Cas unique en Suisse, l’Etat de Vaud est propriétaire de presque toutes les cures réformées du canton. Aisément reconnaissables grâce à leur volets peints en vert et blanc, ces bâtisses – pour les plus intéressantes du 17e et 18e siècle – racontent l’histoire du pays: de l’occupation bernoise en 1536 à la révolution vaudoise de 1798. A ce titre, elles sont classées monuments historiques. Les quelque 150 cures du canton servent toujours d’habitation aux pasteurs, conformément à l’engagement pris par les Bernois – lorsqu’ils importèrent la Réforme en terre vaudoise – puis par l’Etat de Vaud, de nourrir et loger les ministres du culte.
L’Etat de Vaud ne vendra pas les cures protestantes dont il est propriétaire. L’idée, émise dans le cadre des mesures d’économies budgétaires, ne se concrétisera pas, ainsi en a décidé la semaine dernière le Conseil d’Etat. Les prix de location risquent c
«Aujourd’hui, la moitié des pasteurs vit hors des cures», précise d’emblée Jean-Paul Perrin, membre permanent du Conseil synodal. Le corps pastoral vaudois compte environ 300 ministres. «Logement de fonction» du pasteur de paroisse, la cure traditionnelle possède un minimum de 7 pièces dont celle «à donner», qui était réservée aux hôtes de passage. L’entretien et les rénovations de ces demeures incombent au canton. Le loyer mensuel des vénérables bâtisses, fixé par une commission paritaire Eglise-Etat, est compris entre 800 et 1’400 francs, charges non comprises. Le Conseil d’Etat vaudois vient toutefois de décider «d’améliorer le rendement locatif des cures». Dans la foulée, il reverra également l’obligation pour les pasteurs d’habiter la cure.
Et les cures catholiques?
Tout autre est le régime des cures catholiques en pays de Vaud. On en recense une cinquantaine, propriété des associations paroissiales catholiques, qui en assurent l’entretien. L’Eglise catholique a bien essayé de négocier avec l’Etat afin d’obtenir une compensation pour la rénovation des cures, mais sans succès. Si les temples protestants du canton sont propriétés des communes, les églises catholiques appartiennent aux associations paroissiales. Les communes ont toutefois une obligation d’entretien des lieux de culte catholiques. «Parfois, les communes chipotent un peu, puisqu’elles ne sont pas propriétaires», souligne Jean-Philippe Gogniat, secrétaire général de la Fédération des paroisses catholiques.
Eglise propriétaire
Dans les deux cantons qui connaissent la séparation de l’Eglise et de l’Etat – Genève et Neuchâtel – cures et lieux de culte appartiennent à la caisse centrale de l’Eglise. A Genève, où il convient de parler de presbytères lorsqu’il s’agit des habitations des pasteurs, les bâtiments datant d’avant 1907 sont réputés «inaliénables», c’est-à-dire qu’il ne peuvent en aucun cas être vendus. Dix presbytères, autrefois propriété des communes genevoises, relèvent de cette catégorie sur les vingt que possède l’Eglise nationale protestante de Genève (ENPG). «L’Eglise croule sous les frais de ces bâtiments dont l’entretien est à sa charge», relève Henriette Maire, chargée d’information de l’Eglise nationale protestante.
Depuis 1907, date de la séparation avec l’Etat et donc de la remise de ses biens a l’Eglise, l’ENPG a complété son parc immobilier, à la faveur notamment de legs. L’Eglise protestante du bout du lac possède aujourd’hui encore 35 temples, datant d’avant 1907, et une vingtaine de lieux de cultes ou de bâtiments de paroisses construits plus récemment. Ces dernières années, déficits cumulés obligeant, l’Eglise protestante genevoise a dû se défaire d’une partie de ses biens. On recense 70’000 foyers protestants dans le canton, représentant quelque 100’000 réformés, mais seuls 16’000 se sont acquittés l’an passé de leurs contributions.
A Genève, comme à Neuchâtel, les Eglises reconnues (catholique romaine, catholique chrétienne et protestante) dépendent de la contribution ecclésiastique versée sur une base volontaire par les fidèles. L’Eglise évangélique reformée du canton de Neuchâtel (EREN) possède une soixantaine de cures louées 800 francs par mois, charges non comprises, aux pasteurs de paroisses.
«En principe, tous les pasteurs neuchâtelois inscrits au tableau des ministères jouissent d’un loyer identique. Ceux qui sont obligés de vivre ailleurs que dans la cure reçoivent une compensation», indique Werner Alder, administrateur de l’EREN. Les pasteurs neuchâtelois ont l’obligation d’occuper le logement de fonction, souvent cossu et classé, mis à leur disposition, contrairement à leurs collègues genevois qui rechignent parfois à changer de domicile pour vivre dans le presbytère paroissial, voire même dans la paroisse.
Une Eglise qui boursicote
La décision remonte au Synode de février dernier. Gérés professionnellement, les intérêts ne devraient pas tarder à fructifier grâce à de judicieux placements en bourse. Rentrées escomptées: un million de francs annuellement. Bien sûr, quelques voix discordantes ont été entendues sur les bords du Rhin, inquiètes de l’aspect éthique de l’opération. L’Eglise reformée bâloise n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai, elle a déjà obtenu d’excellents résultats en plaçant les avoirs de la caisse de retraite de ses employés. «Dieu nous a donne des talents que nous devons faire fructifier», sourit Olivier Perregaux, en résumant les arguments des partisans du projet.
En 1960, l’Eglise reformée bâloise comptait encore quelque 135’000 membres, aujourd’hui, il sont à peine 48’000 et si l’exode continue, ils seront moins de 40’000 en 2002. Moins de protestants signifient donc moins de contributions ecclésiastiques. L’Eglise reformée bâloise, indépendante de l’Etat, lève ses propres impôts auprès des contribuables déclarés protestants; pour diverses raisons et notamment pour échapper à l’impôt ecclésiastique les reformés bâlois peuvent «sortir de l’Eglise». Ce qu’ils ont fait en masse ces dernières années. A Bâle, temples vides riment avec caisses vides.
Accord historique
Dans la plupart des autres cantons suisses, le régime des cures se calque sur un modèle standard, à savoir que cures et lieux de cultes appartiennent aux paroisses. C’est le cas dans le canton de Zurich, avec quelques exceptions qui donnent un droit de regard au canton ou à des fondations s’agissant de certaines cures anciennes. Au siècle dernier, en échange de biens d’Eglise, l’Etat de Zurich s’était engagé à payer le salaire des pasteurs. Des lors, l’Etat fixe les salaires, dont il paie le 63%, le solde étant à la charge des paroisses. Les «Historische Rechtstitel», l’accord au terme duquel l’Eglise reformée renonçait au siècle passé à ses biens fonciers au profit de l’Etat, pourraient constituer la principale pierre d’achoppement sur le chemin de l’autonomie que souhaitent aujourd’hui les deux Eglises reconnues – protestante et catholique – tout autant que l’Etat.
Le peuple zurichois se prononcera sur cette question vraisemblablement en l’an 2000, ont annoncé le 9 juillet les parties concernées. En 1995, une initiative cantonale demandant la séparation entre les Eglises et l’Etat avait été rejetée en votation populaire. Pour donner à l’Eglise les moyens de son autonomie, «un compromis financier sera nécessaire et il se situera obligatoirement sur le terrain politique», relève Ulrich Frei, rédacteur en chef de l’hebdomadaire «Reformierte Presse», membre du Synode réformé de Zurich. «La question est de savoir combien l’Etat est prêt à débourser pour solder ces «Rechtstitel», observe le journaliste zurichois.
Berne: salaires visés
Ni autonomie, encore moins séparation entre les Eglises et l’Etat dans les territoires couverts par l’Union synodale Berne-Jura, note pour sa part Paul-Andre Visinand, pasteur régional dans l’arrondissement jurassien. Première Eglise reformée de Suisse en taille, l’USBJ rassemble les réformés bernois, d’une partie du canton de Soleure et de la Republique et canton du Jura. «L’Eglise reformée bernoise est certainement la mieux lotie de Suisse», reconnaît le pasteur Visinand. Le canton possède bien ici ou la quelques cures, mais dans l’ensemble, les paroisses en sont propriétaires. Il y a deux ans, l’Etat a même renoncé au droit qu’il avait d’encaisser les loyers des cures, qu’elles lui appartiennent ou non. Désormais, les paroisses perçoivent la location qui leur est due.
Selon le concordat qui lie l’Eglise et l’Etat, ce dernier a le devoir de rétribuer les pasteurs paroissiaux. De nouvelles mesures d’économies sont toutefois prévisibles dans le canton; elles n’épargneront pas les Eglises reconnues: réformée, catholique-romaine, catholique-chrétienne et depuis peu la communauté juive. Apres une diminution des effectifs pastoraux, les salaires versés aux ministres pourraient bien être la cible des prochaines économies cantonales. (apic/spp/pr)