroisse ne leur propose pas ce qu’ils souhaiteraient y trouver. Il ne faut cependant pas en faire une généralité. Certains ont un lien ponctuel à la communauté dans leur pratique. Toutefois, de temps en temps, ils ont besoin de savoir qu’ils ne sont pas seuls et viennent rechercher une impulsion pour leur foi. Concernant les jeunes engagés en Église, leur pratique se manifeste par l’appartenance à un groupe dans l’institution. Ils ont besoin d’être présents dans la communauté car elle définit leur appartenance. Ils ne vivent pas leur foi seuls vis-à-vis de Dieu, l’Église est là aussi dans leur vie.

«Certains jeunes ont un lien ponctuel à la communauté dans leur pratique.»

Vous dites que certains jeunes attendent des propositions et un service de l’Église.
Les jeunes ont un certain niveau d’exigence de qualité par rapport à ce qu’on leur propose et qu’ils savent très bien formuler: qu’on leur propose des activités en paroisse, qu’on leur explique la messe, la théologie et que les prêtres prennent en compte leurs demandes. La plupart expriment clairement ces attentes et exigent un niveau de qualité esthétique dans la liturgique ou sur le fonds. Sachant que des jeunes passent par des situations complexes telles que le divorce des parents, ils ont des vraies questions et ils attendent que l’Église soit cohérente avec ce qu’elle annonce et avec ce qu’ils trouvent dans la Bible et que l’Église ne vit pas forcément.

L’institution est remise en question.
Ils interpellent facilement les prêtres au sujet de ce qu’ils lisent dans la Bible. Ces jeunes catholiques remettent en question plus frontalement l’institution. Ils ont conscience qu’ils sont une minorité et attendent que l’Église leur soit reconnaissante de leur présence parce qu’ils font l’effort d’être là en argumentant qu’ils peuvent faire autre chose. Un jeune me disait: «Ce n’est pas facile en tant que jeune d’aller à la messe plutôt qu’au foot». Lorsqu’ils ne se sentent pas écoutés, les jeunes peuvent manifester une frustration. «Nous ne sommes pas nombreux, prenez nous en compte». Cela s’observe d’une manière plus ou moins affirmée selon les groupes étudiés.

Chez les jeunes parmi les plus croyants, le principal sujet de désaccord avec l’Église réside dans l’ouverture de la bénédiction aux couples homosexuels. Comment justifient-ils cela? Est-ce qu’ils couperaient pour autant les ponts avec l’Église?
Pour les jeunes les plus croyants, c’est l’ouverture à la bénédiction qui est remise en cause, tandis que pour ceux qui le sont moins, c’est le fait que cela n’aille pas assez loin comme, par exemple, le mariage de personnes homosexuelles à l’église. En revanche, les désaccords avec l’Église représentent rarement une cause de prise de distance pour le public très croyant qui se montre en réalité profondément loyal vis-à-vis de l’Église.

«La gouvernance de l’Église n’est pas une préoccupation pour les jeunes.»

La question de la bénédiction des couples homosexuels arrive devant la position de l’Église sur la migration et la question de la gouvernance de l’Église. Au vu de la crise que traverse l’Église, on s’attendrait à l’inverse.
La gouvernance de l’Église n’est pas une préoccupation pour les jeunes. La question de la migration n’est pas claire. J’ai été étonnée de constater, dans les catégories de jeunes les plus croyants, que la place des femmes dans l’Église et l’approche de la sexualité par l’Église ne sont pas des sujets de grand désaccord.

Malgré l’encyclique Laudato si’ et l’engagement du pape François pour l’écologie intégrale cette thématique n’arrive qu’en 6e position sur sept thématiques. Comment l’expliquez-vous?
Ils sont moins intéressés à la thématique environnementale que je ne le pensais. Ce que fait l’Église en termes d’écologie n’est pas présent dans les grands médias. La concurrence dans ce domaine est rude et, concernant l’écologie, les jeunes ne pensent pas d’abord à l’Église. Les jeunes attendent de l’Église d’abord son «cœur de métier»: ce qui est spirituel ou éventuellement éthique.

«Les jeunes attendent de l’Église d’abord son «cœur de métier»: ce qui est spirituel ou éventuellement éthique.»

Le rite chez les jeunes s’accompagne d’une tendance à demander ce qu’il faut faire et si c’est permis ou non. Retrouvez-cela dans votre étude?
Dans certains profils, oui, mais c’est moins ressorti que ce que j’attendais. On trouve beaucoup cette tendance du «permis ou pas permis» chez les influenceurs qui amplifient ce mouvement parce qu’ils ont un type de communication binaire. «On a le droit de faire ça» ou «on n’a pas le droit de faire ça». Il y a peu de nuances et peu de critiques. Les influenceurs sont utilisés en pastorale. Ces discours peuvent conduire vers une foi très binaire sans véritablement de recul. Ce phénomène est ressorti à travers les questions sur ciao.ch: «Est-ce que je peux faire ça?». La tendance est très claire. Chez certains jeunes, enclins à définir la religion par le dogme, on retrouve ces réponses du type «C’est bien» ou «Ce n’est pas bien», ce qui, quand on lit le droit canon, n’est pas aussi simple et doit être nuancé. C’est une manière de repositionner l’Église dans la société où ces jeunes ont l’impression que tout part à la dérive, y compris l’institution.

«On trouve beaucoup cette tendance du «permis ou pas permis» chez les influenceurs qui amplifient ce mouvement parce qu’ils ont un type de communication binaire.»

Il est nécessaire pour eux de recréer un cadre clair où ils savent comment penser. Certains jeunes me l’ont dit: «Actuellement, tout est relatif dans la société». On peut y voir des influences de l’islam dont les recommandations sont très nettes. Un jeune, estimant les recommandations du Carême floues, se demandait de quoi il devait précisément jeûner et même à quelle heure il devait arrêter le jeûne. J’y vois une influence d’autres religions. On sait en quoi consiste le Ramadan, mais moins ce qu’est le Carême car la pratique est laissée à l’appréciation de chacun. J’ai remarqué une perte du sens du rituel, notamment chez les jeunes qui vont à la messe, mais qui s’ennuient, faute de connaître le rituel et qui voudraient comprendre ce qui se passe durant la célébration. Pourquoi tel ou tel geste durant la messe? Quelle signification a-t-il?

Quel aspect vous a le plus marqué durant cette enquête?
Cette inversion de la pratique de la messe entre les jeunes hommes et les jeunes femmes. Depuis qu’on effectue des relevés, les femmes vont plus à la messe que les hommes. Une chronique radio de Matthias Wirz (RTS Religion) expliquait qu’une enquête aux Etats-Unis a démontré que les jeunes hommes pratiquent plus que les jeunes femmes. Je ne m’attendais pas à trouver cette inversion chez les jeunes Romands qui ont répondu au questionnaire. Il y a une différence de 10 points entre les jeunes hommes qui vont plus à la messe que les jeunes femmes, sachant, de plus, que ces dernières  se disent plus croyantes.

Ces dernières décennies, avec la baisse de fréquentation, l’Église a beaucoup cherché à récupérer les hommes. Mais il faut se poser la question: les hommes vont-ils plus à la messe ou est-ce que les femmes fréquentent moins les églises? C’est peut-être lié à une tendance à la «revirilisation» du rapport à la foi alors que, simultanément, des jeunes femmes prennent de la distance. C’est inédit dans le domaine de la religion.

La tendance de la pratique s’inverse entre ville et campagne.
C’est un autre constat notable: dans mon échantillon, le public urbain pratique plus que le public rural. J’ai pensé que le premier recevait plus d’offres à proximité que le second. D’habitude le public rural pratique plus en raison de la dimension sociale, traditionnelle et du groupe d’appartenance. Cela fait partie du lien social auquel il est difficile d’échapper. Le public rural se montre moins intéressé par des activités. Est-ce que l’offre crée la demande? Mais l’on remarque aussi que les jeunes ruraux disent moins croire en Dieu que les urbains et moins pratiquer d’activités spirituelles personnelles comme la prière. On assiste donc retournement de situation où le public urbain pratique plus qu’à la campagne.

Quel enseignement global tirez-vous de cette enquête?
L’Église  a eu tendance à penser qu’il fallait simplifier les contenus de la catéchèse et des offres en général parce que les jeunes étaient moins socialisés et n’avaient pas reçu la foi dans le cadre familial. Ce qui débouche aujourd’hui sur une exigence de qualité de leur part. Ils se posent beaucoup de questions existentielles et ils ont, par rapport à ce que leur offre l’Église, un niveau d’exigence élevé en termes de théologie, ce que l’institution devra prendre en compte. Ils souhaitent que l’Église les aide à vivre leur statut de jeunes croyants dans la société actuelle. Certains vivent comme un hiatus le fait d’être jeunes et croyants dans notre société. L’un d’eux m’a dit qu’il était compliqué d’être jeune, croyant et pratiquant. Ils s’attendent à ce que l’Église les aide à résoudre cette tension. (cath.ch/bh)

> Vers l’enquête du SPI <

Comment les jeunes adultes sont-ils informés des événements d’Église auxquels ils se rendent?
A l’heure des médias numériques, le bouche-à-oreille conserve la primauté de la communication. Il joue un rôle d’autant plus important pour les 16-30 ans qui vont souvent participer à un événement qu’ils connaissent d’autres personnes qui y rendent. Les médias numériques, réseaux sociaux en tête, sont un vecteur important d’information. Il ne faut toutefois pas négliger les médias traditionnels, comme les affiches, qui jouent un rôle important pour environ la moitié de notre public dans sa participation à un événement ecclésial. Les moyens classiques de communication – de personne à personne et par des affiches ou prospectus – ne sont donc pas à écarter. La diversité des moyens utilisés est importante.

Lien vers l’étude du SPI

Concernant les événements de foi, les JMJ de Lisbonne ont été beaucoup citées avec une dimension émotionnelle assez présente | © Raphaël Zbinden
1 juin 2025 | 17:00
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 10  min.
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