Fribourg: L’ancien évêque haïtien, Mgr Romélus, appelle son peuple à l’unité
La division des Haïtiens, entretenue par les Etats-Unis
Fribourg, 12 septembre 2012 (Apic) Mgr Willy Romélus, évêque émérite du diocèse de Jérémie, en Haïti, a passé sa vie à lutter pour les droits humains dans son pays. Il était du 10 au 12 septembre à Fribourg et à Genève, où il a dédicacé son livre, «Espérer contre toute espérance». Il livre à l’Apic son analyse de la situation en Haïti et les perspectives de son combat.
Mgr Willy Romélus, lauréat du Prix Européen des Droits de l’Homme en 1994, est certainement à l’image de son peuple : chaleureux, souriant, rayonnant et modeste, en dépit des épreuves traversées. En le rencontrant, on ne peut que souscrire à l’optimisme, à cette «espérance» forcenée pour son pays qu’il tente de transmettre à travers son livre. Il délivre le témoignage d’un homme de foi et de terrain qui s’est engagé durant des décennies, sur le plan politique, social et religieux, à défendre la dignité de la personne et le respect de la vie humaine.
Apic : Vous vous êtes toujours battu pour les droits de l’homme et la démocratie en Haïti. Où en est actuellement la situation à ce niveau-là ?
Mgr Willy Romélus : La situation évolue, mais lentement. Le principal acquis est maintenant la liberté d’expression. Les gens n’acceptent plus d’être muselés. Ils s’expriment librement, et dans ce domaine, un retour en arrière n’est probablement plus possible. Les médias aussi sont plus ouverts. Même si le pouvoir a tenté d’exercer une certaine pression sur les médias.
On constate une lutte entre le pouvoir exécutif et le Parlement. Leur collaboration est pourtant essentielle pour permettre au pays de se développer dans l’harmonie et de sortir le peuple de la misère. Ce sont, comme toujours dans l’histoire d’Haïti, les gouvernants qui posent les principaux obstacles à l’évolution démocratique.
Au moins, il y a maintenant des élections qui sont assez démocratiques. Les partis politiques sont par contre peu développés. Il s’agit souvent de groupuscules, de partisans qui se rassemblent autour d’une personnalité particulière.
Apic :Quel rôle a joué l’Eglise dans ces progrès démocratiques ?
WR : Dans les années 80 et 90, elle a joué un très grand rôle. C’était la seule voix d’opposition que l’on pouvait entendre. Maintenant, avec la libération de la parole, l’Eglise a laissé le champ de la contestation en grande partie à l’opposition politique et à la société civile. Elle se place maintenant dans une sorte de retrait attentif. Ce qui n’empêche pas qu’elle soit encore parfois bien présente pour dénoncer les violations flagrantes de la démocratie.
En août dernier, j’ai personnellement protesté contre une manœuvre -selon moi antidémocratique- du président Martelly. Il tente d’établir son contrôle sur le Conseil électoral permanent (CEP). L’instance chargée d’organiser les prochaines élections a été mise sur pied en août 2012. Le président Martelly tente de faire en sorte qu’uniquement des hommes à sa solde y soient représentés.
Apic : Vous vous êtes souvent opposé à l’Etat haïtien, avec parfois des risques pour votre intégrité physique. Vous sentez-vous aujourd’hui en sécurité en Haïti ?
WR : Oui, actuellement, je ne me sens pas inquiété en Haïti. Mais il s’agit de toujours rester vigilant. Le peuple haïtien, l’Eglise, la société civile ne doivent pas baisser la garde. On doit tout faire pour empêcher que la situation de 1957 à 1986 ne revienne.
Apic : Vous vous êtes toujours engagé pour le combat social en Haïti. Vous êtes-vous sentis soutenus par Rome dans vos efforts ?
WR : Oui, sans aucun doute. Le Vatican a toujours été sur la ligne de l’action sociale. Le catholicisme a joué un rôle positif en Haïti. Je suis persuadé que sans les communautés chrétiennes, le pays aurait actuellement davantage de problèmes. Les gens le savent et le disent.
Apic : Le catholicisme est-il en progression ou en recul en Haïti ?
WR : Je pense que le pourcentage de catholiques baisse. Cela est dû notamment au prosélytisme intense des sectes et d’autres confessions chrétiennes. Des mouvements venus d’Amérique du Nord sont en train de s’implanter fortement en Haïti. Certains sont soutenus par le gouvernement américain qui s’efforce d’élargir sa sphère d’influence dans le pays.
Apic : Comment réagit le peuple haïtien aux drames qui l’accablent régulièrement ? Cela le ramène-t-il à la religion, ou au contraire, l’en éloigne-t-il ?
WR : Non, les catastrophes et les malheurs n’ont jamais éloigné les Haïtiens de la religion. Ce peuple a une foi profonde qui ne se laisse pas facilement ébranler. En Haïti, les églises ont toujours été pleines. Cela s’explique aussi par le rôle très important de l’Eglise dans la société civile. Dans beaucoup d’endroits, et surtout à la campagne, bien qu’elle soit un lieu de prière et de rencontre avec Dieu, elle est aussi un lieu de rencontre sociale.
Apic : Avez-vous ressenti un élan de solidarité au sein du peuple après le séisme de 2010 ? Où en est la reconstruction ?
WR : L’élan de solidarité a été très important. Tout d’abord sur le plan interne, puis externe. Le sens de la solidarité des Haïtiens est proverbial. Et il ne s’est pas démenti lors des récentes catastrophes qui nous ont touchés. Au niveau international, nous avons ressenti aussi une grande vague de sympathie. Même si l’aide a été parfois intéressée. De la part des Etats-Unis, notamment, qui se sont efforcé de contrôler l’organisation de l’aide étrangère. Ils ont agi en ce sens principalement pour protéger leurs intérêts.
La reconstruction est plutôt lente, mais elle enregistre des progrès notables, surtout à Port-au-Prince. Il y a du travail qui se fait : la salle d’accueil de l’aéroport sera inaugurée à la fin de ce mois. La démolition des ruines du Palais National est en cours. Les gens qui s’étaient retrouvés sous des tentes après le séisme sont lentement relogés, etc.
Apic : Qu’est-ce qui freine le développement, notamment économique, d’Haïti ?
WR : C’est principalement la division interne et externe. Certaines positions de l’Amérique du Nord ne favorisent pas l’unité entre les Haïtiens. Souvent, les grandes puissances recherchent leurs propres intérêts au lieu de ceux du peuple haïtien. La raison en est la volonté étasunienne de domination sur les Caraïbes et sur l’Amérique latine. Ils ne veulent pas du développement d’Haïti, parce qu’Haïti est résistant. Son peuple est à l’origine de l’abolition de l’esclavage. Haïti a été la première république noire du monde. Le peuple est fier de ce passé et il cultive cette mentalité d’indépendance.
Haïti est souvent comparé à d’autres pays de la région, comme la République Dominicaine. Il est vrai que le développement économique de cette dernière est plus important. Mais il faut considérer tout le soutien américain supplémentaire que cet Etat reçoit du fait de sa «docilité».
L’empreinte des Etats-Unis est énorme dans la politique haïtienne. Souvent les hommes politiques recherchent le soutien des Américains, qui de leur côté essayent de s’imposer.
Apic : Confronté à toutes ces tragédies, n’avez-vous jamais perdu la foi en l’homme, ou en Dieu ?
WR : Je n’ai jamais perdu la foi. Comme l’indique le livre «Espérer contre toute Espérance», je sais que Dieu a un plan pour Haïti. Le jour viendra où ce pays sortira de cette situation.
On peut trouver dans la Bible une interprétation de cette espérance : quand les Hébreux étaient réduits en esclavage en Egypte, ils ont été accablés par le plus grand désespoir. Dieu avait pourtant un plan pour eux. Et ce peuple est finalement sorti de sa terrible situation. Il en sera de même pour Haïti.
Apic : Comment voyez-vous la poursuite de votre mission au service de Dieu ?
WR : Je voudrais rédiger un ouvrage sur la cathédrale de la Médaille Miraculeuse de Jérémie, mon ancien diocèse. Principalement sur les circonstances de sa construction. Je veux montrer comment Dieu a mis en place les éléments qui ont permis l’aboutissement de ce projet.
Depuis que je suis à la retraite, j’ai moins d’audience. Et comme je vis retiré à la campagne, j’interviens moins souvent. Cependant, je suis toujours disposé à intervenir pour défendre le droit et la justice.
D’une manière générale, je voudrais inviter les Haïtiens de l’intérieur et de l’extérieur à s’unir au lieu de s’entredéchirer. C’est le seul moyen de sortir le pays de la situation que l’on connaît et que l’on vit. Je demande à la communauté internationale de ne pas bloquer cet élan, mais au contraire de le favoriser.
Encadré
Mgr Romélus est né le 17 janvier 1931 en Haïti. Ordonné prêtre en 1958, il est nommé évêque de Jérémie, le 26 avril 1977. Toute sa vie, il a œuvré pour la paix et la démocratie dans son pays et par delà ses frontières. Il s’est toujours engagé contre toute forme de dictature, notamment contre celle de Raoul Cédras, dans les années 90 en Haïti.
L’ensemble de son action a été récompensé en 1994, par le Prix Européen des Droits de l’Homme. Sa longue carrière, sa participation à la vie sociale et politique en font un témoin de premier plan au sein de l’Eglise catholique et de l’histoire contemporaine d’Haïti. (apic/rz)