Rose Steinmann (g.) et Agnès Telley accompagnent depuis cinq ans les personnes en deuil (Photo:Raphaël Zbinden)
Suisse

La pastorale du deuil se tisse de «petites résurrections»

Fribourg, 12 mai 2015 (Apic) «Nous voyons beaucoup de gens se relever, et cela donne de l’espoir aux autres», lance Agnès Telley. L’intervenante du service d’accompagnement des personnes en deuil du centre Ste-Ursule, à Fribourg, a confié à cath.ch les joies et les difficultés de son engagement. Elle s’efforce, en groupe ou individuellement, d’amener les personnes en deuil à accomplir leurs propres «petites résurrections».

Depuis, maintenant cinq ans, Agnès Telley et Rose Steinmann proposent aux gens qui ont perdu un ou plusieurs proches, avec la démarche «Se relever d’un deuil», des outils de compréhension du processus de deuil et leur ouvrent un espace de parole. Elles animent des groupes ouverts qui se réunissent un soir par mois, environ dix fois dans l’année, pour échanger leurs expériences, prier et partager de la chaleur humaine. Les personnes viennent sans inscription.

Cath.ch: Avez-vous en mémoire des cas qui vous ont particulièrement ému?

Agnès Telley: Nous avons eu une femme dont le mari s’était suicidé le jour de Noël. Au début, elle n’arrivait pas à dire un mot. Puis, elle s’est petit à petit ouverte, et a vécu une de ces petites «résurrections». C’est en particulier en voyant un couple dont le fils venait de mettre fin à ces jours sourire et même rire, qu’elle a perçu qu’il était possible de s’en sortir. Maintenant, nous lui demandons de venir témoigner et son exemple aide beaucoup les autres personnes accompagnées à trouver de la force pour aller de l’avant.

Il est aussi touchant de voir des amitiés se créer par le biais des séances. Deux femmes qui ont perdu leurs maris sont ainsi devenues amies au fil des rencontres. Et maintenant, elles m’invitent parfois à manger. Un bon nombre de personnes restent en contact avec nous, même si elles n’assistent plus aux rencontres. C’est la preuve que ces réunions peuvent mener à toutes sortes de belles expériences humaines.

Cath.ch: Quelles chances a une personne de pouvoir se relever d’un deuil?

AT: Peut-être plus que ce que l’on peut croire. Les gens qui viennent ont surtout besoin d’être rassurés sur le fait que ce qu’ils vivent est normal. Nous essayons de leur donner confiance dans leurs propres ressources, mais aussi de les aider à sortir ce qu’ils ont en eux, leur tristesse, leur colère, et même de rire, ce qu’ils n’osent pas se permettre. Ils expriment ainsi beaucoup de choses qu’ils ne parviennent pas à exprimer dans leur environnement habituel. Très souvent, les gens pensent qu’ils sont tristes, alors qu’ils sont profondément en colère. Les discussions permettent à cette colère de s’exprimer et de pouvoir être prise en compte.

Il est en outre très important pour eux de voir que d’autres ont réussi à se relever. L’on assiste ainsi souvent à de petites «résurrections» en direct. Ces témoignages redonnent de l’espoir aux autres.

Cath.ch: Quels obstacles peut-on rencontrer dans un processus de «relèvement»?

AT: La capacité d’un individu à se relever va dépendre de ses ressources et des circonstances du deuil. La culpabilité, notamment dans les cas de suicide, complique beaucoup le processus. La santé, physique ou psychique, est aussi un facteur qui entrave le chemin de deuil. Les personnes elles-mêmes malades ont souvent plus de peine à s’en sortir de même que celles qui sont isolées.

Un autre obstacle concerne la manière dont la veillée de prière ou l’enterrement  ont été vécus. Or, nous rencontrons parfois des gens insatisfaits et en colère, contre les ministres du rite parce qu’ils estiment que les choses ont été faites maladroitement ou avec trop de froideur ou qu’ils n’ont pas pu y participer comme ils l’auraient souhaité. Certains en ressentent une certaine déception et amertume envers l’Eglise. Nous tentons alors de leur faire retrouver confiance, également dans les institutions.

Il y a aussi le fait que de plus en plus de célébrations se font dans l’intimité, en excluant des gens et en les privant de dire au revoir au défunt. Avec la crémation, lorsque les cendres d’un défunt sont dispersées dans la nature ou déposées dans un endroit peu accessible, certains membres de la famille en souffrent. Beaucoup de gens se sentent démunis par rapport à ça, et ça ne facilite pas leur travail de deuil. Les dernières volontés d’un défunt peuvent empêcher ou compliquer un deuil.

Cath.ch: Comment se passe concrètement l’accompagnement des personnes en deuil?

AT: Nous offrons un accompagnement en groupe ou individualisé. Certaines personnes n’ont pas envie ou pas la force de raconter leur histoire devant un groupe. Elles préfèrent nous parler individuellement au Centre Ste-Ursule, ou à domicile. Nous nous déplaçons sans problème pour rencontrer les personnes là où elles se sentent le plus à l’aise.

Notre démarche consiste principalement à faire prendre conscience à la personne de ce qu’elle vit, de libérer sa parole. Pour chaque rencontre, il y a un thème différent pour orienter la discussion. Parmi les thèmes proposés il y a les émotions et les sentiments liés au deuil, les relations avec les proches, le pardon… Pour la séance du 11 mai, c’est par exemple le sentiment de culpabilité. Les fêtes et les anniversaires sont en général des moments difficiles à vivre, c’est pourquoi nous parlons de la Toussaint et des rites, nous avons une soirée intitulée «Noël…, sans lui, sans elle». A Pâques, nous parlons de la Résurrection et essayons de leur faire découvrir qu’elles ont déjà vécu des petites résurrections dans leur vie, qu’elles se sont déjà relevées après une maladie, un échec, une épreuve et que leur chemin de deuil est un chemin de résurrection. Mais à vrai dire, ce n’est qu’une façon de fixer la discussion car il se produit souvent une dynamique de dialogue qui amène les participants à s’éloigner du thème de base et parfois ce sont eux qui nous le proposent.

Cath.ch: Selon quelle méthodologie travaillez-vous?

AT: Il n’y en a pas une en particulier. Nous la créons nous-mêmes et elle s’est modifiée au cours des rencontres. En 5 ans, nous n’avons pas fait deux rencontres semblables, ça dépend des participants, de leur nombre et du thème. Nous utilisons des moyens pour favoriser la parole comme le photo-langage, des objets, des textes, des chansons, des visualisations, des prières… A chaque rencontre, les participants reçoivent un feuillet en lien avec le thème de la soirée sur lequel figurent des textes, prière et éléments pour mieux comprendre le deuil. Ma formation d’enseignante m’aide à construire les rencontres et il faut être créatif. Il n’y a pas non plus de formation type pour animer des groupes. Il arrive que nous nous inspirions d’ouvrages, notamment de ceux de Jean Monbourquette. Personnellement, depuis 15 ans, j’ai suivi différentes formations en matière d’accompagnement des personnes en deuil. Pour mon cas, cela a été à travers des cours spécifiques touchant à la psychologie, au développement personnel, à la théologie et beaucoup à travers des lectures personnelles. Et j’apprends beaucoup des gens que j’accompagne. Le plus important est de savoir animer le groupe, fixer un cadre, veiller à ce qu’il n’y ait pas de jugement, de comparaison entre les deuils, gérer la colère ou la tristesse exprimée et veiller à ce que chacun puisse s’exprimer s’il le désire. Il y a cependant un impératif quand on veut pratiquer cette activité, c’est d’avoir résolu et travaillé ses propres deuils. C’est ce que j’ai fait lors de sessions avec l’aide d’un psychothérapeute par rapport à un deuil difficile que j’ai traversé lorsque j’étais plus jeune. Si vous n’avez pas «déchargé votre propre sac-à-dos», vous ne pouvez pas aider les autres à porter le leur car leur deuil vous rappelle le vôtre et vous revient en pleine figure comme un boomerang.

La foi chrétienne est bien sûr à la base de notre démarche, mais nous ne proposons pas d’emblée cette approche, afin de laisser le temps et l’espace aux personnes pour exprimer leurs propres approches. Notre action est fondée sur l’écoute et le respect du vécu. Ainsi, nous avons souvent des personnes non catholiques qui font appel à nous. Nous réaffirmons néanmoins régulièrement notre espérance en la vie éternelle. Et c’est quelque chose que les gens désirent souvent entendre. Certains sont allés voir des médiums, ils ont besoin de se rassurer que la personne existe encore, quelque part.

Cath.ch: Ce travail apporte-t-il plus d’ombre ou de lumière?

AT: Mes enfants me demandent parfois pourquoi je fais un travail où je rencontre des gens tristes. Mais même si je suis touchée et ressens de l’empathie pour ces personnes, je ne me sens jamais effondrée, parce qu’au fil des rencontres, je vois les gens se relever. Les expériences que j’entends me font également prendre conscience à quel point la vie est précieuse et fragile et qu’il faut vivre au maximum l’instant présent. J’apprécie beaucoup plus la vie depuis que j’accompagne des endeuillés. En général, j’arrive à prendre une certaine distance avec ces activités. Je crois que j’ai la capacité de faire confiance à Dieu, d’être reconnaissante, de lui confier toutes ces destinées. Je fais ce que je peux de mon côté et je crois aux ressources de l’être humain pour faire face au malheur. Je reçois aussi beaucoup de reconnaissance et de remerciements de la part des gens qui ont réussi à se relever. Et puis, une fois chez moi, je trouve beaucoup de soutien et de force au sein de ma famille.

Cath.ch: La pastorale du deuil est-elle en progression?

AT: Le nombre de personnes que nous recevons est resté plutôt stable depuis cinq ans. Il y a aussi des messieurs qui demandent de l’aide. Par contre, nous voyons que notre démarche commence à être connue. Il arrive de plus en plus que des médecins ou des soignants nous envoient des personnes.

Agnès Telley, enseignante de formation, travaille en Eglise depuis longtemps. Elle est depuis trois ans aumônière à l’hôpital d’Estavayer-le-Lac. Elle anime aussi des conférences et des sessions sur le deuil. Mariée, elle est mère de trois enfants adultes. Rose Steinmann est de langue allemande, elle est praticienne en relation d’aide selon l’approche centrée sur la personne. (apic/rz)

Pour en savoir plus sur la démarche, sur le site du Centre Ste-Ursule

 

 

Rose Steinmann (g.) et Agnès Telley accompagnent depuis cinq ans les personnes en deuil
18 mai 2015 | 10:57
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 7 min.
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