Israël célèbre le 70e anniversaire de sa création dans une extrême tension

Israël célèbre en grande pompe ce 14 mai le 70e anniversaire de sa création dans une période de grande tension où l’Etat hébreu s’est lancé dans une escalade militaire sans précédent contre la présence militaire iranienne en Syrie. Interview de l’ancien diplomate suisse Yves Besson, qui fut, de 1990 à 1992, directeur de l’UNRWA à Jérusalem, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens.

Alors que le président américain Donald Trump, avec la vive approbation d’Israël… et de l’Arabie saoudite !, a révoqué unilatéralement, mardi soir 8 mai 2018, l’accord multilatéral de 2015 sur le programme nucléaire iranien, les Etats-Unis transféraient dans le même temps leur ambassade à Jérusalem, défiant ainsi la communauté internationale.

Le jeu trouble de Donald Trump

La décision de se retirer de l’accord difficilement négocié entre Téhéran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne, si elle réjouit Israël et les monarchies sunnites du Golfe – ennemies jurées de l’Iran chiite – met dans un grand embarras les nations européennes, sommées de passer au plus vite sous les fourches caudines de l’Oncle Sam.

Cette révocation incite même Al-Monitor, la plate-forme d’information spécialisée sur le Moyen-Orient basée à Washington, à se demander «qui travaille pour qui ? Est-ce Netanyahou qui travaille pour Trump, ou le président Trump est-il au service de Netanyahou ?» Toujours est-il que Washington, qui a depuis longtemps laissé la bride sur le cou au gouvernement israélien, semble avoir désormais enterré l’idée d’un Etat palestinien. Marquant une rupture dans la politique américaine au Proche-Orient,  Donald Trump a ainsi affirmé l’année dernière que la «solution à deux Etats» n’était pas la seule possible pour régler le conflit israélo-palestinien.

Situation de «quasi-apartheid» dans les territoires occupés

«Le processus de paix israélo-palestinien est parti en quenouille et une situation de quasi-apartheid règne de fait dans les territoires palestiniens occupés…», commente le professeur Yves Besson, qui reçoit cath.ch dans sa maison de Champtauroz, dans la Broye vaudoise. Le quotidien israélien Haaretz parle même d’»épuration ethnique» au profit des colons installés illégalement en Cisjordanie.

«Cela fait au moins deux décennies que le processus de paix israélo-palestinien s’est enlisé, poursuit-il. Il avait débuté dans le cadre de la Conférence de Madrid de 1991 – sous la pression de l’administration américaine du président Bush père, avec James Baker comme secrétaire d’Etat, et de celle de la présidence Clinton – et s’était poursuivi avec les accords d’Oslo. Le gouvernement d’Yitzhak Shamir, en Israël, avait dû céder aux pressions américaines et accepter d’ouvrir des discussions avec la partie palestinienne».

Les perspectives d’une paix israélo-palestinienne s’éloignent

«La poignée de mains sur la pelouse de la Maison-Blanche à Washington, le 13 septembre 1993, entre le Palestinien Yasser Arafat et l’Israélien Yitzhak Rabin, devant le président américain Bill Clinton, à la suite de la signature des accords de Washington, avait pourtant fait naître l’espoir de l’établissement d’une paix durable entre Israéliens et Palestiniens», estime le professeur Yves Besson. Le Vaudois est un fin connaisseur de la réalité du Moyen-Orient, qu’il suit toujours de près.

Diplomate arabophone, Yves Besson travailla à Jérusalem comme directeur des opérations de l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East) en Cisjordanie de 1990 à 1992, puis jusqu’en 1995 à l’UNRWA à Vienne. Il fut ensuite chargé de cours en histoire à l’Université de Fribourg. A Jérusalem, il avait la responsabilité d’une équipe de plus  de 5’000 employés en charge de l’éducation (écoles et écoles techniques), de la santé (cliniques et hôpitaux) et des services sociaux, pour 400’000 réfugiés inscrits à l’agence de l’ONU. «C’était une période délicate, lors de la première Intifada (la révolte palestinienne, ndlr), et pendant la première guerre du Golfe en janvier 1991, à la suite de l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein…»

Poignée de main historique entre Rabin et Arafat

Depuis Vienne, il a participé pendant deux ans, en tant que chef de la délégation de l’ONU en charge du groupe de travail sur les réfugiés palestiniens, aux réunions multilatérales du processus de paix israélo-palestinien. «C’était le temps où le parti travailliste israélien était au pouvoir. On se souvient du 13 septembre 1993, quand, après six mois de négociations secrètes à Oslo, Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) se reconnaissaient mutuellement et signaient à Washington une Déclaration de principes sur une autonomie palestinienne transitoire de cinq ans. Le premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le chef palestinien Yasser Arafat échangeaient une poignée de main historique…»

A ses yeux, la période 1990-1995 semble avoir été décisive dans ce qui fut et reste la recherche d’une solution négociée de la question de la Palestine, toujours non résolue aujourd’hui. En parallèle, cette même période laisse apparaître les prémisses des crises politiques, sociales et religieuses qui embrasent le Moyen-Orient depuis vingt ans. «La question palestinienne, vieille de près d’un siècle, demeure sous-jacente à toutes ces crises. Au début, avec les travaillistes israéliens, il y avait un certain espoir, car c’était un parti à la limite laïciste, mais aujourd’hui, cette aile gauche non-religieuse a été laminée».

L’ambiguïté des travaillistes

«Les travaillistes, surtout avec Shimon Peres, ont été victimes de leur ambiguïté, que j’ai vue à l’œuvre dans le processus de paix. On jouait comme si on voulait faire la paix, mais en fait on ne la voulait pas vraiment. Il y avait certainement chez eux des hommes de paix, mais il n’était pas question pour les négociateurs israéliens de traiter dans ce cadre du retour des centaines de milliers de réfugiés palestiniens qui furent chassés de leurs terres en 1948-1949 ou qui avaient fui l’avance des forces israéliennes. Il y avait là un blocage».

Ce droit au retour des réfugiés et/ou à leur indemnisation, s’appuie pourtant aujourd’hui encore sur le vote de l’Assemblée générale de l’ONU du 11 décembre 1948, à savoir la Résolution 194 et particulièrement son paragraphe 11, et la Résolution 242 du Conseil de sécurité, adoptée le 22 novembre 1967.

La question du retour des réfugiés palestiniens

«Israël s’en est toujours tenu à son refus, constamment répété depuis 1948-1949, de reconnaître le droit au retour des réfugiés palestiniens tel qu’exprimé par la Résolution 194. Après les Accords d’Oslo et de Washington, cette question avait été repoussée en attendant la négociation sur le statut permanent qui devait prendre fin en… 1999! Mais si l’Etat d’Israël veut vraiment la paix, il doit faire sa part en ce qui concerne la population évincée de sa terre et qu’il a soumise pendant des décennies. La délégation israélienne, sous Yitzhak Rabin, était certes assez ouverte au dialogue, mais quand le Likoud est revenu au pouvoir, j’ai compris que c’était fini !»

Professeur Yves Besson | © Jacques Berset

«Les Palestiniens, si Israël reconnaissait le principe du droit au retour des réfugiés et ses responsabilités, seraient d’accord de passer par pertes et profit ce qu’ils ont perdu et de se contenter de ce qu’il leur reste, même si ce n’est que 20% de ce qu’ils avaient avant. Les négociateurs palestiniens n’exigeaient pas le retour effectif de millions de Palestiniens, mais ces réfugiés sont des gens qui aimeraient pouvoir se prévaloir d’une origine, de ce droit au retour, même s’ils ne vont pas le réaliser concrètement. Les Palestiniens veulent des frontières, un passeport… Les Israéliens font semblant de dire ‘oui’, mais trouvent toujours des prétextes, en argumentant avec des questions de sécurité, de violences, de terrorisme…»

Le cadastre des biens spoliés conservé à New York

Yves Besson rappelle que l’ONU garde dans ses caves à New York tout le dossier des propriétés spoliées des Palestiniens. Elle dispose dans ses archives du cadastre de leurs terres et de leurs plantations enregistrées au début des années 1950 par une organisation qui avait fait ce travail. «Il y aurait tout à fait les moyens d’indemniser les propriétaires ou leurs descendants… si on voulait bien. Mais depuis l’arrivée au pouvoir de Netanyahou, on est définitivement sorti de l’ambiguïté et la perspective d’une paix véritable s’est encore davantage éloignée !»

Village chrétien de Biram, en Galilée, vidé de ses habitants et détruit après la guerre de 1948 par les Israéliens | © Oren Ziv Activstills

Aujourd’hui, vingt ans après les premiers craquements dans ce qui faisait l’architecture du processus de paix, le constat est accablant. Le 6 février 2017, la Knesset, le parlement israélien, votait une loi qui marquait une rupture historique. En effet, pour la première fois, les députés israéliens se sont arrogé le droit de légiférer sur des terres palestiniennes privées, en dehors des frontières reconnues de l’Etat d’Israël, en territoire occupé, en totale violation de la légalité internationale. On passe ainsi de l’annexion rampante à une spoliation ‘légalisée’.

«Si la solution à deux Etats devait être abandonnée, alors le risque d’une situation d’apartheid serait considérable! Maintenant que Trump est avec eux, les colons peuvent se réjouir, car le grignotage de ce qui reste des terres palestiniennes peut continuer en toute impunité!»  (cath.ch/be)

 

Professeur Yves Besson, à son domicile de Champtauroz, dans la Broye vaudoise | © Jacques Berset
13 mai 2018 | 17:00
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 6 min.
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