La langue russe, victime collatérale de la guerre
Depuis la fin de la guerre froide, il y a 30 ans, l’utilisation de la langue russe en dehors des frontières nationales est en déclin constant. Une situation paradoxale face au renouveau de l’idéologie du «Russky mir» (monde russe) qui suppose une union toujours plus grande entre les peuples et les personnes qui estiment que la Russie est le pays capable de répondre aux attentes morales, religieuses et sociales sur tous les continents.
A la suite du conflit en Ukraine et d’autres situations de crise dans lesquelles la Russie est impliquée, de nombreux acteurs tentent de «décoloniser» les régions où le russe est encore largement parlé, relève le site catholique Asianews. S’y ajoute le déclin démographique de la Russie elle-même. Sans parler bien sûr de l’Ukraine où tout ce qui fait référence à la Russie est aujourd’hui banni.
Cette évolution est un des facteurs du renouveau de l’idéologie du «Russky mir» (monde russe) qui suppose une union toujours plus grande entre les peuples et les personnes qui estiment que la Russie est le pays capable de répondre aux attentes morales, religieuses et sociales sur tous les continents.
Du point de vue de l’orthodoxie, le «monde russe» est également un thème dominant pour le patriarche Cyrille depuis son élection en 2009. Pour lui, comme pour Vladimir Poutine, la démocratie occidentale et ses évolutions sociétales sont un danger pour ›l’âme russe’. Cette idéologie conduit à une sorte de théologie politique, dont la langue est l’un des instruments.
Le russe comme langue de communication
Pour le vice-président de la Douma, Piotr Tolstoï, descendant du grand écrivain de la fin du XIXe siècle Léon Tolstoï , «la langue russe doit redevenir la langue de communication entre les nations de toutes les anciennes républiques soviétiques». Mais de fait, seuls le Belarus, le Kazakhstan et le Kirghizstan restent attachés à leur passé linguistique commun. En revanche, l’Arménie, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et les autres pays post-soviétiques abandonnent de plus en plus l’usage du russe. Dans les États baltes, le nombre de Russes est également en diminution constante.
Rouvrir des écoles de langue russes à l’étranger
Selon Piotr Tolstoï, il faudrait rouvrir des écoles de langue russe dans tous les pays d’où viennent des centaines de milliers de migrants, afin de restaurer le système d’intégration détruit depuis les années 1990.
Pour le vice-président de la Douma, cet effort devrait se faire aux frais des États d’où les travailleurs migrants arrivent en Russie, en utilisant une partie des revenus qu’ils envoient à leurs familles restées au pays.
Le gouvernement de Moscou lui-même a pris plusieurs initiatives pour soutenir l’ouverture d’écoles russophones en Asie centrale et dans d’autres pays. La langue russe est considérée comme égale à la langue locale au Belarus et en Ossétie du Sud, tandis qu’au Kirghizstan, en Abkhazie et au Kazakhstan, elle est l’une des langues officielles, avec certaines restrictions. Le russe est admis comme langue utilisable pour certaines fonctions publiques au Tadjikistan, en Israël et même dans certains États des États-Unis et certaines régions d’Australie.
Avec les 8 millions de Russes vivant en Ukraine et 1 million dans les pays baltes, le nombre de Russes installés à l’étranger est estimé entre 30 et 40 millions, principalement dans les États d’Asie centrale tels que le Kazakhstan (5,8 millions), l’Ouzbékistan (2,8 millions), le Tadjikistan (580’000), le Turkménistan (530’000), puis vient Israël (1 million) et l’outre-mer avec les États-Unis (850’000) le Brésil (70’000) ou encore le Canada (60’000). La France en compte environ 50’000.
Association internationale pour la langue russe
Lors de la récente réunion des dirigeants de la Communauté des Etats Indépendants (CEI) à Bichkek, capitale du Kirghizistan, le président Vladimir Poutine a annoncé qu’une «Association internationale pour la langue russe» serait ouverte à Sotchi; elle aurait pour mission de diffuser le russe dans le monde entier «en tant qu’élément très important de la consolidation de l’ensemble de l’espace post-soviétique, et instrument de communication internationale».
Selon les Russes, l’Occident mène une «guerre hybride globale contre la culture russe». Selon l’expression de Tolstoï, les algorithmes de ce modèle agissent pour «contrôler en coulisse la sphère de la culture et des visions du monde». L’objectif étant d’amener les masses à la désorientation et au relâchement, jusqu’à «la destruction des valeurs traditionnelles, morales et spirituelles du peuple russe et des peuples qui lui sont liés». Ces processus seraient très évidents dans les pays impliqués dans le conflit avec l’Ukraine.
Pour lui, la défense de la langue russe ne sert donc pas à revenir à l’époque soviétique, mais à «défendre la Russie multinationale et le dialogue entre pays véritablement libres». (cath.ch/asianews/mp)