Genève: Affaire du suicide de l’ancien curé de Carouge

L’Eglise se défend de porter atteinte aux droits de la personne

Genève, 23 février 2010 (Apic) L’annonce, le 9 février dernier, de deux nouvelles affaires d’abus sexuels dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg a été suivie du suicide d’un des prêtres concernés, l’ancien curé de Carouge. Or, il n’était pas inculpé et n’avait pas encore été entendu par la police. Des voix se sont donc élevées pour dénoncer une «communication hasardeuse de l’évêché».

Des articles, dans le quotidien Le Temps du 22 février et l’hebdomadaire L’Illustré du 23 février, remettent en question la politique d’information de l’Eglise. L’évêché a-t-il eu raison de diffuser un communiqué au sujet de ces deux nouvelles affaires, sur Vaud et Genève? Un prêtre qui n’est que soupçonné d’un cas d’abus sexuel ne doit-il pas être protégé par le principe de présomption d’innocence?

Mgr Farine explique à l’Apic quels sont les motifs qui l’ont conduit à faire preuve de transparence dans cette affaire.

Apic: Les Directives de 2002, révisées en 2010, des évêques suisses sur les abus sexuels précisent que «Le cercle des personnes informées et les informations livrées doivent se réduire au strict nécessaire». Or, que signifie, dans ce cas, le «strict nécessaire»?

Mgr Pierre Farine: Le «strict nécessaire» est une notion forcément subjective, mais dans ce cas, elle a été respectée dès le début de la procédure, pour la simple raison qu’il n’y avait à ce moment-là que la commission SOS Prévention (*) et le cercle rapproché de l’évêque, ainsi que les curés en place à Carouge, qui étaient mis au courant de ce cas. Il s’agit donc d’un cercle restreint. Pour le cas genevois, seuls mes plus proches collaborateurs du vicariat à Genève (3 personnes) étaient informés. Et ceci jusqu’à la diffusion du communiqué le 9 février dernier.

Suite à l’interview au journal télévisé du 11 février, il était prévu que je rencontre les conseils de paroisse et de communauté à Carouge pour les informer de la situation le samedi 12 février dans l’après-midi. La triste nouvelle du décès de l’abbé Niering m’est parvenue vers midi ce même samedi. J’ai donc jusqu’au bout respecté le principe de diffusion au «strict nécessaire».

Apic: Mais en informant la population à travers le communiqué du 9 février sur les deux cas d’abus sexuels présumés, c’est davantage que «le strict nécessaire», alors qu’il n’y a pas inculpation et, semble-t-il, «parole contre parole» …

PF: Cette information est tout de même intervenue 4 mois après la dénonciation à la justice. Et elle allait de toute manière «sortir» par l’entremise du Ministère public genevois.

Par ailleurs, une information était nécessaire sur le cas vaudois du fait que le prêtre en question était relevé de son ministère. J’ai donc décidé de communiquer sur ce cas genevois, avec l’accord, non seulement de la Commission SOS-prévention, mais aussi de la famille de la victime, qui se sentait prête à ce moment-là, après un cheminement nécessaire et compréhensible. Si je n’avais pas communiqué sur les deux cas, comme les informations commençaient de toute manière à circuler à Genève, on aurait une fois de plus reproché à l’Eglise de dissimuler des cas. De plus, je ne peux pas laisser dire que c’était «parole contre parole». Qu’en sait-on? Sait-on si le prêtre soupçonné a nié les faits qui lui étaient reprochés?

Apic: On a reproché autrefois à l’Eglise son manque de transparence, et on lui reproche maintenant son empressement à livrer les informations …

PF: C’est vrai. Et c’est aussi vrai que lorsque l’on veut tuer son chat on dit qu’il a la gale. Donc l’Eglise fait toujours tout faux. Il est devenu politiquement correct de l’affirmer. Mais cela ne concerne pas seulement la presse, et de loin pas tous les journalistes.

Et ma volonté de ne rien dissimuler reste intacte. A la lumière de ces tristes événements, il faudra probablement évaluer de quelle façon communiquer, mais je continuerai de procéder avec la même diligence.

La procédure d’information adoptée par la Conférence des évêques suisses a été appliquée à la lettre. Bien entendu nous tirerons les enseignements de cette malheureuse affaire, mais pas maintenant. Lorsque ce sera plus calme.

Apic: … et aussi lorsque le nouvel évêque sera nommé. Le traitement des affaires d’abus sexuels sera une de ses priorités, j’imagine.

PF: Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement, bien entendu.

Apic: Dans le cas de ce prêtre, et dans une situation assez complexe d’assistance et d’aide à une famille, y a-t-il davantage que des soupçons?

PF: Oui, il y a davantage que des soupçons. Mais cette affaire relève en priorité de la Commission SOS-Prévention. C’est elle, avec mon accord, qui a transmis le dossier à la justice civile. La présidente de la commission, l’ancienne juge Françoise Morvant, l’a dit elle-même dans la presse: «Une caresse sur l’épaule ne justifie pas une transmission à la justice!»

Quant aux détails sur les accusations diffusées dans la presse, je peux vous garantir que les journalistes ne les ont pas obtenus de source diocésaine. La révélation de ces détails pour le moins sordides, et relevant, à mon sens, du secret de fonction, est à rechercher ailleurs que dans les instances diocésaines. Je crois savoir en outre, que même l’avocat de la victime n’a pas connaissance du dossier. Il n’a pas les comptes-rendus des auditions.

Apic: Le nom du prêtre a été diffusé dans la presse. A quel moment avez-vous révélé son identité? Au moment où vous avez annoncé son suicide à son ancienne communauté paroissiale?

PF: Le samedi 12 février, j’ai informé la communauté paroissiale de Carouge en ces termes: «C’est avec une grande tristesse que je vous annonce ce soir une mauvaise nouvelle: votre ancien Curé, l’abbé Niering, a été retrouvé mort dans son appartement.» Le mot «suicide» n’a pas été évoqué à ce moment-là, et c’était de plus la première fois que l’Autorité diocésaine prononçait le nom de ce prêtre. Dans le communiqué du 14 février, je le nomme bien évidemment, pour dissiper un malentendu: Le Matin dimanche ayant écrit dans l’édition de la veille qu’il s’agissait du curé de Carouge, les familles et amis fribourgeois des deux prêtres actuellement en fonction étaient légitimement inquiets.

Apic: Mais alors, qui a fait le lien entre le décès de ce prêtre, qui s’est avérée être un suicide, et l’affaire d’abus sexuels annoncée quelques jours auparavant dans votre communiqué?

PF: La presse, et la télévision en particulier, s’est mise en chasse d’un nom après la diffusion du communiqué le 9 février. Car le communiqué ne divulguait bien entendu aucun nom et aucun élément permettant d’identifier les prêtres soupçonnés de ces abus.

Et lorsque j’ai reçu un téléphone de la télévision romande le vendredi après-midi 11 février pour l’interview diffusée au téléjournal du soir, des images de l’église de Sainte-Croix à Carouge avaient déjà été tournées. Le lien entre ce décès et l’affaire d’abus sexuels était déjà établi par les journalistes de la TV.

Encadré:

L’affaire est close

Atteinte par l’Apic, la présidente de la commission diocésaine SOS prévention, l’ancienne Juge d’instruction du canton de Fribourg Françoise Morvant, ignore d’où proviennent les informations sur les détails des relations entre le prêtre et sa victime présumée diffusées dans la presse. En tous cas pas de sa commission, qui s’en est tenue à la plus stricte confidentialité. Elle a simplement estimé que les éléments réunis étaient suffisamment importants pour être transmis à la justice.

Le décès du prêtre signifie la fin de la procédure pénale. Cette affaire ne sera donc jamais totalement éclaircie? «La vérité est connue de la victime seule?», souligne Françoise Morvant. Sa commission peut tout au plus suivre ce dossier dans le cadre d’un accompagnement personnel de la victime présumée ou de sa famille.

L’évêché a-t-il eu raison de diffuser l’information sur ces deux affaires d’abus sexuels? «Autrefois, on reprochait à l’Eglise de manquer totalement de transparence. Et maintenant, il lui est reproché d’informer la population», fait remarquer Françoise Morvant, qui se dit adepte de la plus grande transparence possible.

Quant à l’autre affaire, concernant un prêtre dans le canton de Vaud, du fait de la prescription pénale, le dossier a été transmis au Saint-Siège, autorité habilitée à prendre des mesures d’ordre canonique contre l’homme d’Eglise en question. Pour l’instant, le prêtre a été suspendu par son évêque de tout ministère durant le temps de l’enquête.

(*) La commission diocésaine SOS prévention est présidée par Françoise Morvant, ancienne Juge d’instruction du canton de Fribourg. Elle est assistée de Franziska Bolliger, ancienne Juge d’instruction pour les affaires LAVI (Loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions), du docteur Michel Schmidt, médecin spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, Me Jacques Meyer, avocat, et du Père dominicain Benoît-Dominique de La Soujeole, .

(apic/bb)

23 février 2011 | 17:58
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
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