Un amour d’Israël exigeant

Jérusalem: Le Père dominicain Marcel-Jacques Dubois n’a laissé personne indifférent

Jérusalem, 29 juin 2007 (Apic) Le Père Marcel-Jacques Dubois, décédé le 14 juin dernier à Jérusalem à l’âge de 87 ans, n’aura laissé personne indifférent. Longtemps mis à l’écart par certains milieux chrétiens pour son appui fervent à Israël – dont il était d’ailleurs citoyen depuis 1974 – le Père Marcel Dubois n’était pourtant plus en odeur de sainteté chez les supporters inconditionnels de l’Etat juif. Et cela depuis la parution de son dernier ouvrage «Nostalgie d’Israël» (2006).

Le célèbre dominicain, grande figure du rapprochement judéo-chrétien, y prenait une certaine distance par rapport aux positions tenues pendant la plus grande partie de sa vie.

Le Père Dubois est né le 23 mars 1920 non loin de la ville française de Tourcoing, dans le département du Nord, à la frontière belge. Il est ordonné prêtre le 21 juillet 1946 dans l’Ordre des Prêcheurs, les dominicains, où il avait fait sa profession religieuse le 23 septembre 1939. Au début de la 2ème guerre mondiale, il est nommé directeur d’un orphelinat catholique à Nancy, où il rencontrera pour la première fois des enfants juifs, qu’il sauvera des griffes de la Gestapo allemande et de ses collaborateurs français.

En 1948 il obtient le lectorat en théologie et commence à enseigner au Studium du Saulchoir, jusqu’en 1957. En 1950-1951 il séjourne à Harvard, pour préparer un doctorat qu’il soutient en 1960 à l’Angelicum, à Rome (Le temps et l’instant chez Aristote). Entre 1958 et 1962 il enseigne à l’Institut catholique de Toulouse.

C’est en mai 1962 que ce docteur en philosophie et théologie arrive en Israël. Il y anime la Maison Saint-Isaïe, dont le but était d’établir une présence chrétienne en milieu israélien. Ce centre d’études était ouvert aux chrétiens et aux juifs, jusqu’à sa fermeture en 1997. Il fut également consulteur de la commission du Vatican pour les relations avec le judaïsme jusqu’en 1995. Dès 1970, il est professeur de philosophie médiévale à l’Université Hébraïque de Jérusalem, où il exerça pendant deux mandats, les fonctions de directeur du Département de philosophie à l’intérieur de la Faculté des lettres, entre 1980 et 1985. Il prendra sa retraite en 1998, continuant cependant à diriger des séminaires. De 1989 à 1993, il fut directeur de l’Institut Ratisbonne

Depuis 1975, il fut régulièrement consulté par le Vatican pour tout ce qui concerne Jérusalem et les relations Vatican-Israël. Le religieux dominicain avait tenté de rapprocher les fidèles des trois monothéismes, sans grand succès avec les musulmans. Son penchant à l’égard d’Israël lui valut de solides inimitiés du côté des chrétiens, qui le trouvaient partial.

«Nous avons été trop naïvement sionistes !»

Prix du président de la Knesset en 1983, Prix Raoul Walenberg 1991, lauréat du prix de la tolérance de Tel-Aviv/Jaffa en 1992, Prix d’Israël en 1996 et citoyen d’honneur de la Ville de Jérusalem depuis 1989, il assiste peu à peu à la dérive violente de son pays d’adoption. C’est en 2006 qu’il publie un volume d’entretiens sur son parcours – un témoignage personnel où l’on perçoit nettement son changement d’opinion politique sur la direction de son pays d’adoption -, intitulé «Nostalgie d’Israël» (L’histoire à vif, Le Cerf, Paris).

Dans cet ouvrage – un livre d’entretiens réalisé avec Olivier-Thomas Venard, dominicain et chercheur à l’Ecole biblique de Jérusalem – le Père Marcel-Jacques Dubois prend ses distances avec ses convictions précédentes sur la politique israélienne, s’interrogeant sur les dérives de ces dernières années. Il a provoqué la déception, voire l’ire de certains de ses amis juifs et des chrétiens favorables à Israël.

Le Père Dubois se dit en fait déçu de la réalité de l’Israël d’aujourd’hui, un pays devenu plein d’idoles à l’instar des sociétés occidentales anciennement chrétiennes (argent, pouvoir sexe), mais également marqué à son tour par le grand banditisme et la corruption du monde politique.

Mais le plus choquant pour lui est le culte de la force, au service d’une sorte de culte du territoire (implantation continuelle de colonies juives sur les terres palestiniennes confisquées, poursuite de l’occupation militaire, véritable «structure de péché qui gangrène la société israélienne), qui prévaut en Israël et qui est dénoncé par de grands écrivains israéliens comme David Grossman. «Nous avons été trop naïvement sionistes !», reconnaîtra-t-il sur le tard.

C’est à ce moment là que ce grand ami d’Israël et du peuple juif qu’il a toujours été est vilipendé, notamment sur les sites internet juifs francophones. (*) Le Père Marcel Dubois, longtemps adulé par ces mêmes milieux, est désormais décrit par Shraga Blum (**) comme «un ami d’Israël de plus qui se laisse gagner par le misérabilisme pro-palestinien».

Sans remettre en cause le droit à l’existence d’Israël, il avait manifestement eu le tort de condamner la colonisation israélienne des territoires palestiniens et la manière dont le gouvernement israélien mène sa politique. L’intellectuel, décédé le 14 juin, a été enterré au monastère des Moniales de Bethléem, à Bet-Jimal. Son principal apport restera: il a tenté de jeter des ponts entre chrétiens et juifs, entre Israéliens et Palestiniens. JB

(*) Ainsi un Menahem Macina, sur le site Debriefing.org, sous la rubrique «antisionisme chrétien». Ce dernier anime notamment le site internet de l’Union des Patrons et des Professionnels Juifs de France/UPJF

(**) Rédacteur, responsable de la rubrique Vu sur le net de la radio Arouts 7 créée pour «mettre fin à l’hégémonie de la gauche sur les médias israéliens»)

Quelques ouvrages en français

– Vigiles à Jérusalem, Apt. Robert Morel, 1976

– Paradoxes et mystère d’Israël, L’Olivier, Jérusalem, 1977, 1985; Nouvelle édition augmentée, Parole & Silence, Lausanne, 1994.

– Israël, Poète de Dieu, La vocation poétique et la vocation d’Israël selon Paul Claudel, L’Olivier, 1977, 1985.

– Rencontres avec le judaïsme en Israël, L’Olivier, 1983.

– L’exil et la demeure, Journal de bord d’un chrétien en Israël, L’Olivier, 1984.

– Jérusalem dans le temps et l’éternité, Parole & Silence, 2005.

Contributions à des ouvrages collectifs:

– «Le sens de la vie aux yeux du chrétien», in Asa Kasher, Le sens de la vie, en hébreu, trad. Avital Wohlman, Université de Tel-Aviv, 1999.

– «L’Eglise et les Juifs au XXe siècle», in Saul Friedlander et Elie Barnavi, Les Juifs et le 20e siècle, 2000.

– «Israël-Palestine: au-delà de la colère», in Alain Michel, Désaccords de paix, Hommes de parole, Paris, 2001.

(apic/be)

29 juin 2007 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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