L’homme d’hier, l’homme aujourd’hui: d’un seul et unique bloc

«Je ne sais pas si tout danger est aujourd’hui écarté, s’inquiète aujourd’hui à San Borja le Père Frésard. Des mouvements de guérilla existent toujours, pas très importants peut-être, mais ils sont une réalité». Agé, le Père Schaller est actuellement malade, soigné à La Paz. La lettre envoyée au maire de Vallegrande pour protester contre la récupération touristique des manifestations du 30e anniversaire de la mort du «Che, indécentes à ses yeux? «Des lettres? Le Père Schaller en écrit dès lors que quelque chose ne lui plaît pas, dès lors qu’il a quelque chose a demander, à revendiquer en faveur de ses communautés, de son village. Les tables des ministères de La Paz en regorgent», nous assure-t-on en Bolivie. Et même à Santa Rosa, où un éventuel départ serait cruellement ressenti…

La preuve… Sur la Place du village de Santa Rosa inondée de soleil, écrasée par la moite et étouffante chaleur de la pampa amazonienne: une statue. Pas comme les autres pourtant. Celui qu’elle représente, chose assurément rare, vit encore. Sur le socle, une inscription: «Révérend Padre Roger Schaller, de la part du gouvernement municipal de Santa Rosa, en reconnaissance à son immense labeur social et religieux développé en faveur des enfants de notre terre. Roger, merci pour l’immortalité de ton œuvre. Le maire et la municipalité Santa Rosa, le 19 février 1997».

Il est fier de sa nouvelle église refaite le «padrecito», le petit papa, comme l’appellent affectueusement les gens du lieu. Mais pas content de sa statue… «C’est pas moi, ça…. J’ai l’air d’un vieux gaga qui a la tremblote». Et pourtant, sourit le maire de Santa Rosa, tout proche, «vous êtes là tel que l’on vous connaît… toujours en train de monter aux barricades, pour obtenir ceci ou cela, quitte à engueuler les gens, y compris les autorités et même celles de La Paz».

Contestataire pour la bonne cause

Comme pour donner raison au maire de Santa Rosa, le Père Schaller, avec les autres conseillers municipaux et les citoyens, a pris ce samedi-là la tête d’une manifestation. Ensemble ils retiennent en «otage» le responsable départemental des routes, le délégué du préfet. Pour protester contre l’état déplorable du chemin San Borja – Santa Rosa. «Cela fait deux ans qu’on se bat en vain. Il repartira d’ici avec un accord signé: Il faut remettre les routes en état avant la saison des pluies, fin novembre début décembre», s’indigne le Père Schaller. «C’est une honte. Si nous avions à transporter d’urgence un malade à Reyes par exemple, il en mourrait».

Devant et dans la salle communale, les esprits s’échauffent. Le missionnaire tente d’apporter une solution. Qu’il obtiendra avant que cela ne dégénère. «Hier soir déjà, dit-il, le sang a coulé parce que les camionneurs bloquaient l’accès du village à tout véhicule». Pour Elvio, maire de ce village de 3’000 habitants, 6’000 avec l’ensemble du territoire de la paroisse, le Père Schaller est plus qu’un assesseur. «Il est le maire, l’autorité. Tout le monde l’écoute car son travail auprès des malades, des anciens des pauvres et pour les enfants incite au plus grand des respects. Son style est de foncer. Certains anciens conseillers municipaux l’accusent même d’être un communiste. Le ’Padre’ ne fait pourtant jamais de politique, seule l’intéresse la santé des âmes et des gens. C’est un contestataire pour les bonnes causes».

Premier debout, dernier couché

Un avis que partage Manfred Calderon, le médecin du petit hôpital que le missionnaire jurassien a contribué à construire: «On le voit le premier debout le matin et souvent le dernier à aller se coucher, il est au courant de tout et se met à la disposition de tous. Roger n’hésite pas à mettre la main à la pâte, pour construire ceci ou cela. Avant, c’est lui qui apportait les premiers soins aux malades, faisait les piqûres. Le dimanche, son église est pleine. Il est l’un des nôtres». Un jour, le conseil municipal l’a entendu tancer vertement un représentant du gouvernement qui voulait mettre la main sur un bureau de la mairie, se souvient le toubib du coin. «Ceci appartient au village. Vous n’allez pas y toucher. Que le gouvernement fasse ou construise autre chose», avait averti Père Roger, avant d’obtenir gain de cause.

Pas le temps d’avoir le bourdon

Malgré la touffeur du climat et les animaux pas toujours bien intentionnés, les serpents, les jaguars ou encore les caïmans qui abondent dans le coin, sans parler des insectes et les moustiques, le Père Schaller n’a jamais connu la maladie. «Je n’ai pas la nostalgie de Corban. A quoi servirait donc de se «f…» des idées noires dans la tête en pensant aux foins ou aux moissons, en pensant aux ’knöpfli’ – mon plat préféré – que ma mère cuisinait. C’est sans doute ici que je terminerai ma vie».

Seul missionnaire à 80 km à la ronde, le Père Roger est aujourd’hui appuyé par cinq religieuses missionnaires, deux Italiennes et trois Boliviennes. «C’était nécessaire, vu mon âge et le travail». Le missionnaire, fier de son origine paysanne et qui n’en loupe pas une pour le rappeler, enlève son chapeau de paille. «Tu vois, cette baraque? A l’époque où je suis arrivé, on a fait construire ça. Elle nous a coûté 80 vaches». (apic/pr)

30 avril 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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