Tibet: Tenzin Gyatso envisage de supprimer l'institution du dalaï lama

La crainte d’une prise en otage du système politico-religieux par la Chine

Lhassa, 9 septembre 2014 (Apic) «L’institution du dalaï lama existe maintenant depuis près de cinq siècles. Cette tradition peut aujourd’hui s’arrêter avec le 14e dalaï lama », a déclaré le 7 septembre 2014 à la presse allemande Tenzin Gyatso, actuel dalaï lama et leader spirituel de la communauté tibétaine en exil. La crainte d’une «prise en otage» par Pékin du successeur du dalaï lama pourrait décider le dirigeant tibétain à mettre fin à ce système politico-religieux vieux de cinq siècles.

L’annonce a fait l’effet d’une bombe, aussi bien au sein de la communauté internationale que de la diaspora tibétaine, pour lesquels l’avenir du Tibet peut difficilement s’envisager sans l’aura médiatique du prix Nobel de la paix, âgé aujourd’hui de 79 ans, rapporte Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris.

Le leader spirituel a confié au journal allemand «Welt am Sonntag» qu’il pensait mettre fin à un système politico-religieux remontant à près de cinq siècles. «Si un 15e dalaï lama venait et faisait honte à la fonction, toute l’institution en serait ridiculisée… Le 14e dalaï lama est aujourd’hui très aimé: laissez-nous finir avec un dalaï lama populaire !», a ajouté en riant Tenzin Gyatso.

Pékin veut choisir le prochain dalaï lama

Une boutade qui évoque explicitement la menace qui pèse sur l’institution des dalaï lamas depuis que Pékin a annoncé que seul le gouvernement chinois serait habilité à choisir le successeur de Tenzin Gyatso.

Une menace de destruction de l’institution elle-même de l’intérieur déjà mise à exécution des années auparavant avec la disparition du panchen lama, le deuxième chef spirituel du bouddhisme tibétain gelupa, et de toute sa famille au Tibet, peu après la reconnaissance du jeune tulku (maître spirituel réincarné du bouddhisme tantrique), Gendhun, alors âgé de six ans, par le dalaï lama. Aucune nouvelle n’a filtré depuis sur «le plus jeune prisonnier politique du monde». Il a été remplacé par un panchen lama nommé par Pékin et instruit par le Parti, puis envoyé, il y a trois ans, prêcher au Tibet «la libération pacifique du peuple tibétain par la Chine bienveillante».

Abandon de toute responsabilité politique

Pour les proches du leader tibétain, l’annonce, qui semble être surprenante, a en réalité été mûrement réfléchie. Elle a été précédée de progressives mais claires déclarations allant dans le même sens. «Il faut replacer cette déclaration dans le contexte», a expliqué à EdA, le 8 septembre, l’un des représentants du dalaï lama au Bureau du Tibet. «L’institution des dalaï lamas en tant que chefs spirituels et temporels du Tibet existe depuis cinq siècles. Et il ne faut pas oublier que Sa Sainteté le 14e dalaï lama a déjà mis fin à une partie de ce pouvoir en abandonnant toute responsabilité politique il y a trois ans.»

Dès 2010 en effet, peu avant son abdication politique, le dalaï lama avait remis en question le système traditionnel de réincarnation de la lignée en précisant qu’il réévaluerait – en raison de la situation particulière du Tibet, la façon dont l’institution des dalaï lama se poursuivrait, et si elle se poursuivrait.

L’échec de la voie du juste milieu

«Ce que dit le dalaï-lama, poursuit le représentant du gouvernement central en exil, au sujet de sa succession – et donc sa future réincarnation –, c’est qu’elle pourrait ne pas avoir lieu, si le peuple tibétain décide que cela n’a plus de raison d’être aujourd’hui.»

Depuis de nombreuses années, le dalaï lama avoue publiquement se soucier de sa succession, ayant constaté «l’échec de la voie du juste milieu» menée envers la Chine depuis son exil, il y a plus de 50 ans. Après avoir tenté en vain de convaincre Pékin de la nécessité de donner une part d’autonomie au Tibet – et non pas l’indépendance –, le leader spirituel avait assisté, impuissant, à l’aggravation de la répression au Tibet, et surtout aux séries d’immolations de moines et de laïcs tibétains, au nom de la «liberté et du retour du dalaï lama».

L’appui et la sympathie de la communauté internationale, qu’il s’était efforcé d’obtenir au cours d’inlassables visites à travers le monde, n’avaient pas été suffisants, en plusieurs décennies, pour obtenir une quelconque amélioration de la situation.

L’abandon de ses charges politiques n’avait pas non plus suffi à rassurer Pékin, qui avait réagi en multipliant les menaces de récupération de l’institution des dalaï lamas après la mort de son dernier représentant.

Le prochain dalaï lama pourrait être une femme occidentale

Tenzin Gyatso avait alors dérouté le gouvernement chinois en annonçant que le dalaï lama pouvait très bien, si les conditions n’étaient pas réunies au Tibet, se réincarner en Occident et même choisir de renaître en femme.

Peu après avoir transféré son pouvoir politique aux mains du Conseil tibétain en exil en 2011, le 14e dalaï lama déclarait déjà: «Si la situation au Tibet reste la même, je renaîtrai hors du Tibet, loin du contrôle des autorités chinoises, pour continuer mon travail inachevé.»

Parmi les différentes possibilités que le chef spirituel des Tibétains avait envisagées concernant sa succession, figuraient également la désignation éventuelle du prochain dalaï lama par lui-même ou une assemblée. Le 14e dalaï lama avait évoqué le fait qu’il pourrait s’agir de l’actuel karmapa, Orgyen Trinley Dorje, qui s’est évadé en 2000 du Tibet, ou encore du nouveau Premier ministre tibétain. Et enfin, comme il l’a réaffirmé hier, qu’en tant que seul et unique détenteur du titre de dalaï lama, il lui appartient d’abolir l’institution elle-même.

La prophétie du dernier dalaï lama

Avec cette annonce, reviendront certainement en force les rumeurs qui avaient couru dans les années 1980 autour d’une prophétie affirmant que Tenzin Gyatso serait le dernier dalaï-lama. Un livre publié en 1986, «Le dernier Dalaï-Lama?» de Michael. H. Goodman, rapportait une ancienne prophétie tibétaine selon laquelle le peuple tibétain perdrait à la fois son pays et son dalaï lama, avant de les retrouver, et que le 14e dalaï lama serait le dernier de la lignée. Une possibilité accréditée par Tenzin Gyatso lui-même qui, dans un entretien avec l’auteur, expliquait avoir déjà envisagé de transmettre son titre de son vivant, et d’interrompre ainsi la longue succession des reconnaissances traditionnelles des réincarnations des tulku.

Près de trente ans avant cette déclaration du 7 septembre 2014, le 14e dalaï lama annonçait donc déjà, dans cet ouvrage au titre provocateur, «que le choix d’un dalaï-lama par le peuple tibétain n’était nécessité que par l’utilité ou non de cette institution».

Il demeure que la figure charismatique du XIVe dalaï lama reste indissociablement liée à la cause du Tibet, aussi bien pour la population qui continue de sa battre contre l’oppression sur le toit du monde, que pour sa diaspora en exil, ainsi que pour la communauté internationale, souligne EdA.

Encadré

L’institution des dalaï lamas

Les dalaï-lamas sont considérés comme les réincarnations successives du premier de ces chefs spirituels, Gedun Drub, qui vécut de 1391 à 1474. Le successeur peut être choisi du vivant du dalaï-lama. La désignation est alors consignée secrètement et rendue publique à sa mort. Elle peut âtre aussi elle accomplie après la mort du chef spirituel. Suite au décès, il s’agit alors de repérer un enfant selon un rituel de recherche, de reconnaissance et de vérification très complexe, mystique et collectif, usité depuis des siècles dans la tradition bouddhiste tibétaine. (apic/eda/arch/rz)

9 septembre 2014 | 11:48
par webmaster@kath.ch
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