Islam, sectes, animisme : Le cardinal Sarr, archevêque de Dakar, évoque les défis de l’Eglise
Rome, 13 novembre 2014 Les évêques du Sénégal, de Mauritanie, du Cap-Vert et de Guinée-Bissau effectuent leur visite Ad Limina du 10 au 15 novembre 2014. L’archevêque de Dakar (Sénégal), le cardinal Théodore-Adrien Sarr, a répondu aux questions d’I.MEDIA après avoir rencontré le pape François avec l’ensemble des évêques de cette région d’Afrique occidentale.
Le cardinal évoque les bonnes relations existant entre la petite communauté catholique et la masse musulmane, ainsi que la menace que pourrait représenter le fondamentalisme islamique. Il s’arrête sur le phénomène des sectes et s’inquiète de ce qui reste d’animisme en chacun des croyants. Il revient enfin sur le fossé apparu dans les débats du récent synode sur la famille entre l’Occident et le reste du monde, l’Afrique en particulier.
Q. : Le pape vous a remis un message et vous avez pu parler librement avec lui. Que retenez-vous de cet échange ?
Théodore-Adrien Sarr : En rencontrant le pape, nous avons largement abordé le problème de la présence massive de l’islam dans cette sous région de l’Afrique de l’Ouest, à l’exception du Cap-Vert où la présence musulmane commence seulement à se faire sentir. Nous lui avons dit que, jusqu’à présent, les relations sont bonnes, que nous ne sommes pas inquiets, mais que l’on peut se poser des questions sur l’avenir étant donné l’offensive des islamistes un peu partout, et surtout en Afrique de l’Ouest avec ce qui se passe au Mali et au Nigeria. Nous ne savons pas ce que nous réserve l’avenir et le pape nous a invités à ne pas être naïfs, à demeurer vigilants. C’est ce que nous faisons: être lucides, vigilants, mais en même temps en continuant à cultiver de bonnes relations, et même en interpellant cette masse musulmane pour que ces bonnes relations puissent se poursuivre.
Q. : Dans vos pays, vous ne ressentez donc pas la menace de l’Etat islamique et des fondamentalistes ?
T.-A. S: Non, mais je tiens à souligner qu’il faut que la diplomatie vaticane soit très attentive à encourager les Etats africains, au Sud du Sahara, à maintenir coûte que coûte leur option pour un Etat non confessionnel, une laïcité positive pour ainsi dire. Cela afin que toutes les communautés soient reconnues et libres de pratiquer.
Q.: Le pape, dans le message qu’il vous a remis, évoque «les propositions religieuses plus faciles et attrayantes sur le plan moral qui surgissent de toutes parts». Quelle menace représentent donc les sectes ?
T.-A. S: Les sectes se fondent toujours sur les besoins des gens: la santé, le travail. Elles tentent de répondre à leurs aspirations immédiates en leur disant ›avec la prière nous arriverons à vous obtenir ceci ou cela’. Ce n’est pas une menace offensive à notre égard, mais les sectes touchent les fidèles en organisant des prières, des séances de guérison, etc.
Q.: Et l’animisme, bien présent au Sénégal, représente-t-il une menace ?
T.-A. S: En lui-même, l’animisme ne constitue pas un danger. Mais nous ne faisons pas attention à ce qui reste d’animisme en nous. Quelqu’un disait avec un peu d’humour qu’au Sénégal il y a environ 92 % de musulmans, autour de 7 % catholiques, mais surtout 100 % d’animistes! Que nous soyons musulmans ou catholiques, il y a un fort héritage qui est en nous. Il faut dénoncer cette foi dans des forces occultes car pas mal de monde continue à s’y fier. A mon sens, il y a encore des ruptures à faire avec cet animisme présent en chacun de nous.
Q.: Quel est le risque pour les fidèles ?
T.-A. S: Leur adhésion au Christ n’est pas totale. Ils font plus confiance à telle ou telle pratique, à un sacrifice à faire, à tel ou tel grigri à porter, au lieu de s’abandonner au Christ, au lieu de faire confiance à la Vierge Marie.
Q.: Comment le récent Synode des évêques sur la famille a-t-il été reçu dans vos pays ?
T.-A. S: Nous l’avions préparé et nous l’avons suivi attentivement. Cette première assemblée a permis d’établir un dialogue entre les évêques, devant le pape, soulevant beaucoup de questions en provenance du monde entier. La réflexion va continuer pour que le prochain synode puisse apporter certaines réponses.
Q.: On a parfois senti, dans les débats du synode, un fossé entre l’Occident et le reste du monde, l’Afrique en particulier…
T.-A. S: En effet, car il faut comprendre que les préoccupations sociales de l’Occident aujourd’hui ne sont pas forcément les nôtres. L’Occident, par exemple, ne doit pas nous imposer sa vision actuelle de l’homosexualité. Nos peuples savent que l’homosexualité existe, ils gèrent cela à leur manière, mais on sent aujourd’hui une pression pour une dépénalisation de l’homosexualité. Deux ambassadeurs de pays occidentaux sont venus me voir en me demandant la même chose… je leur ai répondu que nous ne pouvions pas promouvoir l’homosexualité, c’est contraire à la culture de nos peuples et à notre foi, chrétienne ou musulmane. Chacun à ses options, mais je ne suis pas d’accord avec le fait de présenter cela comme le nec plus ultra de l’évolution et du progrès de l’humanité. Et puis, par ailleurs, si la question des divorcés remariés commence à être importante dans nos pays, le premier problème, chez nous, c’est l’accueil des polygames qui veulent devenir chrétiens, où qui veulent épouser un ou une catholique. (apic/imedia/ami/mp)