Jean-Baptiste de La Salle, le prêtre de l’éducation pour tous
Dans nos contrées aujourd’hui, fils de notaire et fils de cantonnier peuvent être assis l’un à côté de l’autre en classe. Un progrès que l’on doit notamment au prêtre français Jean-Baptiste de La Salle (1651-1719), qui considérait l’éducation comme un moyen d’émancipation et de justice sociale.
Si vous vous arrachez les cheveux parce que votre enfant est nul en orthographe, prenez un temps pour relativiser. Si elle avait vécu au début du 17e siècle, votre progéniture aurait carrément dû faire ses dictées en latin. Mais Jean-Baptiste de La Salle a lutté avec ténacité pour que le français soit utilisé comme langue d’enseignement à la place de celle de Cicéron.
Ce n’est là que l’une des importantes avancées apportées par le natif de Reims au domaine de l’éducation dont l’héritage a été honoré par le pape Léon XIV dans son exhortation Dilexi te, sortie le 9 octobre 2025.
Seul pour s’occuper de ses dix frères et sœurs
Né dans une riche lignée aristocratique de magistrats, Jean-Baptiste de La Salle obtient la meilleure éducation possible. Dès son jeune âge, le Rémois est fasciné par les Écritures. Il y trouve notamment la conviction de l’égalité de tout homme devant Dieu. Aîné de onze enfants, âgé de vingt ans à la mort de ses parents, il doit pourvoir aux besoins, notamment éducatifs, de sa famille, tout en poursuivant sa formation théologique.
Ordonné prêtre en 1678, il est profondément marqué par son directeur spirituel, Nicolas Roland, fondateur de la communauté des Filles du Saint-Enfant-Jésus. Ce dernier le sensibilise à la misère et à l’abandon dans lequel se trouve certains enfants, rapporte Le Livre des Merveilles. Aussi, lorsqu’on lui demande de fonder des écoles de garçons dans plusieurs quartiers de la cité champenoise, il n’hésite pas à user de son influence et de ses relations pour mettre en œuvre les idées «un peu folles» qui germent dans son esprit.
Des professeurs paysans
Il loge dans une même maison les dix maîtres recrutés pour l’ouverture des trois premières écoles. Il se comporte avec eux non pas comme un supérieur mais comme leur égal. Il prend notamment ses repas à leur table. Il installe également chez lui ces jeunes instituteurs en mal de conseils et de soutien. En 1682, il fonde à partir de cet embryon la communauté des Frères des écoles chrétiennes.
Les enseignants qui en sont issus détonnent notamment par leur apparence. Leurs vêtements, ressemblant à ceux des paysans champenois, attirent les moqueries. Le but est de ne pas heurter la sensibilité des élèves plus modestes.
Les écoliers sous la garde des Frères sont pourtant propres, bien élevés et manifestent un haut degré d’éducation. Ces enseignants-là ne frappent pas les enfants et posent même sur eux un regard bienveillant. L’enseignement, de grande qualité, est fourni à tous de manière gratuite.
Former l’homme, dans toutes ses dimensions
Jean-Baptiste de La Salle estime en effet que tous les enfants méritent une éducation chrétienne qui fera d’eux des hommes responsables. Les plus pauvres n’ont pas à rougir de leur condition. Le prêtre est persuadé que Dieu les a dotés d’une intelligence vive qu’il faut éveiller en leur permettant de côtoyer les enfants privilégiés.
«Les premières écoles populaires gratuites ont constitué une étape décisive dans la démocratisation de l’enseignement»
Dans l’un de ses ouvrages intitulé La Conduite des écoles, il appelle à «ne jamais gâter leur bonté naturelle par quelque humiliation» et à «ne pas moquer leurs maladresses». Son ambition n’était pas seulement d’instruire, mais de former l’homme dans toutes ses dimensions, aussi bien intellectuelle, morale, que sociale et spirituelle.
Reconnaissance du pape
À son décès, en 1719, Jean-Baptiste de La Salle a fondé dans tout le royaume de France une cinquantaine d’écoles très diverses, dont des établissements enseignant des métiers et des pensions pour les enfants difficiles, abandonnés par leurs parents ou menacés par la justice.
Dans une société aussi fortement hiérarchisée que la France des 17e et 18e siècle, les idées révolutionnaires du prêtre suscitent quelques oppositions. Le Rémois recevra pourtant, à titre posthume, une caution du plus haut niveau. En 1725, une bulle pontificale reconnaît officiellement l’œuvre des Frères des écoles chrétiennes, et les maîtres peuvent sereinement poursuivre leur tâche.
Un pilier de l’école occidentale
Ceux-ci marqueront durablement l’éducation occidentale. Les premières écoles populaires gratuites ont constitué une étape décisive dans la démocratisation de l’enseignement.
En abandonnant l’enseignement individuel (où l’instituteur s’adressait à un élève à la fois) au profit de l’enseignement simultané, où tous les élèves d’un même niveau apprennent ensemble, Jean-Baptiste de La Salle a profondément transformé les méthodes d’éducation. L’instauration d’une progression par niveaux et l’élaboration de manuels adaptés ont favorisé la cohérence et la continuité de l’apprentissage. Autant de principes encore appliqués aujourd’hui dans la grande majorité des systèmes scolaires. En insistant sur la maîtrise du français comme langue d’enseignement, il a rendu l’instruction plus accessible et plus utile pour la vie quotidienne.
L’enseignement comme vocation
Plus que cela, le prêtre a été un précurseur dans la formation des enseignants. Conscient que l’éducation exigeait des compétences spécifiques, il a fondé des séminaires pour maîtres où les futurs enseignants étaient formés non seulement à enseigner, mais aussi à éduquer avec rigueur mais bienveillance. Et surtout, Jean-Baptiste de La Salle concevait le métier d’enseignant comme une vocation, demandant discipline, exemplarité et sens moral.
Son apport a été pleinement reconnu par l’Église, puisqu’il a été béatifié en 1888 et canonisé en 1900 par le pape Léon XIII. L’Église catholique l’a reconnu patron des éducateurs en 1950.
Donc, si les résultats scolaires de vos enfants ne comblent pas vos pleinement vos attentes, il faut vous rappeler à quel point, sans les idées révolutionnaires d’un prêtre du 17e siècle, cela pourrait être encore pire. (cath.ch/livredesmerveilles/arch/rz)
Au cours de l’histoire, de nombreuses personnalités catholiques, certaines méconnues, ont contribué à la civilisation dans divers domaines. cath.ch propose d’en mettre certaines en lumière à travers une série bimensuelle.