Jura bernois, terre d’accueil des mouvements évangéliques (II)
L’évangélisme sous la loupe d’un sociologue et d’une historienne
Lausanne, 26 janvier 2012 (Apic) Olivier Favre, sociologue à l’Observatoire des religions de l’Université de Lausanne, souligne que le Jura bernois a toujours été un terreau fertile à l’immigration de personnes animées d’une grande piété: «Il suffit de mentionner l’afflux des anabaptistes victimes des persécutions au 17e siècle ou l’arrivée de Suisses alémaniques, Bernois notamment, qui se sont installés dans la région au 19e siècle pour des raisons économiques. Ces facteurs ont favorisé l’émergence de l’évangélisme en terre jurassienne.»
Et celui qui est aussi pasteur évangélique à Neuchâtel de mettre en lumière un autre phénomène: «A l’instar de Genève, le Jura bernois est une région traversée par des courants de Réveil dans les paroisses réformées.»
Comme le rappelle Olivier Favre, les communautés évangéliques du Jura bernois étaient autrefois très repliées sur elles-mêmes. «Sans vouloir justifier cette attitude, celle-ci peut s’expliquer par une sorte de réflexe négatif face à une société qui était persécutrice. La liberté de religion et de culte, ne l’oublions pas, ne date que de la Constitution fédérale de 1874.» Le sociologue ajoute: «Ce mode de vie en vase clos jetait aussi ses racines dans une théologie qui incitait à se méfier du monde extérieur. On peut citer l’Evangile selon saint Jean: Vous êtes dans ce monde, mais vous n’êtes pas du monde.»
Depuis une vingtaine d’années, toutefois, les communautés évangéliques du Jura bernois jouent la carte de l’ouverture: «Aujourd’hui, force est de constater, à l’échelle des observations générales, que les évangéliques de la partie francophone du canton de Berne sont impliqués dans la vie sociale, dans les organisations professionnelles. Et signe qui ne trompe pas, des groupes réputés conservateurs comme l’Eglise du Christ, l’ancienne Assemblée évangélique des Frères, s’ouvrent désormais eux aussi au monde extérieur.»
L’isolationnisme des évangéliques appartient au passé
Catherine Krüttli, historienne et responsable de Mémoires d’ici (Centre de recherche et de documentation du Jura bernois), à Saint-Imier, est sur la même longueur d’onde: «C’est une évidence, l’isolationnisme des communautés évangéliques – ce sentiment qu’il faut vivre entre soi pour se protéger de l’extérieur – appartient à une époque révolue. De nos jours, les évangéliques entretiennent des relations avec les réformés et les autres Eglises, les mariages mixtes sont légion et les écoles exclusivement évangéliques ont disparu. Je ferais remonter cette ouverture aux années 70.»
Catherine Krüttli nuance néanmoins le tableau: «En dépit de cette évolution, les communautés évangéliques du Jura bernois ont gardé leurs habitudes, leur cadre de vie et leurs lieux de rencontre. En d’autres termes, il reste encore une dimension très communautaire dans leur mode de fonctionnement.»
Encadré
«Les évangéliques continuent de vivre dans leur monde»
«Même si les communautés évangéliques se sont ouvertes ces dernières années, leur mode de vie suscite toujours une certaine incompréhension parmi les villageois.» Souhaitant s’exprimer sous le sceau de l’anonymat, cet habitant du Jura bernois, membre de l’Eglise réformée âgé d’une quarantaine d’années, porte un regard critique sur ces groupes religieux, une attitude que partagent, selon lui, une grande partie des Jurassiens bernois.
En cause, leur esprit communautaire et une intégration pour le moins problématique: «Même s’ils ne posent aucun problème, s’ils ne dérangent pas, ces communautés continuent de vivre un peu dans leur monde, entre eux. Ils ont peu de liens avec les sociétés locales, avec les autochtones, de telle sorte qu’ils sont très souvent perçus négativement par la population», explique le Jurassien bernois.
Encadré:
L’évangélisme, portrait d’un mouvement en plein essor
L’évangélisme, la seule mouvance chrétienne qui progresse sous nos cieux, regroupe près de 150’000 fidèles, 2% de la population suisse, pour 1’400 Eglises. Il faut ajouter à ce chiffre près de 100’000 personnes de foi évangélique, mais qui restent liées aux paroisses réformées.
Spécialiste confirmé de l’évangélisme – il est l’auteur de l’étude très fouillée «Les Eglises évangéliques de Suisse. Origines et identités» parue en 2006 –, Olivier Favre identifie trois piliers doctrinaux du mouvement: la reconnaissance de l’autorité exclusive des Ecritures, incluant leur infaillibilité, la nécessité d’une foi personnelle et d’une conversion individuelle ainsi que l’insistance sur l’évangélisation. Dénominateur commun de cette mouvance: une morale conservatrice qui se traduit par l’opposition à l’avortement, à l’homosexualité, au divorce et à l’euthanasie.
Aux yeux d’Olivier Favre, sociologue à l’Observatoire des religions de l’Université de Lausanne, l’évangélisme, loin d’être un bloc monolithique, comprend trois branches: les évangéliques classiques ou modérés, les pentecôtistes et les conservateurs ou fondamentalistes. Courant le plus dynamique de l’évangélisme – il connaît ces dernières années un développement fulgurant –, le pentecôtisme, né aux Etats-Unis au début du 20e siècle, cultive l’expérience émotionnelle de la présence divine et se caractérise par le caractère professant du groupement religieux. Selon l’historien français Sébastien Fath, son succès s’explique par l’accent mis sur l’épanouissement personnel et la dimension thérapeutique, mais également par la convivialité et la solidarité au sein des communautés.
Olivier Favre, lui-même pasteur au Centre de vie, une Eglise charismatique neuchâteloise, estime que les pentecôtistes représentent un tiers des chrétiens évangéliques suisses. Quant aux fondamentalistes, ils forment un dixième de l’évangélisme helvétique et les modérés 50% de cette mouvance protestante, estime le sociologue des religions.
(apic/eda/bb)