La découverte du corps du Père Dall’Oglio est une 'fake news'
La découverte du corps du Père Paolo Dall’Oglio est une «fake news» car «aucun corps n’a été retrouvé«, a expliqué Jomana Salman, chef de projet au Syria Justice and Accountability Center (SJAC). Cette nouvelle, même fausse, est cependant l’occasion de mettre en lumière l’importance du travail de recherche des corps des personnes disparues en Syrie.
Jomana Salman dément pour Asianews la nouvelle diffusée ces derniers jours dans les médias italiens concernant la découverte présumée du corps du jésuite romain, disparu le 29 juillet 2013 après s’être rendu dans une zone alors contrôlée par l’État islamique pour négocier la libération de plusieurs otages. «Nous n’avons pas travaillé sur les fosses communes d’al-Furusiya ou de Raqqa, il n’y a donc aucun cadavre à identifier», précise l’experte.
Au moins 140’000 personnes enterrées dans des fosses communes
Depuis des années, le SJAC s’efforce de faire la lumière sur le sort de centaines de milliers de disparus pendant la guerre civile syrienne. Selon une estimation des Nations unies de 2021, il s’agirait de plus de 130’000 personnes. Récemment, le gouvernement actuel a déclaré qu’au moins 140’000 personnes avaient été enterrées dans des fosses communes, dont au moins 12’000 dans le nord-est à majorité kurde, mais les chiffres pourraient être beaucoup plus élevés.
En collaboration avec le Guatemala
Le travail du SAJC et d’autres organisations similaires est très délicat et extrêmement coûteux. Il est mené grâce à la collaboration avec la Fondation d’anthropologie médico-légale du Guatemala (FAFG), un autre pays marqué par des décennies de guerre civile et des dizaines de milliers de disparus. «Ce pays possède une longue expérience en matière médico-légale et des laboratoires très fiables», précise Jomana Salman.
Mais l’envoi d’échantillons d’ADN au Guatemala pour analyse n’est que la dernière étape. «Notre travail se concentre en réalité sur deux phases préliminaires: la formation d’équipes locales et les enquêtes contextuelles». En effet, l’analyse de tous les restes serait trop coûteuse. Il faut au moins trois échantillons de la victime et de ses proches, pour un coût compris entre 100 et 150 dollars.
C’est pourquoi le SJAC concentre d’abord ses efforts sur les lieux où il est le plus probable de trouver les corps de personnes sur lesquelles on possède des informations venant soit de la famille, soit des résidents locaux, soit parfois d’anciens combattants.
«Ensuite nous utilisons des images satellites pour localiser les lieux d’inhumation. D’autres fois, nous disposons également de détails précis sur l’apparence physique de la personne ou sur les vêtements qu’elle portait. Si les différentes versions concordent, nous pouvons procéder au prélèvement d’ADN».
16 lieux d’inhumation potentiels pour le Père Dall’Oglio
Dans le cas du Père Dall’Oglio, le SJAC en est encore à la phase d’enquête contextuelle, qui indique 16 lieux de sépulture potentiels. «Le Père Paolo était connu de nombreuses personnes en Syrie, nous avons donc recueilli de nombreux témoignages, mais la plupart n’étaient pas fiables, il s’agissait d’informations complètement fausses », commente Jomana Salman. «Une source, par exemple, nous disait que Dall’Oglio avait été arrêté par Daech à al-Karamah [à l’est de Raqqa], mais qu’il avait ensuite été transféré dans une autre localité. Après vérifications, la région où le Père Paolo était censé se trouver était alors sous le contrôle du régime, ce qui rend cette information peu fiable.»
Raviver les anciennes blessures
L’activité de recherche s’avère souvent très douloureuse, même pour Jomana, originaire d’al-Hasakah, mais résidant aujourd’hui en Belgique: «Quand j’ai commencé ce travail, je pensais que le plus difficile serait de m’occuper des cadavres et des fosses communes, mais après seulement trois ou quatre mois, j’ai compris que parler aux familles était beaucoup plus difficile, car il faut faire face à leur tristesse et à leurs attentes.»
Des blessures qui, dans de nombreux cas, se rouvrent à la suite du changement de gouvernement. «Aujourd’hui, de nombreuses fausses informations circulent sur les réseaux sociaux sans aucun contrôle, c’est le problème principal. Et lorsque les familles reçoivent une information, même fausse, elles se sentent obligées de recommencer à se battre pour retrouver leurs proches». (cath.ch/asianews/mp)