«L’homogénéité n’est plus une réalité depuis longtemps»

Lucerne: La pluralité religieuse dans l’enseignement vue par Monika Jakobs

Lucerne, 27 novembre 2009 (Apic) La formation religieuse revêt diverses facettes. Un faisceau de recherche, auquel participent 56 universités et hautes écoles issues de 28 pays européens, a mis en évidence cette diversité. La Suisse y est représentée par Monika Jakobs, professeur de pédagogie religieuse à l’Université de Lucerne.

Interviewée par l’agence Apic, elle souligne que la pluralité ne touche pas seulement la diversité religieuse mais également les différentes pratiques à l’intérieur d’une même communauté.

Apic: Monika Jakobs, qu’est-ce qui vous a étonné en analysant l’étude internationale sur la gestion de la pluralité religieuse dans l’enseignement religieux?

Monika Jakobs: Que nous n’ayons pas été surpris, justement! Les enseignants religieux gèrent très bien la situation de pluralité. La pluralité est une évidence dans leur enseignement et fait intégralement partie de leur idéal en matière d’enseignement.

Apic: La Suisse se différencie-t-elle des autres pays européens?

M.J: Non, pas du tout.

Apic: Dans l’introduction de cette étude pour la Suisse alémanique, parue sous le titre «Enseignement religieux confessionnel dans une société multireligieuse», vous parlez de trois dimensions: organisationnelle, culturelle et religieuse. Y a-t-il une situation spéciale en Suisse?

M.J: La Suisse est spécialement intéressante, du fait qu’il y existe depuis longtemps un système binaire. Non seulement les Eglises mais également l’Etat a montré son intérêt pour l’enseignement religieux depuis le milieu du 19e siècle.

Apic: Que veut l’Etat à travers l’enseignement religieux?

M.J: Il veut éviter les conflits et se renforcer grâce aux «valeurs chrétiennes». Cela a conduit à toutes ces différentes formes et constructions d’enseignement religieux. Et également au fait que l’on en connaisse deux formes dans les écoles: l’un qui est plus ou moins supra confessionnelle et l’autre clairement confessionnel. Ainsi, l’introduction de branches sous la responsabilité de l’Etat comme «éthique et religion» ou «religion et culture» en complémentarité avec l’enseignement confessionnel s’appuie sur une certaine forme de continuité historique.

La Suisse constitue naturellement un cas à part dans le fait que sur un si petit espace se côtoient autant de modèles différents d’enseignement religieux, qui sont ensuite appliqués de façons différentes selon les lieux. Cette sorte de «désordre» a l’avantage de donner la possibilité de faire des expériences, mais a pour désavantage que le plan d’étude et la mise en place pratique de l’enseignement religieux ne peuvent pas jouer un rôle important dans le cadre scolaire.

Apic: Les centres urbains se distinguent par une grande diversité ethnique, ce qui est moins le cas en milieu rural. Faut-il introduire un autre enseignement religieux en ville qu’à la campagne?

M.J: Non. Les élèves de la campagne peuvent aussi vivre en ville. Du fait que l’école reçoit un mandat de formation pour l’ensemble de la Suisse, respectivement pour l’ensemble du canton, elle ne peut pas se baser sur la diversité qui existe ou non dans les salles de classe à un moment donné. Même là où il y a des situations monoreligieuses, les enfants doivent être préparés au fait que cela ne constitue plus une évidence. Et les situations monoreligieuses ou monoconfessionnelles ne sont d’ailleurs pas aussi homogènes qu’on peut parfois le penser. Les membres d’une même communauté confessionnelle ou religieuse vivent et pratiquent leur foi de diverses manières, dans le contexte actuel d’individualisation.

Apic: Quel rôle joue la diversité religieuse dans l’enseignement confessionnel?

M.J: Dans la définition classique de l’enseignement religieux confessionnel, on part du principe qu’il existe une homogénéité confessionnelle au niveau de l’enseignant, des élèves et du contenu du programme. Mais il y a longtemps que cette homogénéité n’est plus une réalité.

Apic: Les résultats de votre étude indiquent-ils que de nouveaux sujets doivent être abordés dans la formation continue des enseignants religieux?

M.J: Nos résultats ne donnent aucune indication immédiate à ce sujet. Mais indirectement, ils indiquent que la professionnalisation du corps enseignant religieux doit continuer à se renforcer. Etre capable de gérer la pluralité signifie avant tout réfléchir sur ses propres devoirs et son rôle dans un tel contexte et être capable de s’y adapter. Cela nécessite aussi de mettre à disposition des offres de formation professionnelle pour des enseignants islamiques.

Apic: Quel rôle joue la foi des enseignants dans leur pratique professionnelle?

M.J: Les enseignants interrogés se considèrent pour la plupart comme très croyants. La pratique religieuse joue chez eux un rôle important. Ils sont cependant très conscients que le contenu de leur enseignement a une grande importance pédagogique. Cela signifie que l’enseignement est au service du développement religieux et personnel des élèves.

Apic: Quelles sont les conditions pour assurer un enseignement confessionnel adapté à la pluralité?

M.J: Notre recherche démontre que l’enseignement religieux confessionnel s’avère très capable de s’adapter au pluralisme. L’enseignant doit toutefois être prêt à utiliser les chances que lui offre l’école. Cela signifie respecter le cadre scolaire, tout en se montrant comme un partenaire fiable et compétent. Il peut alors également agir au niveau social.

Apic: Que peut offrir l’enseignement confessionnel à la société en Suisse?

M.J: La société doit se monter intéressée au fait que l’enseignement confessionnel transmet justement les valeurs de pluralité. Dans tous les cas, près de 90% de la population adhère à une confession, dont 75% à une des deux principales Eglises reconnues, et 4% à l’islam. L’enseignement confessionnel à l’école est aussi un signe visible que la religion constitue une part importante de la société, autant au niveau historique qu’institutionnel. L’enseignement confessionnel offre ainsi une chance en vue d’un échange pragmatique et personnel, au quotidien, entre les communautés religieuses et l’école, entre religion et état. La communauté a besoin de ce dialogue afin de pouvoir maintenir la paix religieuse.

Apic: Pourquoi l’enseignement confessionnel ne devrait-il pas être remplacé par un enseignement religieux dispensé par l’état?

M.J: Les deux formes se complètent. L’enseignement religieux de l’état, qui ne se déroule que sur une petite case, profite des enfants qui sont conscients de leur propre imprégnation religieuse et sont capables de la partager. L’enseignement confessionnel profite du fait que les enfants sont formés à la pluralité religieuse et du fait que certains thèmes, plus particulièrement les informations sur les autres religions, qui sont d’ailleurs aussi abordés dans l’enseignement confessionnel, soient traités de façon compétente dans une autre branche.

Apic: Quelles découvertes avez-vous faites lors de cette collaboration européenne en vue de votre travail en Suisse?

M.J: Dans ce cadre, je me suis davantage penchée sur des modèles qui sont intéressants pour l’enseignement non confessionnel. Par exemple sur l’expérience en cours depuis déjà plus de 40 ans en Grande-Bretagne, et qui est à peine connu en pédagogie religieuse et malheureusement spécialement en Suisse.

Apic: Et pour l’enseignement religieux, concrètement?

M.J: Bien que l’enseignement religieux non confessionnel s’adresse à tous, il n’y a toujours pas encore de didactique interreligieuse élaborée. Dans ce domaine, nous aurions à apprendre de l’expérience d’autres pays. Un tel projet didactique touche actuellement ma chaire et l’institut de pédagogie religieuse. (apic/am/bb)

27 novembre 2009 | 16:02
par webmaster@kath.ch
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