Chrétiens dans le collimateur des autorités
La Tunisie se rend aux urnes
Tunis, 22 octobre 1999 (APIC) Les citoyens tunisiens se rendent aux urnes le 24 octobre pour réélire leur président. Un exercice démocratique certes, qui ne saurait masquer les problèmes, dans un pays où les droits individuels comme la liberté de la presse sont toujours muselés. On constate même un durcissement du régime de Zine El-Abidine Ben Ali, notamment vis-à-vis des responsables chrétiens. Témoignage d’un couple de protestants tunisiens.
«La police nous a confisqué notre passeport et ne nous a pas expliqué pourquoi», témoigne un couple de protestants tunisiens. Mohamed est un responsable chrétien de Tunisie. Il ne peut plus quitter son pays. Son épouse, Fatima, loin de se lancer dans un réquisitoire contre le gouvernement, ajoute tout de suite, comme pour excuser cette pratique: «Nous avons beaucoup voyagé à l’étranger ces derniers temps, peut-être la police a-t-elle peur que nous préparions quelque chose contre l’Etat».
Une Eglise autochtone minuscule
En Tunisie, les chrétiens originaires du pays sont très peu nombreux. Côté protestant, Mohamed estime leur nombre à une cinquantaine, dispersés aux quatre coins de la Tunisie. Dans le passé, ils se retrouvaient régulièrement à Tunis. Aujourd’hui, cette pratique a changé. «Nous préférons nous rencontrer en petits groupes dans les villes où nous habitons», explique Mohamed.
Les chrétiens originaires de Tunisie évitent de fréquenter de trop près les paroisses ou Eglises étrangères occidentales. A Tunis, il y en a trois: l’Eglise catholique, l’Eglise anglicane et l’Eglise réformée française. Cette fréquentation serait le plus sûr moyen de se faire repérer. En matière de liberté religieuse, Fatima et Mohamed ne se plaignent pas. Leur pays compte parmi ceux où la pratique de la foi chrétienne en privé n’est pas trop entravée. «Je suis libre, martèle Mohamed. Je vais où je veux dans mon pays. Nous avons chaque semaine une étude biblique et le dimanche un culte. Jamais je n’ai été inquiété pour ces activités».
La famille comme bastion de résistance
Néanmoins, les chrétiens originaires de Tunisie buttent sur toutes sortes de difficultés. Des difficultés dues à la société et à la culture, mais également à l’Etat tunisien. Si des jeunes s’intéressent à la foi chrétienne, la famille s’interpose souvent. «Pour les familles tunisiennes ordinaires, explique Mohamed, le fait qu’un de ses membres devienne chrétien, est l’une des pires choses qui puissent arriver». Se tourner vers le Christ, c’est changer non seulement sa manière de voir Dieu, mais aussi une culture fortement marquée par la foi musulmane. La plupart du temps, le jeune homme doit quitter la maison de ses parents. On lui demande même parfois de renoncer à porter le nom de sa famille. Mohamed n’a jamais annoncé à ses parents de manière directe sa conversion au christianisme.
Sa famille a senti sa prise de distance par rapport à l’islam lors du jeûne du Ramadan. «Après cela, j’ai eu beaucoup de problèmes, explique-t-il. Mes parents m’ont renvoyé de la maison. Mais je n’ai pas voulu aggraver les tensions». La plus grande souffrance en relation avec les siens, Mohamed l’a ressentie lorsque ses parents ont refusé d’assister à son mariage. Depuis lors, 12 ans se sont écoulés et les relations avec sa famille se sont nettement améliorées.
L’idéal est de travailler en indépendant
Les Tunisiens devenus chrétiens rencontrent aussi passablement de difficultés lorsqu’il s’agit de trouver un emploi. Dans une entreprise ordinaire, ce genre de singularité pour un Tunisien passe difficilement. Au sein de l’administration, confesser sa découverte du Christ peut entraîner parfois un licenciement. Pour Fatima, son engagement chrétien a plutôt représenté un plus dans l’exercice de sa profession. Dans le domaine social où elle est active, le sérieux de son comportement lui a valu la confiance de son chef et davantage de responsabilités.
Les fêtes traditionnelles liées à la foi musulmane comme l’Aïd el-Kébir, le sacrifice du mouton, ou le Mouled, l’anniversaire de la naissance du prophète, sont également une source de gêne pour nombre de chrétiens. «Dans ces moments, nous nous sentons étrangers dans notre propre pays», explique Fatima. Pendant le mois de Ramadan, l’essentiel des conversations quotidiennes tourne autour de la nourriture et du repas à consommer la nuit venue. «Ces thèmes ne nous concernent pas et suscitent plutôt de la gêne parce que nous ne participons pas», ajoute Fatima.
Un régime policier très musclé
Devenir chrétien peut aussi entraîner des difficultés avec les autorités. La Tunisie vit sous un régime policier de plus en plus musclé. La dictature du président Ben Ali ne touche pas seulement les chrétiens, mais aussi tous les groupes désireux de questionner sa manière d’exercer le pouvoir, des militants des droits de l’homme aux islamistes. Du côté de Fatima et de Mohamed, on ne peint pas le diable sur la muraille. «Depuis une dizaine d’année, on est régulièrement convoqué au poste de police. Les autorités veulent savoir ce qui se passe. Elles font leur boulot». Il n’empêche, derrière le discours lisse et conciliant de ce couple, la confiscation de leurs passeports passe mal. «J’aimerais au moins qu’on me donne les raisons de cette confiscation, argumente Mohamed. Je pourrais alors expliquer ma démarche et rassurer les autorités sur les motivations qui m’ont conduit régulièrement à l’étranger ces dernières années». (apic/sc/pr)