L’émission sur le suicide assisté suscite de vives réactions
Suisse: «Temps Présent», la Commission pour la communication et les médias de la Conférence des évêques interpelle la TSR et SF
Fribourg/Sierre, 18 février 2011 (Apic) «Dignitas, la mort sur ordonnance», titre de l’émission du magazine de reportages «Temps Présent», sur les ondes de la télévision suisse romande TSR1 jeudi soir 17 février, suscite de nombreuses et vives réactions de part et d’autre du spectre des convictions morales ou religieuses.
L’émission montre la démarche de la Française Michèle Causse, une femme écrivain de 74 ans, déterminée à mourir comme elle l’avait choisi: le jour de son anniversaire, dans les locaux de l’organisation d’aide au suicide «Dignitas» à Pfäffikon, dans la banlieue de Zurich.
La Suisse est pour le moment le seul pays au monde à permettre aux étrangers de venir mourir sur son sol. Depuis 1998, plus d’un millier de personnes ont déjà fait le voyage pour mourir avec «Dignitas», l’organisation d’aide au suicide fondée par Ludwig Minelli, un avocat pour le moins controversé.
La Commission qualifie d’»irresponsable» la manière dont la TSR et SF ont abordé ce thème hautement complexe
La Commission pour la communication et les médias de la Conférence des évêques suisses (CES) a protesté vendredi 18 février auprès de la direction de la télévision suisse romande, mais également auprès de celle de la télévision suisse alémanique, qui a passé le même soir sur SF1 le film documentaire «Tod nach Plan», sur le même sujet. Dans ce cas, André Rieder, âgé de 56 ans, un homme malade psychiquement, se fait accompagner dans la mort par l’organisation d’aide au suicide «Exit». La Commission qualifie d’»irresponsable» la manière dont la TSR et SF ont abordé ce thème hautement complexe et controversé. Elle estime que les questions critiques n’ont pas été posées.
L’Apic a interviewé à ce sujet l’abbé Michel Salamolard, à Sierre (Valais), auteur de l’ouvrage «L’incitation et l’aide au suicide. Le ’modèle’ suisse et la situation française», Saint-Maurice, Saint-Augustin, 2010. L’abbé Salamolard porte un regard critique sur l’émission de «Temps Présent», diffusée le 17 février 2011.
Apic: Vous avez écrit un livre sur l’incitation et l’aide au suicide en Suisse. Que pensez-vous de l’émission de «Temps Présent» sur ce sujet ?
Michel Salamolard: Que ce sujet soit abordé par une émission telle que «Temps Présent» me paraît utile. C’est une question de société incontournable, surtout en Suisse. En effet, le si discutable article 115 de notre Code pénal nous met dans une situation de plus en plus intenable en ce qui concerne l’incitation et l’aide au suicide. En revanche, la manière de traiter, ou plutôt de maltraiter, ce sujet dans l’émission dont vous parlez, pose d’énormes questions.
Apic: Assiste-t-on là à une dangereuse dérive ? Si oui, laquelle ?
Michel Salamolard: Pour moi, c’est avant tout une dérive journalistique. Que nous a-t-on montré ? Premièrement, un suicide banalisé, apparemment sans motif, vécu de façon rigolarde.
J’ai ressenti cela comme une insulte aux détresses véritables vécues aussi bien par des suicidants que par leurs proches. Une insulte aussi à tous les médecins, soignants, autres professionnels et bénévoles qui accompagnent nos malades et nos aînés dans les EMS.
Deuxièmement, on n’a fait entendre qu’une voix partisane, celle du patron de «Dignitas». Quant à la mise en perspective et à l’analyse, «Temps Présent» s’est défaussé entièrement sur les téléspectateurs, dont les nombreux commentaires vont dans tous les sens. J’appelle cela du «journalisme racoleur et penaud». Racoleur parce qu’il fait vibrer des cordes sensibles, penaud parce qu’il n’assume pas sa responsabilité critique. Sans le vouloir sans doute, ceux qui ont produit et réalisé cette émission contribuent de fait à la banalisation du suicide.
Apic: L’organisation d’aide au suicide «Dignitas» risque-t-elle de faire reculer les repères éthiques de notre société ? Que cela signifierait-il pour notre avenir ?
Michel Salamolard: «Dignitas» – tout comme «Exit» -, a déjà fait reculer les repères éthiques de notre société, en se livrant à une promotion de plus en plus effrénée du suicide. Le récent arrêt du Tribunal fédéral, autorisant le suicide assisté d’un malade psychique, témoigne de cette dérive bien réelle. En poursuivant dans ce sens, nous allons vers l’aide au suicide sans autre motif que la décision individuelle et vers une promotion générale du suicide.
Cela signifie une dévalorisation de la prévention du suicide tout comme des soins palliatifs, les deux méritant au contraire d’être intensifiés. Mais n’oublions pas que ces dérives sont hélas légales en Suisse. Elles découlent d’un code pénal aberrant sur ce sujet. Il met en cause directement une des premières obligations de l’Etat, celle de protéger la vie de tous les citoyens, spécialement les plus faibles.
Apic: Que dit l’Eglise catholique dans ce domaine ?
Michel Salamolard: L’Eglise répercute le message de l’Evangile, qui est clair. «Choisis la vie. Aime ton prochain comme toi-même». C’est une exigence de solidarité sans faille. Elle pousse à prévenir les suicides, à développer toutes les aides possibles, à créer un climat social porteur d’espérance et d’amitié.
Apic: Est-ce que sa voix peut être entendue dans la société actuelle ?
Michel Salamolard: D’une part, l’Eglise ne fait pas suffisamment entendre sa voir dans ce domaine. Elle parlerait moins de sexe et davantage de solidarité, elle serait mieux entendue. Mais, d’autre part, notre culture, notamment médiatique, n’écoute pas volontiers une voix discordante dans le vrombissement du culturellement correct, aujourd’hui assourdissant. Le slogan de Mai 68 imprègne encore l’atmosphère: «Il est interdit d’interdire». L’interdit de l’homicide, l’interdit de se désintéresser du suicide d’autrui sont ressentis comme d’insupportables agressions.
Apic: Et vous, personnellement, que répondriez-vous aux personnes qui estiment avoir le droit de choisir le moment de leur mort ?
Michel Salamolard: Je les écouterais, m’efforçant de les comprendre, je leur répondrais par des gestes plutôt que par des mots: une main sur l’épaule, une étreinte amicale, un regard positif, un repas partagé. C’est le mystère inviolable de chaque conscience.
En revanche, je m’adresse à tous les citoyens de ce pays, aux autorités politiques, aux journalistes, aux Eglises, à moi-même, et je demande: «Que faites-vous concrètement pour prévenir les suicides ? Quelles lois préparez-vous ? Quelle aide offrez-vous aux personnes qui souffrent ? Quels messages diffusez-vous ? Messages de mort ou messages de vie ? Messages qui nourrissent l’espérance ou messages qui l’étouffent ? Messages du chacun pour soi ou messages d’entraide et de solidarité ?» Les choix individuels, dans des situations exceptionnelles, ne sauraient diminuer notre responsabilité éthique, politique et sociale. JB
Encadré
«Nous serons tous, un jour ou l’autre, malades»
Suite aux deux émissions sur le suicide assisté diffusées le 17 février 2011 sur les télévisions suisse alémanique et suisse romande, la Commission pour la communication et les médias de la Conférence des évêques suisses (CES) a adressé une lettre à la direction de la SRF (Schweizer Radio und Fernsehen) et de la RTS (Radio Télévision Suisse Romande). Simon Spengler, secrétaire exécutif de la Commission a répondu aux questions de l’agence Apic.
Apic: Que pensez-vous de l’émission de Temps Présent diffusée le 17 février 2011?
Simon Spengler: Cette émission était problématique. Je ne dénie pas à la télévision publique le droit de traiter un tel sujet. Il s’agit d’un problème réel dans notre société. Ce qui me gêne, c’est d’abord l’heure choisie, en prime time. Le fait qu’aucun débat avec des représentants de l’Eglise catholique n’ait été organisé me pose également problème.
Il s’agit également d’un problème politique. «Exit» et «Dignitas» naviguent en zone grise juridiquement parlant et désirent qu’une loi régularise leurs agissements. Dans le contexte actuel, ces émissions servent la cause de ces deux organisations. On ne peut pas accepter passivement une telle évolution.
Apic: Assiste-t-on là à une dangereuse dérive?
Simon Spengler: Oui, parce qu’avec de telles émissions, on donne l’impression aux malades et aux familles que la meilleure solution est le suicide. Pire, on ne présente pas d’alternative alors qu’il en existe.
Apic: L’organisation d’aide au suicide «Dignitas» risque-t-elle de faire reculer les repères éthiques de notre société?
Simon Spengler: C’est déjà le cas. Permettre à toute personne malade de recourir à une aide au suicide, c’est une pratique qui rappelle de mauvais souvenirs. Le national-socialisme éliminait ainsi ses malades. C’est un problème fondamental car nous serons tous, un jour ou l’autre, malades.
Apic: Que dit l’Eglise catholique dans ce domaine et est-ce que sa voix peut être entendue dans la société?
Simon Spengler: Bien sûr que la voix de l’Eglise doit se faire entendre. La société attend également de l’Eglise qu’elle s’exprime. Pour l’Eglise, la vie est un don de Dieu, ce n’est pas à l’homme de choisir le jour de sa mort. Je ne peux cependant présenter la position de l’Eglise catholique suisse sur ce cas précis, il faudrait demander à un évêque.
Apic: Que répondrez-vous aux personnes qui estiment avoir le droit de choisir le moment de leur mort?
Simon Spengler: C’est une question difficile. Selon mes convictions, un homme n’a pas le droit de se suicider parce que la vie est un don de Dieu. Mais je ne peux pas juger les décisions des autres. C’est, en fin de compte, une question de conscience. Propos recueillis par Aude-May Cochand. (apic/amc/be)