Trafic d’enfants au Honduras

La demande de bébés croît aux Etats-Unis (290391)

Tegucigalpa, 29mars(APIC) Avec une immense joie dessinée sur son visage,

Suzanne Lipps «prend livraison» de son nouveau bébé aux yeux obscurs. A

l’instar d’un nombre croissant de femmes nord-américaines sans enfants et

confrontées au lent système d’adoption dans leur pays, Suzanne Lipps est

arrivée en Amérique centrale chercher l’enfant qu’elle n’a jamais pu avoir.

Au Honduras comme ailleurs en Amérique latine on vend les bébés parce que

la misère a depuis longtemps déjà atteint le déraisonnable. La joie de la

citoyenne des Etats-Unis contraste avec le désespoir de Celenia, la mère du

bébé: «Dites à ma fille que j’aurais aimé rester avec elle. Je n’ai pas pu

en raison de ma situation économique, et non parce que je ne l’aimais pas».

Chaque 40 heures, un couple nord-américain adopte un enfant hondurien et

près de 8’000 autres enfants de 24 pays sont ainsi adoptés chaque année aux

Etats-Unis. Mais ils sont de plus en plus nombreux ceux qui accourent en

Amérique centrale pour prendre personnellement «livraison» de «leurs» bébés, depuis que la Corée du Sud – principal fournisseur de bébés auparavant

– a amélioré sa situation économique et imposé des lois pour empêcher ce

marché d’enfants.

Suzanne Lipps est arrivée au Honduras après avoir essayé durant quatre

ans d’être enceinte. Sans résultat en dépit même d’un traitement coûteux de

fertilité. «Il existe des lois d’adoption aux Etats-Unis. Je n’ai simplement pas voulu adopter un enfant dont la mère sait tout de nous», dit-elle

pour expliquer son choix d’avoir fait le voyage du Honduras.

Un commerce pour les uns… un pourboire pour les autres

10% ou presque des enfants au Honduras meurent avant l’âge de 5 ans

alors que ce rapport est de 1,3% aux Etats-Unis. La majorité de la population de ce petit pays d’Amérique centrale – 4,3 millions d’habitants – vit

en dehors des zones urbaines, sans accès, pour beaucoup, à l’eau potable.

Plus de la moitié des familles ont à leur tête une femme qui se voit dans

l’obligation de faire travailler ses enfants dès que ceux-ci sont en mesure

de porter une charge ou de «compter». La misère. Sans parler des milliers

d’enfants – 2’000 selon certaines statistiques – qui vivent dans les rues,

mendiant ici ou se prostituant là.

Maria del Socorro Velasquez est enceinte mais ne veut pas que son enfant

vive l’un ou l’autre de ces drames. Aussi cherche-t-elle un avocat d’accord

de lui payer le coût inhérent à l’accouchement et d’accord aussi de procurer à sa progéniture des parents adoptifs prêts à payer en dollars. Un commerce qui rapportera plus à l’avocat que le morceau de pain que Maria

s’achetèra avec le «pourboire». Autant dire rien, ou si peu. Le mari de Maria est alcoolique, et elle, domestique et souvent malade, ne peut faire

face à l’arrivée de ce nouvel enfant alors que deux autres se trouvent déjà

dans un établissement caritatif.

Cette réalité, c’est celle que vivent trop de mères au Honduras. Cathy

Dickenson, une autre Américaine, se souvient des conditions dans lesquelles

elle est allée chercher le «fruit de son achat»: «Lorsque je me suis rendue

sur place en compagnie d’un avocat pour emmener Kate qui vivait dans un endroit de la ville que je serais incapable de reconnaître, sa mère était là,

dans un lieu qui ressemblait sans doute à une étable qu’à une maison».

Un bébé payé «cash»

Certains citoyens américains se déplacent personnellement au Honduras.

Mais la majorité d’entre eux passent par des agences aux Etats-Unis qui

pratiquent à la carte les prix des bébés: entre 1’000 et 10’000 dollars selon les agences. Le prix de combien d’années de travail d’un ouvrier du

Honduras les intermédiaires se mettent-ils dans la poche? Un commerce florissant sur le dos de la détresse. Un bébé payé «cash», ou l’argent au secours d’une société de plus en plus mal inspirée, même si pour l’oublier

elle s’en va faire la guerre dans le Golfe au nom du droit et de la liberté. Gagnée, dit-on, mais pour combien d’autres perdues face à la misère de

plus en plus présente dans le monde. Le prix de la misère, cet ennemi dont

s’accommodent trop bien les nantis. Et même aussi si l’ambassade des EtatsUnis au Honduras, qui fournit nombre de documents sur le sujet, avertit ses

citoyens de convaincre les avocats de payer le prix minimum pour une adoption.

Des avocats au demeurant mal vus, qui recrutent des «localisateurs d’enfants» chargés d’aller dans les quartier les plus pauvres détecter les femmes enceintes. Et de préférence dans la plus grande des détresses. (apicna/pr)

28 mars 1991 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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