1 Quel avenir pour l’Hôpital de la Paix?

Istanbul: soigner selon l’esprit de St-Vincent de Paul

Laurette Heim, pour l’Apic, de retour d’Istanbul

Istanbul, 3 août 2004 (Apic) Voué depuis 150 ans aux soins gériatriques et psychiatriques de malades de toutes nationalités et confessions, l’Hôpital de la Paix, géré par les Filles de la Charité, privilégie les soins aux plus démunis. Portrait d’un établissement sérieusement confronté à un manque de relève.

L’Hôpital de la Paix, tenu par les soeurs de la communauté internationale de St-Vincent de Paul, est situé à Sisli sur la rive nord d’Istanbul. Cette ville de presque 15 millions d’habitants est en effet composée de 3 parties. Au sud, la vieille ville, l’ancienne Byzance, dans laquelle se trouve notamment Ste-Sophie, le Palais Topkapi et la Mosquée Sultanahmed ou Mosquée Bleue. Au nord, la ville (européenne( avec ses grands hôtels et ses banques et en face à l’est, de l’autre côté du Bosphore, la partie asiatique.

Pour se rendre dans cet hôpital en venant de Eminönü, le quartier des monuments, il faut traverser le pont Galata sur lequel pêchent des centaines de personnes et monter de l’autre côté jusqu’à Taksim. La circulation intense est franchement invivable à partir de 16 heures. D’aucuns disent qu’un million de véhicules circulent à Istanbul.Il y a bien une ligne de métro en construction mais elle ne comporte que quelques stations pour l’instant. Arrivé à Sisli, dans la rue Büyükdere, dans le bruit et la pollution, on lit sur un long bâtiment (Hôpital de la Paix(! Mais entrant et ressortant de l’autre côté, (ô surprise(, on découvre un immense jardin carré entouré de bâtiments et une atmosphère de tranquillité.

Havre de paix fondé il y a 150 ans

Seules une immense tour blanche et une autre en construction, semblant regarder dans le parc, rappellent que nous sommes en pleine ville. L’architecte, à qui soeur Jeanne-Marie, responsable de la communauté, posait la question du risque, lui a affirmé avec aplomb qu’en cas de tremblement de terre, ces tours tomberaient de l’autre côté. (Merci pour ceux qui habitent là-bas( lui avait-t-elle répondu !

A sa fondation, il y a presque 150 ans, cet hôpital était complètement en dehors de la ville et en hiver les loups s’en approchaient. L’histoire commence pendant la guerre de Crimée (1854-1856) où plus de 300 soeurs françaises ont répondu à l’appel des gouvernements turc et français pour soigner les blessés. A l’origine de ce conflit, une querelle entre l’empereur français Napoléon III et le tsar Nicolas Ier qui voulait chacun assurer exclusivement la protection des Lieux Saints de Jérusalem, partie intégrante de l’empire turc. En 1856, en reconnaissance, le Sultan Abdulmedjid donne le terrain à la Compagnie des Filles de la Charité pour construire un hôpital destiné à toutes les victimes de la guerre, handicapés physiques, malades psychiques ou atteints d’épidémies et orphelins. Aujourd’hui, son urbanité favorise son intégration et facilite la visite des familles.

Soutien français et responsabilité suisse

Soutenu dès le départ par la France, l’hôpital se nomme (Fransiz Lape Hastanesi(. Le bâtiment est la propriété de cette Compagnie ou Soeurs de St- Vincent de Paul, dont la maison mère est à Paris. Depuis le 1er décembre 1997, il se trouve sous la responsabilité de la Province suisse. Celle-ci compte 60 Soeurs réparties en 14 communautés. 12 sont en Suisse romande et les 2 communautés internationales d’Istanbul directement rattachées à la Maison Provinciale Suisse à Fribourg.

La gestion de l’hôpital est donc assurée par la communauté religieuse et dirigée par soeur Alexandra Dworak, directrice depuis avril 2002. Cette jeune infirmière en psychiatrie, née en 1961 en Pologne est également l’infirmière-cheffe de l’établissement. Elle est très dynamique, dit soeur Pia, la responsable fribourgeoise qui se rend régulièrement en Turquie. Soeur Alexandra assume toutes les tâches administratives et décisionnelles avec des secrétaires et un comptable. De plus, étant depuis 10 ans en Turquie, elle parle parfaitement la langue, ce qui est un atout auprès des patients.

1.1 (Les amis de l’Hôpital de la Paix(

L’établissement, entièrement privé, accueille environ 150 patients dans des services de psychiatrie et de psycho-gériatrie. Ce lieu de vie est ouvert à tous, sans distinction de nationalité ou de confession et la priorité est donnée aux plus démunis, selon l’esprit de St-Vincent de Paul. Le ministère de la santé turc fixe le prix d’une journée et les malades paient en fonction de leurs ressources. Certains assument le coût total, certains en partie et d’autres sont entièrement pris en charge. Une chapelle est ouverte à tous les visiteurs et il s’y trouve également un lieu de recueillement, qui doit être rénové, pour les musulmans.

Depuis 1999, une association (Les amis de l’Hôpital de la Paix( créée en Suisse, se veut un pont entre l’Orient et l’Occident. Elle soutient, aide et propose des échanges entre soeurs et laïcs, Suisses et Turques, professionnels et bénévoles. Cette association a entre autre stimulé la mise en place d’une animation pour les malades, des soins de pédicure et un programme de formation pour le personnel en lien avec l’Ecole d’aides soignants de Fribourg. D’autre part, elle répond, dans la mesure du possible, aux demandes de la Communauté pour l’équipement dans les services rénovés (fauteuils, tables de nuit, tv)

Dieu donne ce qu’il ordonne.

Soeur Jeanne-Marie qui nous reçoit est française. Avant de venir à Istanbul, elle a été 6 ans responsable d’une communauté à Paris. En 2001, la Mère supérieure lui propose une mission en Turquie. D’abord surprise, (à mon âge et ne sachant pas la langue(, elle se souvient d’une phrase retenue de son noviciat : Dieu donne ce qu’il ordonne et lorsqu’il demande, il a déjà donné. (Alors j’ai dit oui, c’est aussi simple que ça(.

La communauté, composée de 11 soeurs – une est décédée la semaine dernière – de 7 nationalités, polonaise, italienne, française, grecque, péruvienne, espagnole et slovène, est francophone. Mais soeur Jeanne-Marie estime que l’ignorance de la langue turque est vraiment un obstacle pour communiquer avec les malades au-delà des civilités. Bien sûr des cours sont offerts mais à soixante-dix ans cela ne rentre pas comme à 20 ans, dit-elle.

Parmi elles, 5 soeurs ont plus de 70 ans et les autres ont la quarantaine. En plus de leur travail auprès des malades, elles se partagent également les tâches de la communauté, chapelle, salle à manger, salle commune, bureau, lingerie et chacune sa propre chambre. La confection des repas est confiée à une société mais c’est le personnel de maison qui va les chercher et qui fait la vaisselle. Le médecin-chef, 3 infirmières civiles et tous les employés de maison sont de nationalité turque. Une infirmière bénévole française complète l’équipe.

1.2 La relève est un réel souci

Le problème majeur est la relève. Il faut être raisonnable, dit soeur Jeanne- Marie (vu notre âge, on ne va pas tenir encore 20 ans. Nous avons besoin de jeunes soeurs, la Mère supérieure de Paris et soeur Pia de Fribourg en sont bien conscientes(. Mais elle dit aussi qu’elles ne sont pas les seules et que peut-être ailleurs les besoins sont encore plus urgents.

Si la relève n’est pas assurée, il faudra engager des infirmières turques, ce qui entraînera forcément un déséquilibre financier car les Soeurs ne sont pas salariées. Elles ont une indemnité, sont nourries, logées et blanchies.

Un autre souci, dont les soeurs parlent beaucoup, est le voeu du maintient de l’esprit de St-Vincent de Paul qui vient en aide aux pauvres (actuellement, 20 personnes sont accueillies gratuitement). Pour elles, l’Hôpital de la Paix doit garder cet esprit et faire attention à ne pas devenir (business(, précise soeur Jeanne-Marie. Pour cela, un projet est en chantier afin de donner à tous le personnel un texte, sorte de charte, exprimant cela. Car, même si quelques malades psychiatriques sont parfois aisés, (quand ils sont en crise, ils sont pauvres parmi les pauvres(conclut la soeur.

Jamais soeur Jeanne-Marie n’a rencontré d’hostilité depuis qu’elle est à Istanbul. (J’ai toujours trouvé beaucoup de respect partout, dans la rue, dans le bus(. De plus, les gens considèrent que les (Rahibé( (les soeurs), font le bien comme il est écrit dans le Coran, dit-elle, ils sont donc naturellement très respectueux. Bien sûr, sourit-elle, ils ne comprennent absolument pas notre célibat !

A terme, la gestion de l’hôpital et sa direction devront être remis dans les mains de personnes turques, estime soeur Jeanne-Marie. Mais il faut du temps. La Turquie sera-elle européenne ?

En attendant, face à toutes ces incertitudes de l’avenir, elles étudient aussi une autre façon de servir pour les soeurs âgées qui ne peuvent plus tenir un service de soins. Sans se retirer, elles pourraient s’occuper des malades en jouant avec eux, en sortant et en parlant. L’occasion par exemple d’avoir plus de temps pour réconforter ce patient, de confession juive, très inquiet de savoir si le Dieu des soeurs l’acceptera en son Paradis.

Des photos sont disponibles sur le site www.hoplapaix.com/fr/animation.html

(apic/lh/pr)

3 août 2004 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
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