Mgr Jean-Paul Vesco, alors évêque d'Oran, devant le portrait de Pierre Claverie | © Bernard Hallet
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Jean Paul-Vesco: «Il y aura un avant et un après 'pape François'»

À 62 ans, Mgr Jean-Paul Vesco est devenu cardinal le 8 décembre 2024 lors du consistoire convoqué par le pape François. Ancien avocat entré chez les dominicains à 33 ans, l’archevêque d’Alger explique recevoir ce cardinalat «en tant qu’Algérien». 

Interrogé par I.MEDIA, il raconte le choc ressenti après l’annonce de son entrée dans ce collège chargé d’élire le pape. Il analyse les raisons qui ont pu pousser François à le choisir, lui, pasteur à la tête d’une petite Église en terre d’islam. Bergoglien dans l’âme, le Lyonnais d’origine ne cache pas son admiration pour le pape argentin et sa volonté de réformer la gouvernance de l’Église en valorisant le rôle des laïcs et des femmes.

Comment avez-vous réagi en apprenant la décision du pape de vous faire cardinal?
Je ne serai pas très original en vous disant que ce fut un choc, une surprise absolument inattendue. J’ai appris la nouvelle en voiture alors que j’allais célébrer la messe. Un journaliste de Vatican News m’a appelé pour une réaction… C’est lui qui m’a annoncé que le pape venait de prononcer mon nom lors de l’Angélus.

J’ai eu la sensation que quelque chose de très profond se passait en moi, comme un renouvellement, l’impression d’être une création nouvelle. Quand j’ai appelé ma chère maman, elle m’a dit: «J’ai la même émotion que lorsque tu es entré au noviciat.» J’ai compris à cet instant que le terme de «création» qui peut sembler suranné ne l’est pas. J’ai l’occasion de faire du neuf. Je ne veux pas passer à côté.

Avez-vous été félicité par les autorités algériennes?
J’ai été reçu par le président de la République, c’est un grand signe de reconnaissance. Il a fallu bien sûr le temps que le sens de cette nomination soit perçu et c’est normal: Rome n’est pas le centre du monde. C’est d’ailleurs le sens de ma nomination! Il y a une conscience profonde chez le pape François que Rome ne doit pas être le nombril du monde.

Mais maintenant, les choses ont donc pris de l’ampleur. Le cardinalat en Algérie renvoie à la figure tutélaire du cardinal Léon-Etienne Duval (1903-1996). Cela éveille quelque chose dans la mémoire collective algérienne.

Il y avait une visite projetée du président de la République au Saint-Père en novembre 2023. L’attaque du 7 octobre a bouleversé les choses et le colloque auquel il devait participer a été annulé. J’espère que l’occasion se reproduira.

Vous sentez-vous un archevêque algérien, français ou méditerranéen?
Algérien! Je suis Français de naissance mais c’est en tant qu’Algérien que j’ai reçu ce cardinalat. On m’a rapporté que le pape avait dit: ‘Nous avons maintenant un cardinal algérien’. C’est bien ainsi qu’il faut l’interpréter. Ce ne sont pas que des mots: j’ai la nationalité algérienne. Cela a son importance: ce cardinalat est un honneur pour beaucoup d’Algériens.

«On m’a rapporté que le pape avait dit: ‘Nous avons maintenant un cardinal algérien’.»

Que ressentez-vous à l’idée de participer un jour à un conclave?
Cela a provoqué un effet de sidération. Nous avons tous en nous des images de cardinaux entrant en procession dans la chapelle Sixtine… Se dire que j’en ferai partie a quelque chose d’un peu fou.

Mais après le choc immense – et positif – de l’annonce vient la question du «pour quoi». Cette question, je compte la poser car je n’en sais rien: qu’attend-il de moi? Cette question me laboure et je la pose aussi au Seigneur. Je suis loin d’être le meilleur et je ne peux pas vivre cette nomination comme une récompense, ce n’est pas le moment! J’ai quitté une profession d’avocat pour entrer comme novice chez les dominicains et renoncer à tout projet de carrière. Et voilà que je me suis retrouvé provincial presque par surprise. J’ai ensuite vécu ce même sentiment de surprise en étant nommé évêque d’Oran, puis archevêque d’Alger…

Aujourd’hui, je suis créé cardinal alors que notre conférence épiscopale qui ne compte que 10 évêques a déjà un cardinal… Il faut être le pape François pour penser qu’il y avait besoin d’un deuxième cardinal pour notre région! Que le Seigneur attend-il de moi dans tout cela?

Lors de la messe d’action de grâce le lendemain de la béatification des 19, Jean-Jacques Pérennès (à dr.) a offert à Mrg Jean-Paul Vesco, très ému, l’habit de Pierre Claverie. | © Bernard Hallet

Quelle est votre relation avec le pape François?
Si vous parlez de relation personnelle, elle n’est pas loin d’être inexistante! Avant l’annonce, je n’ai jamais eu avec lui de tête-à-tête. Ma relation se résume par quelques rencontres furtives: ma participation en 2015 au Synode sur la famille à Rome; une audience avec lui et l’archevêque d’Alger en 2017 alors que j’étais évêque d’Oran et que nous préparions la cause des 19 bienheureux d’Algérie; ma remise de pallium – une cérémonie où on ne se dit pas trois mots; une assemblée de la Caritas où nous étions 300, et Marseille en 2023 où je lui ai serré la main comme tous les autres évêques. Et puis c’est tout…!

Ma relation avec le Saint-Père est donc avant tout spirituelle. Je partage le projet qu’il porte pour l’Église. Jean Paul II aura été le pape de ma jeunesse, Benoît celui qui m’a nommé évêque, et François est celui de ma maturité.

«Ma relation avec le Saint-Père est donc avant tout spirituelle.»

Quelles sont vos grandes lignes pastorales pour le diocèse?
En devenant évêque d’Oran, j’avais choisi une devise que deux sœurs blanches s’étaient donnée durant les années difficiles: «Je veux vivre et donner envie de vivre.» Je désirais moi aussi que cette petite Église d’Oran vive et donne envie de vivre.

En arrivant à Alger, j’ai été habité par une autre parole, celle de saint Jean: «Père, je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as confiés.» Ma mission ici est de prendre soin de chacun. C’est un projet pastoral énorme que de prendre soin de chaque baptisé, chaque personne que je rencontre, chrétienne ou non. Pour appliquer cette feuille de route, je veux vivre une Église plus synodale et donc associer davantage les laïcs en dépit du fait que la colonne vertébrale de notre Église reste surtout composée de religieux, de religieuses et de prêtres.

Vous avez deux devises, quel est votre blason?
Comme le bienheureux Pierre Claverie, ou encore Mgr Teissier, ancien archevêque d’Alger, je n’ai pas choisi de blason car cela représente pour moi un signe de noblesse. Or le fait de devenir évêque n’est pas une entrée dans une caste supérieure. Mon titre de noblesse est d’être frère et de le mériter. J’aime en revanche les devises car elles se partagent et elles font vivre.

Vous avez évoqué la synodalité. Rejoignez-vous les orientations prises par le Synode qui s’est clos en octobre?
Oui, ce synode m’habite depuis longtemps. Nous avons pu constater qu’un large consensus s’est dégagé et que cela valide la méthode et le chemin parcouru. Nous allons vers une plus grande responsabilisation de tous les baptisés et la recherche d’un consensus davantage que des décisions autoritaires. Pour moi, l’un des grands enseignements de ce synode est qu’il a condamné toute possibilité d’un nouveau concile sur le modèle de Vatican II. Aujourd’hui un concile composé uniquement d’évêques ne passerait plus.

Mgr Jean-PAul Vesco, évêque d’Oran (Algérie). Ici en octobre 2015, lors du synode des évêques sur la famille | © Bernard Hallet

La question de la place et du rôle des femmes dans l’Église a été un des grands sujets débattus. Vous attendiez des annonces fortes?
Je ne fais pas partie de ces personnes qui attendaient du Synode une grande décision sur un sujet précis. Mais c’est un changement culturel qui s’est joué, une mutation, comme un concile Vatican III.

Étant à Rome pour visiter les dicastères en visite ad limina avec les évêques de ma région, j’ai été touché par le supplément d’âme qu’apporte la présence de femmes au plus haut niveau de responsabilités (secrétaire, sous-secrétaire, cheffe de bureau…). L’Église ne pourra plus se passer de la complémentarité homme-femme.

Vous avez été une voix forte lors du Synode sur la Famille en 2015, notamment sur l’accompagnement des personnes divorcées et remariées. La manière de se saisir des sujets sensibles dans l’Église a-t-elle changé après 10 ans de pontificat de François?
Je pense que la culture de la synodalité s’étend et que le Synode sur la Famille a marqué une rupture. Ce fut le premier où l’on a posé des questions aux baptisés. Les choses se sont ensuite accélérées: désormais des laïcs – hommes et femmes – ont le droit de vote lors d’un Synode. On s’aperçoit que, dans l’Église comme dans le monde, plus on partage de responsabilités, plus on en trouve à partager. Pour moi, une chose est claire: il y aura un avant et un après ›pape François’. On ne reviendra pas en arrière, et ce quelque soit son successeur.

Mgr Angelo Becciu a présidé la célébration de béatification sur le coffre kabile qui fut l’autel des moines de Tibhirine. JP Vesco est le 2e depuis la gauche | © B. Hallet

Les dix-neuf bienheureux et martyrs d’Algérie ont été béatifiés il y a six ans. Le pape François pourrait-il les canoniser prochainement?
Le pape François a reconnu le martyre de ces 19 bienheureux. Cela n’allait pas de soi. Par exemple, Charles de Foucauld n’a pas été reconnu martyr alors qu’il a été tué violemment… Par ailleurs, les 19 bienheureux ont été assassinés au cœur d’une guerre civile qui a fait 200’000 morts – dont une centaine d’imams. Sont-ils morts en haine de la foi? Ce n’est pas absolument évident. Toujours est-il que cette reconnaissance du martyre les a exemptés de miracle pour être béatifiés.
Pour une canonisation, le pape peut tout faire, y compris les exempter à nouveau de la nécessité d’un miracle reconnu. Mais personnellement, je ne le souhaiterais pas! Je préfère qu’on attende un miracle estampillé! Je sens qu’ils sont présents et agissants. Je veux que cela se voit! (cath.ch/imedia/hl/bh)

Avocat d’affaire puis religieux
Né le 10 mars 1962 à Lyon, Jean-Paul Vesco est le fils d’un agent d’assurance et d’une infirmière. Après sa scolarité, il obtient une maîtrise en droit des affaires puis un Master in Business Administration à HEC. Il exerce la profession d’avocat d’affaires à Paris entre 1989 et 1995. Touché par la vocation après avoir assisté à une messe d’ordination en 1994, Jean-Paul Vesco s’engage chez les dominicains. Il y fait sa profession religieuse simple le 14 septembre 1996 et sa profession solennelle trois ans plus tard. Ayant obtenu une licence canonique en théologie de la Faculté catholique de Lyon, il est ordonné prêtre pour l’ordre des dominicains le 24 juin 2001.
Jean-Paul Vesco s’installe en Algérie à Tlemcen dans le diocèse d’Oran où il répond à l’appel de son ordre de refonder une présence dominicaine, six ans après l’assassinat de Pierre Claverie. En 2005, il est nommé vicaire général du diocèse d’Oran. Il revient en France suite à sa nomination comme provincial puis est nommé évêque d’Oran en 2012 par Benoît XVI. Le nouvel évêque prend pour devise épiscopale la phrase «Je veux vivre et donner envie de vivre».
Le 27 décembre 2021, le pape François le nomme archevêque d’Alger en remplacement de Paul Desfarges atteint par la limite d’âge. Il est installé le 11 février 2022 en la cathédrale du Sacré-Cœur d’Alger. Depuis sa nomination à la tête de l’archidiocèse d’Alger, il est l’administrateur apostolique de son ancien siège le diocèse d’Oran durant la période de vacance. Jean-Paul Vesco a été naturalisé en février 2023, en vertu d’un décret présidentiel du Président de la République Abdelmadjid Tebboune. BH

Mgr Jean-Paul Vesco, alors évêque d'Oran, devant le portrait de Pierre Claverie | © Bernard Hallet
8 décembre 2024 | 17:00
par I.MEDIA
Temps de lecture : env. 8  min.
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