«La secte cultive l’intensité de la foi et une certaine séparation au monde»

Qu’est-ce qu’une secte? Le point de vue de Jean-François Mayer

Fribourg, 26 janvier 2012 (Apic) L’historien Jean-François Mayer, né à Fribourg en 1957, est spécialiste des mouvements religieux contemporains et des sectes. Auteur d’une dizaine d’ouvrages, il dirige Religioscope, un site indépendant qui fournit des informations et des études sur le rôle des religions dans le monde contemporain. Jean-François Mayer livre ses réflexions sur le phénomène sectaire.

Apic: Comment définissez-vous sociologiquement une secte?

Jean-François Mayer: Au départ, la secte est une catégorie théologique qui désigne des groupes aux doctrines considérées comme erronées du point de vue de l’Eglise. Mais la sociologie a utilisé ce terme pour désigner un type d’organisation religieuse, sans jugement de valeur. Mise en contraste avec l’Eglise établie, la secte regroupe non pas l’ensemble d’une population, mais seulement des croyants convaincus. Ces derniers adhèrent volontairement et s’engagent fortement.

Apic: La secte cultive l’intensité de la foi et une certaine séparation par rapport au monde.

JFM: En raison de l’acception populaire très négative du terme «secte», les chercheurs l’utilisent moins aujourd’hui. En outre, les définitions classiques de la secte ne sont plus vraiment adéquates pour des groupes d’origine non chrétienne (mouvements orientaux, par exemple) et autres nouvelles réalités religieuses.

Apic: A partir de quels critères peut-on dire qu’une secte est ou devient dangereuse?

JFM: Comme pour tout autre groupe humain: quand un mouvement incite à des comportements qui portent atteinte à la dignité ou au bien-être d’une personne, quand il encourage des actes illégaux, quand il abuse de la confiance de fidèles. De tels faits surviennent aussi dans de grandes Eglises ou des associations non religieuses. Il est vrai qu’un cadre religieux crée une atmosphère dans laquelle des croyants peuvent développer un rapport très fort avec une figure spirituelle et lui accorder une confiance parfois absolue — avec des conséquences douloureuses quand cette confiance est mal placée. Dans une grande Eglise, il y a en principe des instances de contrôle qui identifient tôt ou tard les dérives ou abus, même si cela ne fonctionne pas toujours.

Apic: Que révèle, sur le plan sociologique, l’émergence du phénomène sectaire dans les sociétés occidentales?

JFM: Il y a toujours eu des groupes religieux non conformistes en Occident, mais ils ont souvent été durement réprimés jusqu’à l’époque contemporaine. Le contexte de liberté religieuse, d’une part, et d’individualisation des croyances, d’autre part, permet à qui ne trouve pas des réponses dans son Eglise d’aller les chercher ailleurs. Ou nulle part: la grande majorité des gens qui tournent le dos aux Eglises traditionnelles ne deviennent pas membres d’autres groupes. Les sectes et mouvements religieux nouveaux ne rassemblent qu’une infime fraction de nos concitoyens. A côté des groupes religieux issus de l’immigration, c’est une expression de la diversification de notre environnement religieux.

Apic: En plein développement, les Eglises évangéliques passent parfois pour des sectes. Partagez-vous ce point de vue?

JFM: En dehors de personnes utilisant ce terme dans des desseins polémiques, il n’y a plus grand monde aujourd’hui qui utiliserait le mot «secte» pour désigner les Eglises évangéliques. En France, une partie importante de celles-ci sont membres de la Fédération protestante de France. De plus en plus nombreuses sont les coopérations entre certaines communautés évangéliques et des protestants ou catholiques. Bien entendu, il y a une grande variété dans le monde dynamique des Eglises évangéliques: on y trouve une palette d’attitudes et de pratiques, qui interdit de généraliser. (apic/eda/bb)

26 janvier 2012 | 13:36
par webmaster@kath.ch
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