«La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres»
Série d’été «politiciens chrétiens»
Fribourg: Interview de Marie-Thérèse Weber-Gobet, Conseillère nationale, membre du Parti chrétien-social
Fribourg, 26 août 2011 (Apic) Marie-Thérèse Weber-Gobet est la seule élue du Parti chrétien-social (PCS) siégeant à Berne. Portrait d’une femme convaincue, pour qui les valeurs de l’éthique chrétienne-sociale et le souci des plus faibles sont le mot d’ordre.
Les chrétiens-sociaux fribourgeois auront fort à faire pour maintenir, le 23 octobre 2011, leur siège très convoité au Conseil national. Pour offrir le maximum de chances à sa candidate, le PCS lance deux listes et les apparentera avec celles de la gauche plurielle: socialistes, Verts et évangéliques.
A Berne depuis décembre 2008, à la suite du retrait de Hugo Fasel nommé directeur de Caritas Suisse, Marie-Thérèse Weber-Gobet s’est énormément engagée. Rencontre placée sous le signe de la conviction et de la franchise, dans les bureaux de l’agence Apic à Fribourg.
Apic: Vous êtes membre d’un parti qui s’affirme chrétien. Quel est votre parcours en tant que croyante?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Je suis née dans une famille catholique qui allait chaque dimanche à la messe et qui développait un sens de la responsabilité sociale. Jeune, je me suis engagée dans une organisation de jeunesse liée à l’Eglise, le «Blauring», analogue aux scouts. J’y ai assumé la responsabilité de groupes d’enfants et organisé des camps de vacances.
Durant ma scolarité, j’ai suivi une école où des religieuses enseignaient encore. J’ai ensuite fréquenté le collège Ste-Croix à Fribourg, encore partiellement géré par les Sœurs de Menzingen. Après une formation universitaire, j’ai entre autre travaillé à temps partiel, durant 13 ans, comme porte-parole et responsable de communication pour la partie alémanique du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg.
Une fois entrée en politique, mes contacts avec le monde de l’Eglise se sont espacés. J’ai choisi d’abandonner mon emploi au diocèse.
Apic: Votre ancrage catholique est solide. Est-ce pour cela que vous avez choisi le PCS, le seul parti de gauche qui se réfère explicitement à une conception chrétienne?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Ce qui m’a persuadée, c’est l’éthique chrétienne-sociale. Ses valeurs sont universelles, indépendantes d’une Eglise, et peuvent être portées par tous. Appliquées, elles sont les garantes d’une vie et d’une société meilleure.
Malheureusement, les valeurs de l’économie et l’argent sont considérées comme plus importantes aujourd’hui.
Apic: D’où votre choix du PCS, un parti indépendant financièrement?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Cette indépendance financière est un aspect fondamental pour moi. Depuis que je suis à Berne, je vois ce que veut dire être lié à des conseils d’administration rémunérés. Dans les Commissions, il est difficile d’aller à leur encontre.
Comme membre du PCS, je conserve mon indépendance. En conscience, je peux toujours défendre les intérêts fondés sur les valeurs chrétiennes-sociales. Je ne suis tributaire, ni de l’UBS, ni de l’industrie pharmaceutique, ni d’une autre grande banque ou d’une assurance. Et je m’en ressens mieux.
Apic: Par contre, ne vous sentez-vous pas un peu seule?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Quelquefois oui. Il est très difficile d’obtenir des majorités pour défendre les plus faibles, qui ne sont pas la priorité en politique. Il est donc important de rappeler qu’il y a d’autres valeurs, un autre public cible qui a des besoins différents.
Apic: La foi peut-elle s’exprimer dans votre engagement politique? Ou faut-il la taire, car ce n’est pas politiquement correct?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Je suis une personnalité entière. La foi est un des éléments. Les émotions et mes expériences en sont d’autres.
Prenons l’exemple de l’initiative «Financer l’avortement est une affaire privée». Je ne vais pas soutenir le refus de prendre en charge les avortements par la caisse maladie obligatoire. Ce serait se désolidariser. Selon la même logique, on pourrait refuser de payer pour l’infarctus d’un manager qui travaille trop ou pour un fumeur atteint d’un cancer des poumons. Pendant des décennies, on a lutté pour ne plus pénaliser des femmes qui «tombent en grossesse», incapables de l’assumer. L’initiative les place dans des situations difficiles, voire dangereuses. Elles chercheront d’autres solutions, non adaptées aux connaissances sanitaires, entraînant des problèmes psychiques et physiques, et qui risquent de coûter plus cher encore pour les soigner.
Apic: Etes-vous plutôt une chrétienne en politique ou une politicienne chrétienne?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Je ne me suis jamais posée cette question (long temps de réflexion). Je suis une personnalité avec un parcours chrétien, une socialisation chrétienne. Il m’est très difficile de séparer engagement politique et convictions chrétiennes. Je suis donc une personnalité chrétienne en politique (rires).
Apic: Eprouvez-vous des difficultés à concilier engagement religieux, avec les valeurs qu’il véhicule, et engagement politique?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: On m’étiquette comme étant de gauche. On me reproche de faire une politique ultra de gauche. Or, je prends position sur les valeurs de l’éthique chrétienne-sociale. Si on considère que ces valeurs sont de gauche, merci de me traiter comme étant de gauche. Cependant, une même dignité pour tout être humain, la solidarité, l’égalité des chances, le bien commun sont des principes clefs de l’enseignement social d’une église basée sur l’éthique chrétienne-sociale, qui ont été repris par la gauche.
Apic: Est-il déjà arrivé que les deux engagements s’opposent? Si oui, lequel avez-vous privilégié?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: J’ai privilégié l’aspect politique. Après avoir figuré sur une liste et avoir été élue, j’ai choisi de renoncer à mon poste de porte-parole du diocèse. Car mon mandat politique, mon rôle de mère de famille et mes divers engagements associatifs m’occupaient à cent pour cent. Sans les opposer, j’ai choisi de mettre au service de la politique les valeurs qui me sont chères.
Apic: Depuis que vous siégez à Berne, ne vous êtes-vous jamais retrouvée en porte-à-faux? Votre sensibilité de gauche vous dicte de voter quelque chose et votre conscience chrétienne vous en empêche?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: (Long silence) Avec l’avortement, je m’interroge: comment est-ce que tu te positionnes? Je suis pour la vie. Je la défends et je m’engage à éviter chaque avortement. Mais il m’arrive de douter. Je réfléchis alors selon les critères de l’éthique chrétienne-sociale: voir, juger, agir (»Mater et magistra» du pape Jean XXIII, n° 236, repris comme plan de la lettre apostolique «Octogesima adveniens» du pape Paul VI, ndlr).
De même au sujet de la loi sur la recherche sur l’être humain. Je ne peux pas accepter des recherches sur un patient qui n’est pas capable de donner son consentement. Dans ce cas, j’ai voté contre la position défendue par la gauche.
Apic: On dit souvent que les chrétiens ne sont pas de ce monde. Doivent-ils s’abstenir de tout engagement politique ou au contraire sont-ils appelés à ces fonctions?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Avant tout, nous sommes des êtres humains à la recherche du sens de sa vie. Etre chrétien est une des réponses à cette quête. Alors, les chrétiens sont de ce monde: des êtres humains qui ont trouvé le sens de leur vie dans le christianisme.
Cette religion fait appel à la responsabilité de chacun de ses membres, en vue du bien commun. C’est redire que les chrétien-ne-s ont la vocation à s’engager en politique. Dans le message des évêques pour le 1er août 2011, Mgr Martin Werlen explique, au nom de la Conférence des évêques suisses, pourquoi l’Eglise est politique et doit prendre parti.
Apic: Quelle place pour la religion dans les partis politiques?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Je poserai autrement la question: quelle place pour les valeurs importantes dans les partis politiques? Tous les partis politiques devraient donner une énorme place aux valeurs de l’éthique chrétienne-sociale, qui dépassent de fait les frontières des confessions et les religions. Les décisions politiques seraient plus équilibrées et mieux adaptées au bien-être de tous.
Apic: Retrouvez-vous ces valeurs dans d’autres partis?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Je les retrouve chez des personnalités, dans tous les partis. Mais certains partis offrent un terrain moins favorable pour mettre en avant ces valeurs.
Apic: Elles ne sont donc plus directement liées à des partis, comme c’était autrefois le cas?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Je peux dire que le PCS défend en priorité ces valeurs. Pour les autres partis, j’ai parfois de la peine à sentir une volonté de défendre les valeurs chrétiennes. S’il existe des textes, dans les actes, la volonté ne suit pas.
Apic: Et quelle est la place de la religion sous la coupole fédérale?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Dans l’invitation avec le programme de la session, on nous propose une rencontre dans la chapelle du palais fédéral. Je vous l’avoue – je suis transparente –, je n’ai jamais participé à ces méditations religieuses.
Dans des prises de paroles, j’ai ressenti une orientation religieuse chez certains parlementaires de différents groupes.
Le jour de l’assermentation, on peut choisir entre la formule du serment qui fait référence à Dieu, et celle de la promesse sans cette référence divine. Pour moi, le moment du serment a été très important.
Enfin, il y a les premiers mots de la Constitution: «Au nom de Dieu Tout-Puissant». (apic/ggc)
Profil
Apic: Vous êtes maman d’une fille handicapée. Souhaitez-vous dire quelque chose au sujet du handicap?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Avoir fait l’expérience que la vie est vulnérable, que ce soit à cause de la maladie, du chômage, ou avoir un enfant qui n’est pas comme les autres, est une motivation supplémentaire de défendre leurs intérêts.
Dans la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique, je m’investis pour ces gens qui n’ont pas les grands lobbys derrière eux. Que ce soit contre la réduction de 50 millions dans la formation professionnelle des enfants qui ont fréquenté une école spécialisée, ou contre les coupures dans les soins à domicile pour les enfants gravement handicapés, et lors de la 6e révision de l’AI.
Domicile: Schmitten dans le canton de Fribourg.
Profession: Politicienne et mère au foyer. Antérieurement: institutrice, journaliste, chargée de communication et formatrice d’adultes.
Eglise: Catholique-romaine.
Parti: Parti chrétien-social (PCS).
Parcours politique:
Députée au Grand Conseil fribourgeois (septembre 2004 à novembre 2008).
Vice-présidente du PCS du canton de Fribourg (depuis septembre 2004).
Membre du comité du PCS Suisse et du PCS Singine.
Fonction politique:
Conseillère nationale depuis le 1er décembre 2008, membre de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) et de la Commission de gestion (CdG).
Une figure qui vous inspire: J’ai une très grande admiration pour Sophie et Hans Scholl. Ces jeunes Allemands se sont opposés, de manière non violente, au régime nazi. Condamnés pour «haute trahison, propagande subversive, complicité avec l’ennemi et démoralisation des forces militaires», ils ont été guillotinés en 1943. Leur courage, leur résistance, leur conviction sont pour moi un exemple.
Un verset/une phrase qui vous inspire: La phrase du préambule de notre Constitution: «La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres». (apic/ggc)
Pour ou contre
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Contre.
Le mot bébé médicament indique déjà qu’un être humain est instrumentalisé. Un «bébé du double espoir», conçu en deuxième couche dans le but de sauver un aîné souffrant d’une maladie grave, intervient contre la dignité et l’intégrité humaine reconnues à tout individu. Ce bébé est vraisemblablement utilisé pour sauver quelqu’un d’autre. Or l’intégrité physique est un des droits fondamentaux, figurant dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Avec le bébé médicament, une énorme pression sera exercée sur tout ce qui n’entre plus dans le cadre dit normal.
Au contraire, on devrait créer une société qui donne aux parents, touchés par la maladie ou le handicap, le sentiment qu’ils ne sont pas laissés seuls, et les aider à relever les défis occasionnés par une maladie grave ou un handicap. De plus, maladie et handicap peuvent nous ouvrir à une autre dimension: l’essentiel. (apic/ggc)
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Je suis pour la construction des minarets.
Apic: En quoi leur interdiction nuit-elle à la conciliation des religions en Suisse?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: La construction des minarets n’est pas l’élément le plus important dans la conciliation des religions. Toutes ont leur légitimité. Mais toutes ont aussi un devoir: celui d’entrer en dialogue avec la société dans laquelle elles s’implantent. Il faut trouver une intégration où tout le monde peut apprendre de l’autre, accepter les différences et les limites. Les points forts de chaque religion devraient être mis au service de la vie et du bien de la société. (apic/ggc)
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Contre.
J’étais récemment à Tchernobyl pour constater l’après catastrophe, dont les conséquences sociales et écologiques sont terribles. L’énergie nucléaire n’est pas une solution durable. De plus, on n’a pas pris assez en compte le coût réel en cas d’un accident grave. Pour la Suisse, le montant serait de 4’000 milliards de francs, somme que le pays ne pourrait pas assumer. Or, la probabilité des accidents n’est pas aussi faible qu’on l’a prétendu jusqu’à maintenant.
Apic: Les contradicteurs ne vont-ils pas arguer une possible perte de qualité de vie?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Le problème des gens est plutôt celui de recevoir une facture d’électricité plus élevée. D’autres possibilités s’offrent à nous. Il faudrait investir l’argent du nucléaire dans le développement des énergies renouvelables. Je suis persuadée qu’on obtiendra de meilleurs résultats, surtout avec le photovoltaïque.
Aux partisans du nucléaire, je poserais la question: seriez-vous d’accord, en cas de catastrophe à Mühleberg, de quitter votre maison? Cela concernerait 102’000 personnes dans le canton de Fribourg, seulement dans les 39 communes situées dans un rayon de 20 km autour de la centrale (la zone 2, ndlr).
Apic: Quel rôle jouent les lobbys dans le débat sur le nucléaire? Sont-ils un frein au développement des énergies renouvelables?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Le problème primordial, ce ne sont pas les lobbys mais le manque de transparence. On le voit avec Mühleberg. C’est seulement maintenant qu’on avoue le problème de sécurité lié aux crues de l’Aar. Or ce constat, je le fais depuis longtemps. (apic/ggc)
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Pour. J’ai défendu le 0.7% avec force au Parlement.
Apic: Est-ce un élan de solidarité qui motive principalement votre démarche?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Oui, je le reconnais. Qui d’autre qu’un pays riche peut venir en aide aux plus pauvres? Mais tout est lié. L’immigration génère des problèmes aussi dans notre pays. Et tout le monde ne peut venir en Suisse. Une des solutions viables est d’engager nos ressources dans les pays où les gens peinent à vivre dignement. (apic/ggc)
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Contre.
Apic: Et pourquoi?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Cette révision contient de sérieuses erreurs qui affectent surtout les jeunes et les personnes de plus de 55 ans, qui perdent leur emploi. Généralement, on est toujours prêt à opérer des coupes chez les gens qui souffrent, handicapés, chômeurs, personnes âgées, et à diminuer les prestations. Par contre, dans d’autres domaines comme l’imposition des entreprises, on est d’accord de perdre sept milliards de francs avec le sourire, et de dire ce n’est pas si grave. Cette mentalité qui s’installe à Berne me fait peur.
La richesse de notre pays est fondée sur la paix sociale. Si on continue à agir ainsi, on la mettra en danger, en déstabilisant la société et l’économie.
Apic: La révision de la loi sur le chômage favorise les personnes qualifiées. Qu’en est-il pour les personnes peu qualifiées ou sans formation professionnelle?
Marie-Thérèse Weber-Gobet: Ces personnes peineront encore plus pour trouver une place de travail. La plupart des gens au chômage n’ont même pas une première formation achevée. D’où l’urgence d’investir dans la formation.
Dans un deuxième temps, il faut investir dans la formation continue (elle insiste sur ce point, ndlr), en priorité pour les gens peu formés, afin d’éviter qu’ils retournent au chômage. Ce sont ces personnes qui sollicitent le plus l’aide sociale. (apic/ggc)