Le dogue du sire de Belmont n'aimait pas les moines | wikimedia commons CC-BYS-A2.0
Dossier

Le moine et le chien féroce: la chapelle expiatoire de Léchelles (FR)

3

Pour le voyageur, l’église de Léchelles, dans le canton de Fribourg, est un modeste édifice pas particulièrement remarquable. La légende sa fondation, où il est question de chien féroce et de meurtre, est elle extraordinaire.

La légende, rapportée par l’écrivain Joseph Genoud, dans ses Légendes fribourgeoises de 1892, se place au début du XVe siècle. A cette époque, l’Abbaye bénédictine de Payerne pourvoit aux besoins spirituels de toute la contrée. Chaque dimanche les moines vont célébrer la messe dans les églises du voisinage. L’un d’eux, dont la légende n’a pas retenu le nom, est chargé de se rendre à la chapelle de Chandon, le village situé après Léchelles.

La chapelle de Chandon (FR) | © Maurice Page

Pour se rendre à Chandon, le moine devait passer près du castel de Belmont, non loin de Montagny. Près de ce château, il était régulièrement accueilli par un chien féroce bondissant de colère à sa vue. Le dogue poursuivait le moine de ses aboiements et de ses morsures emportant tantôt un bout de sa robe, tantôt un morceau de ses mollets.

Un dogue féroce

Se résigner, offrir à Dieu ce sacrifice, tel fut d’abord le programme du religieux. Mais la patience a ses bornes, même chez un disciple de saint Benoît. Être livré par un persécuteur de l’Eglise à la dent des bêtes féroces, c’est le sort le plus beau, celui des martyrs. Mais s’exposer à périr sous les crocs d’un vulgaire chien? Le moine n’y pensa même pas. Quelle résolution prendre? «Je n’attaquerai point, se dit l’homme de Dieu, mais je me défendrai.» Quoi de plus légitime en effet que se défendre face à un agresseur?

Le vallon du Chandon | © Maurice Page

Un poignard caché dans la manche

Mondelegendaire.com
Les amoureux des légendes trouveront sur le site mondelegendaire, une très abondante série de contes et légendes de Suisse, de France, de Belgique et de nombreux autres pays. Regroupés par pays ou par thèmes, ces récits abondent d’éléments religieux plus ou moins merveilleux.  

Le dimanche suivant, de bonne heure, le moine passe près de Belmont. Un vague pressentiment l’avertit d’un danger plus sérieux qu’à l’ordinaire, mais il n’a pas le droit de reculer. Bien décidé à combattre, il marche d’un pas ferme. Soudain un aboiement déchire les airs. Gare au dogue! Le chien se montre plus furieux que jamais. En moins de temps qu’il en faut pour le raconter, en quelques bonds, l’animal se précipite sur le moine. Mais la main que sa rage voulait mordre est armée d’un poignard… et le poignard s’enfonce dans sa gueule, perce et transperce, et le malheureux dogue, râlant un dernier cri, tombe inanimé sur le sol. Cet exploit consommé, le prêtre jeta un dernier regard sur sa victime expirante et poursuivit sa route, pour aller dire sa messe à Chandon.

Un troisième acte fatal

Mais la tragédie ne s’arrête pas là. Le troisième acte est le plus palpitant. Vers le soir de la même journée le bénédictin revient de Chandon, pour rejoindre l’abbaye de Payerne, en suivant le même chemin que le matin. A la vue de la tour de Belmont, à deux pas de l’endroit où le duel à mort s’était engagé, son cœur se met à battre plus fort. Tout à coup une détonation retentit, une balle siffle et le prêtre tombe à côté même du cadavre du dogue. Le sire de Belmont a bien visé: abrité à l’une des meurtrières du donjon, il a fait feu sur le passant à l’instant même où celui-ci considérait le corps hideux du chien.

Les ruines du château de Montagny dominent la vallée de la Broye | capture d’écran youtube

Le seigneur descend de sa tour et s’approche prudemment. Mais un cri de terreur s’échappe de sa poitrine! Il a reconnu le religieux de Payerne, l’oint du Seigneur! Il n’avait voulu tuer qu’un misérable vagabond, celui qui avait frappé son fidèle dogue, et il a tué un ministre de Dieu, un prêtre vénéré dans toute la contrée! Quand cette vérité lui apparaît, il demeure immobile, consterné et désespéré. Il s’agenouille auprès de l’infortuné et verse d’abondantes larmes.

Expier sa faute criminelle

La faute était irréparable, il lui faudra du moins l’expier de la manière la plus efficace. Selon la coutume de l’époque, il consacra une partie de sa fortune à une fondation pieuse dont pourraient profiter de nombreuses générations. Il fit bâtir à Léchelles même une chapelle expiatoire sous le vocable de Saint-Jean-Baptiste, son patron. Il destina à cette œuvre des revenus suffisants pour assurer la célébration d’une messe hebdomadaire. Ainsi surgit la paroisse de Léchelles, qui succéda à celle de Chandon. Le meurtre du moine ne lui valut pas l’auréole du martyr, et il resta anonyme. (cath.ch/mp)

Le chateau de Montagny
Les ruines du Castel de Belmont à Montagny dominant la vallée de la Broye restent aujourd’hui un but de randonnée apprécié des promeneurs. On peut s’y rendre de la gare de Cousset ou de celle de Léchelles sur la ligne CFF de Fribourg à Payerne. Du haut du donjon la vue s’étend jusqu’au lac de Neuchâtel. En suivant le charmant vallon du ruisseau du Chandon où des castors ont élu domicile, on peut rejoindre le hameau et la jolie chapelle de Chandon.

Suite
Le dogue du sire de Belmont n'aimait pas les moines | wikimedia commons CC-BYS-A2.0
30 juillet 2025 | 17:00
par Maurice Page

De nombreux contes et légendes de Suisse, souvent effrayants, intègrent des éléments religieux. Pour l’été, un temps propice à la rêverie, cath.ch rappellent quelques unes de ces éminentes fantasmagories.

Articles