Brésil: Vers un pouvoir accru des évangéliques dans la politique?
La néo-pentecôtiste Marina Silva pourrait prendre les rênes du pays
Brasilia, 19 septembre 2014 (Apic) Les élections générales vont se tenir au Brésil le 5 octobre prochain. 142 millions de personnes vont devoir élire le ou la présidente, mais aussi les gouverneurs, les sénateurs, les députés fédéraux et les députés de chacun des 27 Etats de cette république fédérative. Outre la possibilité de voir accéder à la tête du pays Marina Silva, qui se revendique ouvertement fidèle de l’Assemblée de Dieu, la plus importante église néo-pentecôtiste du pays, ces élections pourraient confirmer l’essor des évangéliques dans l’ensemble des organes de la politique du Brésil.
Vue d’Europe, la scène peut paraître étonnante, surtout dans un pays officiellement laïc. Lors de l’inauguration, le 31 juillet 2014, du plus grand temple religieux du Brésil, Edir Macedo – chef de file de l’Eglise Universelle du Règne de Dieu, l’une des églises évangéliques les plus puissantes du pays – avait devant lui un parterre d’éminentes personnalités politiques. Outre Dilma Rousseff, actuelle présidente du Brésil en campagne pour un second mandat, accompagnée de son vice-président Michel Temer, figuraient, entre autres Aloizo Mercadante, le ministre de l’Intérieur, Geraldo Alckmin, le gouverneur de l’Etat de Sao Paulo, et le vice-président de l’Assemblée, Arlindo Chinaglia.
Un filon électoral
Ces personnalités de gauche et de droite, comme bien d’autres à travers le pays, se sont ouvertement lancées à la conquête des voix évangéliques. Et il y a de quoi. Selon le dernier recensement (en 2010) de l’Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE), les différentes Eglises évangéliques comptent pas moins de 42,3 millions de fidèles, représentant 22,2 % de la population. Soit presque autant d’électeurs. Un réservoir de voix qui vaut donc de l’or, et que les responsables de ces Eglises comptent «apporter» au plus offrant. Ils sont aidés en cela par la capacité de mobilisation des élus de la «Bancada Evangélica» de l’Assemblée Nationale (regroupant des parlementaires se revendiquant évangéliques), qui compte pas moins de 71 députés (sur 513) et dont le nombre pourrait encore grimper lors de ces élections générales.
«Crucial d’établir des liens avec les évangéliques»
Rien que l’Eglise Universelle du Royaume de Dieu comptaient, selon de recensement de 2010, 1,87 millions de fidèles. Et c’est sans doute à cette population que Dilma Rousseff s’adressait lorsque la présidente du Brésil a félicité Edir Macedo pour la réalisation de cette œuvre pharaonique. «Pour la campagne du Parti des Travailleurs, explique Joao Paulo Peixoto, politologue et professeur de sciences politiques à l’Université de Brasilia, il est crucial de rétablir des liens avec la communauté évangélique. Cette dernière a en effet toujours eu une relation conflictuelle avec le gouvernement et a souvent créé des soucis au moment des élections, comme cela a été le cas en 2010, avec la mise en avant du débat sur l’avortement. A l’époque, cela avait suscité de nombreuses tensions dans le débat politique.»
Mais Dilma Rousseff est loin d’être la seule candidate en quête du vote évangélique. Le 7 juillet dernier, alors qu’il n’en était qu’à son deuxième jour de campagne, Aécio Neves, candidat du Parti social démocrate brésilien (PSDB) s’était réuni avec le pasteur José Wellington Bezerra da Costa, président de la Convention Générale des Assemblées de Dieu, la plus importante Eglise néo-pentecôtiste du Brésil. Cette rencontre, en présence de plus de deux mille fidèles, avait à l’époque annoncé une possible alliance entre les sociaux démocrates et les évangéliques, pouvant assurer au candidat de la droite plusieurs millions de bulletins de vote. Mais c’était avant l’entrée en jeu de Marina Silva dans la course à la présidence.
Un tiers de députés en plus
Alors qu’elle n’était initialement que la colistière d’Eduardo Campos, responsable du Parti socialiste du Brésil (PSB), Marina Silva a été propulsée candidate du PSB après la mort de ce dernier dans un accident d’avion, le 9 août. L’ex-ministre de l’environnement du président Lula, qui avait toujours été officiellement réfractaire au mélange de la religion et de la politique, a dès lors cristallisé sur elle les espoirs de millions d’évangéliques de voir une des leurs accéder à la tête du géant sud-américain. Désignée aujourd’hui par la plupart des sondages comme la future présidente, cette femme de 56 ans, issue d’une famille très pauvre de seringueros (personnes qui extraient artisanalement le caoutchouc) de l’Etat de l’Acre, en Amazonie, analphabète jusqu’à l’âge de seize ans, revendique désormais ouvertement son appartenance à l’Assemblée de Dieu, et compte, elle aussi, sur le réservoir de votes qui va avec.
Pourtant, l’arrivée d’une évangélique à la tête du plus grand pays catholique du monde pourrait constituer un fait moyennement important au regard de l’autre enjeu politique de ces élections, qui concerne la composition du Parlement. Car les évangéliques comptent sur une augmentation de pas moins de 30% de leurs représentants à l’Assemblée nationale. Leur nombre avait déjà presque doublé lors des deux derniers suffrages, permettant à la «Bancada Evangelica» de passer de 44 députés en 2006 à 71 en 2010. Pour y parvenir, les évangéliques ont décidé de présenter quelques 270 pasteurs candidats pour ce scrutin. Une augmentation record (+40%), au regard des 193 candidats de 2010. Objectif? Compter au total 95 députés fédéraux et sénateurs, et devenir ainsi une force politique incontournable, quel que soit le gouvernement à la tête du pays.
10’000 «conseillers municipaux de Dieu»
Cette stratégie de conquête du pouvoir au niveau national vient confirmer une présence déjà très marquée au niveau de chaque Etat et des municipalités, les deux autres niveaux de pouvoir au Brésil. Car, selon le ministère de l’Intérieur brésilien, il existe déjà des «bancada evangelica» organisées dans 15 des 27 Etats. Et d’après le Forum évangélique national d’action sociale et politique, le nombre de «conseillers municipaux de Dieu» s’élève à près de 10’000. Une présence locale qui permet d’exercer des pressions sur les élus nationaux, notamment sur des sujets sensibles comme les droits des homosexuels, l’avortement et de manière générale les thèmes liés à la famille.
Ce pouvoir local est en plus largement complété par la force de frappe médiatique dont dispose aujourd’hui les évangéliques. D’après une étude de l’Institut des études religieuses, sur 20 réseaux de télévision diffusant des contenus religieux, 11 étaient évangéliques. A elle seule, l’Eglise Universelle du Royaume de Dieu a la main mise sur 20 émissions de télévision et 40 programmes de radio quotidiens à travers le pays. Avec «TV Record», elle possède surtout la plus grande chaîne de télévision du paysage audiovisuel brésilien après la toute puissante chaîne Globo! De quoi donner une visibilité importante aux programmes électoraux appuyés par les évangéliques. Et aux candidats qui les défendent. (apic/jcg/rz)