Le Centre chrétien d’études juives sous direction américaine
Jérusalem: L’Institut pontifical Ratisbonne à un tournant
Jérusalem, 18 juin 2001 (APIC) L’Institut pontifical Ratisbonne, principal Centre Chrétien d’Etudes Juives en Terre Sainte, passe en mains américaines. Il fermera ses portes fon juin pour les rouvrir en 2003. Adieu l’enseignement en français, désormais c’est en anglais que les cours se donneront. A Jérusalem, auprès des étudiants et des enseignants, la déception est grande. Personne n’avait été mis au courant de la décision du cardinal polonais Zenon Grocholewski. L’Institut est à un tournant de son histoire.
Relevant directement depuis 1998 de la Congrégation du Vatican pour l’Education Catholique, il vient d’être mis au défi de s’ouvrir davantage au monde américain. La décision émane du préfet de la Congrégation, le cardinal polonais Zenon Grocholewski, qui a nommé début juin un nouveau recteur américain pour remplacer immédiatement le recteur français.
Sur place, la mesure a fait choc parmi les enseignants, les étudiants et les amis de l’’Institut. Les enseignants ordinaires et émérites ont ressenti la décision comme «brutale et imprévisible». L’équipe des enseignants ordinaires et émérites n’a même pas été consultée. Elle a donc failli suffoquer en apprenant la nouvelle: Rome voudrait-elle faire table rase de trente ans d’expérience dans l’étude et la promotion des relations entre juifs et chrétiens, grâce à la collaboration soutenue avec les Instituts juifs d’étude et de recherche, notamment avec l’Université Hébraïque de Jérusalem ?
La mesure a d’autant plus indigné que les informations transmises au Père Jacques Briend, dont le mandat de recteur se termine, n’étaient pas les mêmes que celles apportées par son successeur appelé à prendre la relève sur-le-champ, le Père Charles H. Miller, un religieux marianiste américain, attaché jusqu’ici à l’Université créée par sa congrégation à San Antonio au Texas.
Nombreuses questions
Ce remplacement d’un recteur français par un américain n’a pas manqué de soulever des questions sur les orientationsfutures. Pas tellement sur le passage du français à l’anglais: les professeurs sont déjà multilingues. Mais c’est toute une manière d’approcher le judaïsme qui pourrait basculer. L’Institut a bâti jusqu’ici sa réputation sur l’étude patiente et méthodique des textes mêmes de la tradition rabbinique dans leur langue d’origine, l’hébreu. Il l’a fait grâce à la collaboration de collègues juifs israéliens et selon des méthodes dûment apprises à l’Université Hébraïque de Jérusalem. Cette écoute d’Israël jusque dans le timbre de sa voix et de sa tradition serait-elle en cause ?
L’Institut St-Pierre de Sion, dit «Ratisbonne», a été fondé à Jérusalem au siècle dernier par les religieux de Notre-Dame de Sion. Au lendemain du Concile Vatican II, les Pères et les Soeurs de Sion en ont fait un Centre d’études juives afin de promouvoir le dialogue avec les juifs, dans l’esprit même de la déclaration conciliaire «Nostra Aetate». En 1985, les religieux ont fait don au St-Siège du domaine de Ratisbonne et le Centre d’études est passé sous la responsabilité académique de l’Université Catholique de Paris. En 1996, le nonce apostolique en Israël a reçu mission de superviser l’élaboration des structures définitives de l’Institut qui allait passer, l’année suivante, sous l’autorité du cardinal préfet de la Congrégation pour l’Education catholique. Malgré les apparences, l’évolution ne s’inscrit pas d’abord dans une optique de centralisation, mais dans la recherche d’un soutien plus concret du St-Siège aux études juives.
Et les étudiants…
Le soutien a été accordé: une nouvelle preuve de l’intérêt porté par Rome au judaïsme. Or, trois ans plus tard, les enseignants ordinaires ne peuvent plus se fier aux nouveaux statuts . Ils se croyaient «attachés de manière stable à l’Institut». Ils ont vu tout à coup ces statuts annulés par l’autorité qui les avait promulgués. L’annonce du changement s’est d’abord limitée à la communication orale: pas de notification écrite, ni de préavis pour des enseignants sous la menace d’un licenciement sec. Le scandale a rebondi: que vont devenir les étudiants arrivés au milieu de leurs études ? Et que vont penser les nombreux collaborateurs et amis, juifs et chrétiens, de l’Institut. Les enseignants, le 11 juin, n’avaient pas encore trouvé de réponse à leur question soulevée six jours plus tôt: «Comment concilier ce mépris des lois du travail avec la doctrine sociale prêchée par l’Eglise depuis plus d’un siècle ?»
L’arrivée du Père Miller à Jérusalem a permis d’en savoir plus et de faire quelque peu tomber la tension. Le religieux américain, spécialiste de l’histoire ancienne et de l’archéologie biblique tout comme le Père Briend qui rentre en France, est nommé pour deux ans. Il a reçu pour mission de préparer une véritable refonte de l’Institut, avant tout pour assurer son avenir financier, ce qui passe par un élargissement de l’audience. En deux ans, il faudra trouver mettre sur pied un organisme qui tienne la route sur les plans académique, juridique et financier. À lui d’explorer de nouvelles pistes de collaboration, en particulier auprès des universités américaines.
Le monde anglophone privilégié
Fin juin, l’Institut va donc fermer ses portes. Il les rouvrira en septembre 2003 avec un programme académique davantage tourné vers le monde anglophone. Un programme francophone pourrait être maintenu si l’équilibre financier est assuré. Dans l’intervalle, des cours et des séminaires seront organisés pour aux étudiants de deuxième année d’achever leur parcours académique. Quant aux traitements des enseignants, un compromis a été trouvé.
Les professeurs laïcs seront payés jusqu’en juin 2002 et les professeurs religieux jusqu’en décembre 2001. Au-delà, il n’est pas exclu que des enseignants du programme francophone soient à nouveau embauchés, s’ils répondent au profil académique requis par les futurs programmes. Un chose est sûre: en 2003, l’Institut pontifical Ratisbonne ne sera pas la simple continuation du Centre chrétien d’études juives de Jérusalem. Ce Centre était ouvert à tous les chrétiens désireux d’étudier le judaïsme, qu’ils soient déjà théologiens ou spécialistes en études bibliques, ou qu’ils soient simplement prêtres ou catéchistes. Le cycle d’études s’étendait sur deux ans. De nombreuses formules étaient cependant possibles, depuis la présence en élève libre jusqu’à la maîtrise en théologie. L’Institut continuera sans doute à consacrer l’essentiel de ses efforts à la formation de base au contact de la tradition juive. C’est de la qualité même de ce «contact» que dépendra demain la réputation de la nouvelle maison. (apic/cip/pr)