«La théologie fait en sorte que les grandes questions ne soient pas oubliées»
Veronika Hoffmann est depuis le 1er août 2025 la nouvelle doyenne de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. Alors que la Faculté fait face à des défis inédits, la professeure de dogmatique rappelle l’importance de la théologie dans notre société.
Originaire d’Allemagne, Veronika Hoffmann enseigne depuis sept ans au sein de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. Cet été, elle a succédé à Joachim Negel au poste de doyenne. Elle explique à cath.ch comment elle compte faire fructifier l’une des disciplines phare de l’Alma Mater.
Qu’implique votre fonction de doyenne?
Veronika Hoffmann: Attention aux fausses images: une doyenne n’est pas une patronne, pas une cheffe. Les décisions principales sont prises par le Conseil de Faculté, composé des professeures et des professeurs et des délégués des assistants et des étudiantes et étudiants. Mon rôle est surtout d’organiser la communication au sein de la Faculté, de veiller à la bonne marche de l’administration. De donner peut-être des impulsions, mais aussi d’en recevoir de la part des professeurs et des étudiants. Il y a également un travail de représentation de la Faculté vers l’extérieur. Je dois en outre assurer le contact avec le rectorat.
De quelles aptitudes faut-il disposer pour cette fonction?
Lorsque j’ai été nommée doyenne, je me suis dit: j’ai certainement une excellente formation théologique, mais je n’ai jamais été formée pour gérer une faculté. Bien sûr, c’est quelque chose que l’on apprend sur le tas, mais j’ai tout de même décidé de faire un CAS (Certificat d’études avancées) en management et leadership en université. Auparavant, il était peut-être possible pour un doyen de ne pas passer par là, mais la masse de travail a énormément augmenté depuis des décennies.
«Nous nous sommes rendu compte qu’il n’était pas possible avec le marché suisse d’avoir un nombre suffisant et stable d’inscriptions»
J’essaye de ne pas être une professeure qui sait toujours ce qui est juste. Je m’efforce d’être à l’écoute et de constamment apprendre. Et même si nous aimerions aller de l’avant, nous ne pouvons pas le faire au prix d’un burn out collectif. La santé mentale est un souci constant. Je tente moi-même de réaliser un bon équilibre entre vie privée et professionnelle.
Quels sont les gros dossiers qui vous attendent?
Il y en a principalement deux. Le plus pressant est peut-être la chute du nombre d’étudiantes et d’étudiants. Le second concerne les finances, également à la baisse.
Que comptez-vous faire?
Nous nous sommes rendu compte qu’il n’était pas possible avec le marché suisse d’avoir un nombre suffisant et stable d’inscriptions. Il faut donc élargir notre groupe cible. Pour cela, nous mettons notamment en place la possibilité de suivre l’intégralité ou une partie du Bachelor en théologie à distance. Cela commencera officiellement au semestre d’automne 2026. Mais des professeures et professeurs se lancent déjà ce semestre avec de premières expériences d’enseignement en ligne. Le site web qui informe sur les possibilités et des démarches pour le faire existe déjà.
C’est un grand projet, aussi parce que la Faculté de théologie est pionnière en la matière au sein de l’Université de Fribourg, et le rectorat regarde cela de près et soutient la démarche. Peut-être que cela fera des émules.
Quels sont les défis associés au projet?
Nous avons presque tous de mauvais souvenirs de la pandémie, où l’on avait tenté de mettre en place à la va-vite des cours en ligne. C’était loin d’être idéal et nous devons tirer les leçons de cette expérience. C’est-à-dire repenser la manière d’enseigner la théologie sur ce support et assurer le suivi des étudiantes et étudiants. Bien sûr ce projet draine pas mal de défis administratifs, financiers, d’infrastructure…
Quel est l’intérêt pour les jeunes de se lancer dans des études de théologie?
Les motivations sont très diverses. Professionnellement, il y a bien sûr la possibilité de travailler en Église. Mais au-delà, je constate que la théologie peut faire avancer un jeune dans sa vie-même. Bon nombre d’étudiantes et d’étudiants le font par curiosité intellectuelle, par intérêt personnel. Beaucoup ont une foi qui est au centre de leur vie, et ils se rendent compte que la théologie est une manière de la faire fructifier.
«Dans les coupes budgétaires que réalise le canton de Fribourg, l’Université est touchée de manière vraiment cruelle»
Évidemment, dans une société de plus en plus sécularisée, il n’est pas toujours facile d’entrer dans un cursus qui puisse vous faire paraître «particulier» par rapport aux autres. La baisse du nombre d’entrées en théologie est donc compréhensible, mais notre objectif est aussi de faire réaliser aux jeunes tout ce qu’ils pourraient en retirer.
Qu’en est-il du problème financier?
Comme partout ailleurs on nous demande de faire plus avec moins. Dans les coupes budgétaires que réalise le canton de Fribourg, l’Université est touchée de manière vraiment cruelle. Pour nous qui sommes une petite faculté, cela nous pose des problèmes fondamentaux. Nous devons donc stabiliser les finances à un nouveau niveau, repenser le fonctionnement de la faculté. Il faut aussi rechercher plus de donateurs privés qui accepteraient de s’engager pour l’avenir de la théologie.
Mais pourquoi aurions-nous besoin de la théologie?
La société a, selon moi, tout intérêt à soutenir la théologie. Le christianisme fait partie de notre héritage historico-culturel, qu’il a façonné notre façon de voir le monde en Occident. Je pense qu’il est difficile de comprendre notre société actuelle sans comprendre les mouvements sous-jacents qui l’ont formé, même si l’on n’est pas croyant personnellement. Bien sûr, cela n’est pas le fait du seul christianisme. Dans cette optique, nous proposons comme seconde voie les études interreligieuses qui s’adressent aux personnes intéressées par les connaissances sur la religion en dehors du cadre de la foi.
«Nous avons une bonne réputation, également à l’internationale, et nous allons faire ce qu’il faut pour la garder»
Mais tout le monde se pose un jour où l’autre les questions ‘d’où viens-je’, ‘où vais-je’. La théologie est l’une des disciplines qui font que les grandes questions ne soient pas oubliées. Que veut dire le bien, le mal, que veut dire agir moralement? La théologie a la tâche de remettre en mémoire des réponses qui, même si on ne les partage pas, ont déjà été données et peuvent faire office de boussole.
Quelles sont les forces de Fribourg en matière de théologie?
Nous avons une bonne réputation, également à l’internationale, et nous allons faire ce qu’il faut pour la garder. La Faculté est en train de mettre en évidence un profil que nous avions déjà mais qui n’était peut-être pas formulé de manière si claire auparavant. En tant que musicienne, je le conçois comme un accord de trois notes: la théologie est une discipline rigoureuse et critique, les étudiants tout comme les enseignants sont habités par des convictions qu’ils apportent en classe, et nous avons la curiosité de comprendre ce que l’autre pense, dans le domaine religieux, mais aussi au-delà. Ces trois points peuvent se réunir harmonieusement. La spécificité de Fribourg est peut-être cette force de garder l’équilibre entre ces pôles et la conviction que notre grande diversité, même si elle peut provoquer des tensions, nous enrichit toujours.
Vous voulez parler de la dimension internationale de la Faculté?
Entre autres. La formation en théologie est évidemment aussi au service de l’Église locale. Mais la dimension internationale est un aspect dont nous sommes très fiers et que nous voulons promouvoir et développer. Les études en ligne doivent aussi servir à renforcer ce profil, notamment face à deux problématiques qui freinent l’internationalité: la difficulté d’obtention des visas et le coût très élevé de la vie en Suisse.
Nous pensons aussi à lancer des cours en anglais pour élargir notre audience potentielle, pas pour un bachelor complet, mais peut-être un master avec spécialisation, des cours complémentaires ou encore des formations continues.
«Travailler avec le doute permet de trouver une foi qui n’est pas construite par l’extérieur»
Le bilinguisme français-allemand, qui est aussi un avantage de notre Faculté, doit également être développé. Sur ce point, il faut éviter un malentendu: il est possible de faire ses études complètement en français ou en allemand. Mais bien sûr, la possibilité de suivre des cours dans les deux langues offre des perspectives beaucoup plus vastes, car on ne fait pas tout à fait la même théologie en allemand qu’en français.
Quels atouts vous donne le fait d’être professeure de dogmatique tout en étant spécialisée dans le doute et l’incertitude?
Je crois que nous avons conscience qu’au-delà du contenu de la foi et surtout du Christ, qui constitue le centre et qui ne change pas, il y a des manières individuelles, «biographiques» de vivre cette foi. Il faut admettre et assumer que nous ne sommes plus dans un monde catholique «par défaut». Travailler avec le doute, confronter ce que nous prenons parfois pour acquis, permet de trouver une foi qui n’est pas construite par l’extérieur, pas apprise, mais qui a été travaillée, et qui est au final vraiment la nôtre. (cath.ch/rz)
Veronika Hoffmann est née en 1974 à Darmstadt, au sud de Francfort. Enfant, elle commence très vite le violon et rêve d’être musicienne professionnelle, une aspiration qui ne se réalisera finalement pas. Alors qu’uniquement sa mère est catholique, elle est éduquée dans la foi, dont elle fait une «redécouverte» alors qu’elle est adolescente. Elle décide alors d’étudier la théologie et la philosophie à Francfort et Innsbruck (Autriche). Forte d’une formation dans la pastorale, elle officie dans les écoles.
Elle se retrouve un moment à alterner entre une carrière pastorale et académique. Un modèle en principe «idéal», mais qu’elle doit arrêter devant l’impossibilité de gérer en même temps ces deux activités «qui exigent tout de vous».
Elle termine son doctorat à l’Université de Munster (Allemagne) et devient assistante à l’Université d’Erfurt, en Allemagne de l’Est. Une expérience «très intéressante, car le christianisme issu du contexte socialiste a une autre qualité».
Elle décroche ensuite un poste de professeure à l’Université de Siegen, au nord-ouest de l’Allemagne. Puis elle découvre avec grand intérêt l’ouverture d’un poste de professeure de dogmatique à la Faculté de théologie de Fribourg. «Le profil du poste, mais aussi de Fribourg m’a plu. J’avais appris le français surtout en faisant ma thèse sur Paul Ricœur et j’ai toujours aimé parler cette langue, c’était l’occasion de le faire.» Veronika Hoffmann réside depuis 2018 sur les bords de la Sarine, où elle se ressource régulièrement en jouant du violon. RZ