Série d’été: Rencontre avec la communauté orthodoxe russe de Vevey
La divine liturgie, entre ferveur et dorures
Vevey, 24 mai 2011 (Apic) L’Eglise orthodoxe se distingue par sa fidélité à la tradition apostolique et par une liturgie d’une grande richesse, célébrée avec beaucoup de ferveur. Une ferveur dont nous nous sommes laissés pénétrer, lors de la fête des Rameaux, au sein de la communauté orthodoxe russe de Vevey, à la rue des Communaux 12.
Ce dimanche 17 avril 2011, la paroisse orthodoxe russe de Vevey fête Les Rameaux, tout comme les catholiques du monde entier. Ce qui frappe, en entrant dans l’église, c’est la pénombre qui y règne, malgré les vitraux: typique des églises orthodoxes russes. Seuls les nombreux cierges allumés par les fidèles et posés sur plusieurs chandeliers illuminent l’intérieur de l’église aux murs polychromes richement décorés de figures de saints et de dorures.
«Gospodi Pomilouï!»
Cette atmosphère, ainsi que les vêtements brodés d’or des célébrants qui doivent rendre le clergé «semblable à des icônes vivantes», en ajoutent à la ferveur de la cérémonie. Elle débute à 10 h, par la lecture de la 3e puis de la 6e «heure». Ce sont principalement des psaumes en slavon et en français, lus par une lectrice, l’un des seuls rôles que confère l’église orthodoxe à la gent féminine avec celui de cheffe de chœur. Les divers versets sont entrecoupés par de nombreux «Gospodi Pomilouï!» (Seigneur, prends pitié!), récités comme une véritable litanie et de façon monocorde.
Pendant ce temps, les fidèles de tout âge arrivent en silence, un rameau de buis à la main. Ils se rendent au «comptoir des cierges», pour acheter des cierges ainsi que des prosphores, une sorte de petit pain, qui serviront d’offrandes. Les fidèles apportent ces pains au célébrant, ainsi qu’un carnet, le dyptique, contenant la liste des vivants et des morts qu’ils veulent commémorer durant la liturgie. Lors de la préparation de l’eucharistie, le prêtre retire une petite parcelle triangulaire de chacune de ces prosphores, tandis qu’il prie pour chacune des personnes indiquées sur la liste. Ces parcelles sont mises dans un calice après la communion du clergé, dans le sanctuaire, et celle des fidèles, qui a lieu devant les «portes royales». Le diacre les consommera à la fin de la divine liturgie. C’est ainsi une forme de communion spirituelle, à la fois pour les vivants et les morts.
La lecture des heures est marquée par un va-et-vient continu des fidèles, qui vont tour à tour déposer leurs cierges, prier, s’incliner et embrasser les nombreuses icônes et autres reliques de saints exposées, ou encore se confesser.
Liturgie de Saint Jean Chrysostome
La divine liturgie de Saint Jean Chrysostome commence vers 10 h 30. Elle est animée par un chœur parfois chétif. Dommage: il manque un peu cette profondeur des chants sacrés orthodoxes, qui vibrent jusqu’au plus profond de votre être.
Pour un non-initié, la liturgie est très dense et difficile à comprendre, même si les moments importants, tels que la lecture de l’Evangile, la consécration, l’élévation et la communion, restent assez semblables à la liturgie catholique. Chez les orthodoxes, les fidèles demeurent clairement séparés du clergé par un iconostase, une sorte de jubé. Les prêtres célèbrent la liturgie face à Dieu, en tournant le dos à la foule. La préparation de l’eucharistie ainsi que la consécration se font dans le sanctuaire, soit derrière l’iconostase, à l’abri des regards des fidèles.
Au moment de la lecture de l’Evangile, la petite église devient presque trop étroite pour contenir tous les fidèles, qui ne cessent d’arriver depuis 10 h 30. La foule, continuellement en mouvement jusqu’ici, se fige: on écoute les paroles des Ecritures, psalmodiées par le protodiacre Michel. Un tel moment de recueillement et de ferveur aura à nouveau lieu lors de la présentation des «Saint Dons» offerts et lors de la communion.
La communion sous les deux espèces
La cérémonie du jour est marquée par plusieurs séquences, où le protodiacre encense les participants, qui restent toujours debout et ne s’agenouillent jamais le dimanche, jour de la Résurrection. Par contre, les fidèles s’agenouillent à plusieurs reprises durant les offices en semaine. Les moments où l’on se signe trois fois et où l’on s’incline sont aussi très nombreux.
Chez les orthodoxes, le sermon a lieu soit tout de suite après la lecture de l’Evangile soit à la fin de la divine liturgie. La communion est faite nominativement, sous les deux espèces, et distribuée avec une cuillère en métal précieux. La liturgie se termine par la bénédiction des fidèles, qui se présentent chacun à leur tour devant le célébrant et baisent la croix qu’il tient dans sa main.
Les paroissiens quittent l’église, non sans avoir échangé quelques mots entre eux et bu un verre d’eau bénite contenue dans une sorte de samovar (ustensile surmonté d’une théière russe, ndlr). Il est 12 h 30 passées: on me fait remarquer que la célébration n’a pas été trop longue et que celle de Pâques peut durer au moins 5 heures! A l’issue de la cérémonie, certains fidèles resteront encore dans le jardin pour prendre un verre de thé ou café ou partager un moment de convivialité. (apic/nd)
Indication aux médias: Des photos de ce reportage peuvent être commandées à apic@kipa-apic.ch. Prix pour publication: 80 frs la première, 60 frs les suivantes.
L’Eglise orthodoxe
Les orthodoxes estiment que leur Eglise a conservé la tradition et la continuité de l’Eglise ancienne «dans sa plénitude», telle que définie par les sept premiers conciles œcuméniques. Ils considèrent que les autres confessions chrétiennes se sont «éloignées» de la tradition commune de l’Eglise des dix premiers siècles.
Comptant environ 300 millions de fidèles dans le monde, l’Eglise orthodoxe est constituée d’Eglises autocéphales et autonomes, dont le nombre varie au cours de l’histoire. Aujourd’hui, les Eglises autocéphales sont respectivement au nombre de 13: l’Eglise de Constantinople (Istanbul), l’Eglise d’Alexandrie (Egypte), l’Eglise d’Antioche (siège à Damas, Syrie), et les Eglises de Jérusalem, de Russie, de Serbie, de Roumanie, de Bulgarie, de Géorgie, de Chypre, de Grèce, de Pologne et d’Albanie.
Il existe aussi des Eglises autonomes au sein de ces Eglises autocéphales en République tchèque et slovaque, au Sinaï, en Crète, en Finlande, au Japon, en Chine et en Ukraine. L’Eglise orthodoxe russe à l’étranger dispose précisément du statut d’autonomie au sein du Patriarcat de Moscou, depuis le jour de l’Ascension 2007, lorsque les deux parties de l’Eglise russe se sont réunies après s’être séparées durant 90 ans, à cause du régime communiste athée. (apic/nd)
L’église Sainte Barbara de Vevey
L’église Sainte Barbara doit son origine au comte russe Pierre Pavlovitch Schouvalov. Après la mort en couches en octobre 1872 de l’une de ses filles, la comtesse Barbara Orlov, le comte décida de lui dédier une église, près de laquelle serait placée sa tombe. Il mit à disposition un terrain qui lui appartenait, ainsi que l’iconostase et les objets de culte qui provenaient de la chapelle de sa famille.
L’église de la Sainte Mégalomartyre Barbara a été consacrée le 1er novembre 1878. Elle est église paroissiale depuis 1949 et classée monument historique depuis 1977. Ce n’est finalement qu’en 1950 que la comtesse Orlov et sa fille ont été enterrées dans le jardin de l’église, la demande de transfert de leurs restes ayant jusqu’ici été refusée par les autorités locales.
L’église Sainte Barbara de Vevey est bâtie en pierres blanches et possède un grand bulbe doré. Elle est entourée d’un jardin, où s’élève une petite maison, destinée à l’origine au gardien. Conçue selon le plan d’une église située au nord de la Russie, dans la région de Saint-Pétersbourg, elle fut réalisée par des maîtres d’œuvre et des artisans vaudois. C’est un exemple typique du style religieux traditionnel russe. Il s’agit aussi de la première église orthodoxe du canton de Vaud et, à ce jour, de l’un des huit édifices orthodoxes de Suisse romande. L’église de Vevey est ouverte aux visiteurs durant les offices et le mercredi après-midi. (apic/nd)
La paroisse de Lausanne et Vevey
Née d’une initiative privée, l’église Sainte Barbara n’était pas destinée à être une église paroissiale. Au XIXe siècle, elle fut malgré tout un lieu de rencontre d’aristocrates et d’autres intellectuels russes, tels que Fedor Dostoïevski et Igor Stravinski, venus goûter à la douceur du climat de la Riviera vaudoise. Après la Révolution bolchévique de 1917, l’église devint le point d’attache des Russes qui avaient fui le régime.
La paroisse de Lausanne et Vevey fait aujourd’hui partie de la juridiction de l’Eglise orthodoxe russe à l’étranger, avec à sa tête le métropolite de New York, Mgr Hilarion Kapral. Elle dépend de l’évêché de Genève et d’Europe occidentale. Jusqu’à 1949, c’est le clergé de la paroisse de Genève et puis de celle de Lausanne qui desservait l’église de Vevey, lors des grandes fêtes du calendrier orthodoxe. Depuis cette date, Lausanne et Vevey ne forment plus qu’une seule paroisse. Les célébrations ont principalement lieu à Saint Barbara depuis 1980.
En 1993, Mgr Amboise (Cantacuzène), recteur de cette dernière, est devenu le premier évêque de Vevey. Il a aussi été évêque de Genève et d’Europe occidentale de 2003 à 2006. Décédé en 2009, il repose dans le jardin de l’église Sainte Barbara depuis 2010. L’évêque Michel (Donskoff), qui était l’évêque diocésain depuis 2006, est alors devenu le recteur de la paroisse de Vevey. Les offices sont aujourd’hui assurés par un prêtre moldave et un prêtre genevois, ainsi que par le protodiacre Michel Vernaz. (apic/nd)
Interview: Protodiacre Michel Vernaz et Hypodiacre Claude Lopez
Apic: D’où proviennent les membres de la communauté?
Protodiacre Michel Vernaz: La paroisse accueille des fidèles d’origines diverses: russe, ukrainienne, biélorusse, serbe, bulgare, roumaine, grecque, géorgienne, éthiopienne, érythréenne, française, italienne, suisse, etc. Elle est composée d’environ 160 familles. Près de 80% des paroissiens sont des citoyens suisses, dont de nombreux convertis. Quant à la diaspora russe, elle a été marquée par plusieurs vagues: celle qui a suivi la Révolution bolchévique de 1917, celle due à la Seconde guerre mondiale, celle des opposants au régime soviétique et, enfin, l’actuelle qui a débuté en 1991, avec la fin de l’URSS. D’après l’Office fédéral de la statistique, en l’an 2000, les Eglises «chrétiennes-orthodoxes» comptaient en Suisse 131’851 fidèles, ce qui représente 1,8% de la population du pays.
Apic: Comment la paroisse est-elle financée?
Protodiacre Michel Vernaz: La paroisse dispose de moyens financiers modestes, issus des cotisations mensuelles de ses membres et de dons, ainsi que des ventes de cierges et de prosphores. Ces entrées suffisent à peine à assurer l’entretien courant des bâtiments, des objets nécessaires au service liturgique et du jardin, ainsi que le salaire du prêtre. Nous avons investi beaucoup d’argent dans plusieurs travaux importants de réfection, dont les derniers, d’une grande ampleur, datent de 2005-2007. Ils ont pu être réalisés grâce à la générosité des paroissiens et des amis de l’église, ainsi qu’avec l’appui des autorités cantonales et communales. La prochaine étape sera de restaurer l’intérieur de l’édifice, ainsi que d’aménager un local pour les réunions paroissiales.
Apic: La paroisse rencontre-t-elle des difficultés, comme par exemple une baisse de fréquentation des offices ou des sorties d’Eglise?
Protodiacre Michel Vernaz: Nous ne rencontrons pas de difficultés particulières. Au contraire, nous constatons une augmentation de la participation aux offices et une recherche de spiritualité.
Apic: Beaucoup de vos paroissiens sont des convertis. Qu’est-ce qui pousse à se faire baptiser orthodoxe russe?
Protodiacre Michel Vernaz: Dans mon cas, la réponse est très simple: durant mon enfance, j’ai été accueilli par une famille orthodoxe de l’émigration russe.
Hypodiacre Claude Lopez: La vérité tout simplement… Je n’étais d’aucune religion. Un jour, à Taizé, j’ai entendu un moine orthodoxe chanter les vêpres en slavon. Ça a été véritablement le choc de la beauté. Pourquoi russe? Parce que le rite slave est beaucoup plus proche de nous, occidentaux. Le chant polyphonique est beaucoup plus accessible que le chant byzantin.
Apic: Le cardinal Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, a rencontré en mars dernier le métropolite Hilarion Alfeyev, président du département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou, et le partriarche Cyrille Ier à Moscou. Selon vous, un rapprochement entre catholiques et orthodoxes, voire au-delà, est-il possible?
Hypodiacre Claude Lopez: Il est possible de collaborer ponctuellement sur certaines actions. Mais on ne peut pas séparer ce qui constitue la foi, soit les différentes conceptions du Saint-Esprit, des saints, de la Mère de Dieu. On ne peut pas faire une union qui serait le résultat d’une sorte de négociation, où chacun va lâcher un petit morceau. Ça ne peut pas marcher. A moins d’un miracle… Il y aussi le problème de l’ordination des hommes mariés, qui n’est pas autorisée chez les catholiques.
Protodiacre Michel Vernaz: Chez les orthodoxes, le clergé paroissial est en principe marié. Les épouses jouent alors un rôle essentiel, voire vital, dans le fonctionnement de la communauté. Le clergé non marié est généralement attaché à un monastère.
Apic: L’Eglise orthodoxe connaît-elle une pénurie de prêtres?
Hypodiacre Claude Lopez: Il ne faut pas trop se faire d’illusions; ce n’est pas parce que l’Eglise orthodoxe permet l’ordination d’hommes mariés qu’il n’y a pas de problème de vocations ou de pénurie de clergé. Oui, nous manquons de prêtres, mais pas pour les mêmes raisons que les catholiques. Et l’une de ces raisons est sans doute que nous sommes ici en diaspora. (apic/nd)