Rita Famos, présidente de l'EERS, a rappelé que l'aumônerie de santé était un élément essentiel de la mission chrétienne | © Raphaël Zbinden
Suisse

L’aumônerie au défi de la collaboration avec l’hôpital

Dieu a-t-il sa place parmi les blouses blanches? Les premières Journées nationales œcuméniques de réflexion se penchent, les 26 et 27 janvier 2024 à Fribourg, sur la question des défis et des chances de la présence des Églises en milieu de santé.

En Suisse, comme dans d’autres pays, l’aumônerie de santé fait face à un certain nombre de de pressions. Elle est confrontée à des courants de laïcisation et à des exigences de plus en plus aiguës des milieux de soins. Comment dans ces conditions, réaffirmer la place de l’aumônerie confessionnelle auprès des personnes souffrantes?

C’est pour explorer ces questions que les premières Journées de réflexion nationales œcuméniques ont réuni, dans la matinée du 26 janvier, une septantaine de personnes dans les locaux de l’Université de Fribourg. L’événement intitulé «L’Église dans le système de santé, défis et chances» est organisé par la Conférence des évêques suisses (CES), l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS) et l’Association professionnelle aumônerie en milieu de santé (APA). En Suisse, les services d’aumônerie sont habituellement réalisés de façon interconfessionnelle.

L’aumônerie, au cœur de la mission chrétienne

En ouverture de séance, Rita Famos, présidente de l’EERS, a rappelé à quel point l’aumônerie était au cœur de la mission des Églises, inspirée par l’amour du prochain. Elle a mis en avant la nécessité pour l’aumônerie de ne pas se laisser dépasser dans un secteur aussi exigeant et performant que celui des soins.

Rita Famos, présidente de l’EERS | © Raphaël Zbinden

Le rôle-clé de l’aumônerie de santé dans la chrétienté a été illustré par Heiko Rüter, président de l’APA. Il a expliqué que l’attention aux malades était une tâche des premières communautés chrétiennes. Elles suivaient ainsi la tradition de guérison initiée par Jésus. Heiko Rüter a brièvement montré l’évolution de l’aumônerie de santé au cours des siècles, passant de la simple administration des sacrements et au pardon des péchés à une mise au centre de la personne, privilégiant son écoute et son accompagnement.

Le président de l’APA a souligné l’attention croissante, dans le monde médical, à la spiritualité, avec une prise en charge holistique du patient. En ce sens, l’accompagnement spirituel a toute sa place dans les soins. Pour Heiko Rüter, l’aumônerie doit ainsi se profiler en tant que discipline professionnelle enracinée dans la religion. Un engagement qu’elle ne peut réaliser qu’à travers une saine collaboration à la fois entre les divers acteurs de l’aumônerie et les institutions. Il a ainsi réaffirmé l’importance de la discussion et de l’échange d’expérience dans ce domaine, qui constituent l’un des objectifs des Journées de réflexion.

Une aumônerie marquée par la diversité

La diversité a été l’un des maîtres-mots de la matinée. Elle caractérise l’aumônerie de santé en Suisse, qui s’articule très différemment selon le canton ou l’institution. A titre d’exemple, la pasteure Rahel von Siebenthal a présenté le fonctionnement de ce service en Argovie. Un modèle œcuménique où le degré de collaboration n’est pas défini par les Églises, mais par les institutions de soins. Une dépendance qui n’empêche pas un fonctionnement efficace et serein a expliqué la pasteure.

«Le risque existe de voir l’aumônerie chrétienne menacée par l’avènement d’une ‘spiritualité mainstream’»

Isabelle Noth

Un autre cas de figure a été présenté dans le canton de Genève. Sandro Iseppi, aumônier aux HUG, a exposé son travail dans le cadre particulier de la nouvelle Loi sur la laïcité, entrée en vigueur en 2018. La législation donne la possibilité d’un accompagnement spirituel par toute communauté religieuse remplissant un certain nombre de conditions telles que la participation à la cohésion sociale et la non-discrimination.

Le défi de la «connotation»

L’exemple genevois est significatif des exigences venant de l’extérieur. La grande question étant celle de leur compatibilité avec l’enseignement des Églises. Isabelle Noth, professeure en aumônerie, en psychologie et pédagogie religieuse à l’Université de Berne, a relevé que l’aumônerie de santé avait intégré nombre de concepts issus de disciplines scientifiques telles que la psychologie. D’où a pu naître un reproche de «soumission à la médecine».

Elle a admis qu’à une époque où l’Église souffrait d’une réputation difficile et représentait pour beaucoup quelque chose de «dépassé», le risque existait de voir l’aumônerie chrétienne menacée par l’avènement d’une «spiritualité mainstream», bien moins connotée.

Isabelle Noth, professeure en aumônerie, psychologie et pédagogie religieuse à l’Université de Berne | © Raphaël Zbinden

Réitérant le besoin pour l’aumônerie de toujours se poser des questions sur elle-même, elle a insisté sur la nécessité d’une formation théologique solide pour ses acteurs. Elle a rappelé que l’accompagnement spirituel trouvait dans les Églises d’importantes ressources, qu’elle ne trouverait sans doute pas ailleurs. «L’aumônerie est bien plus qu’une technique, c’est une pratique qui sait qu’elle existe grâce à Dieu», a rappelé la professeure.

«Spiritual Care» contre aumônerie?

Le mouvement dit du «Spiritual Care» est parfois vu comme une «concurrence» de l’aumônerie confessionnelle. Une idée que Simon Peng-Keller, professeur de «Spiritual Care» à l’Université de Zurich, est venu mettre en perspective. Le terme désigne les efforts communs visant à appréhender les êtres humains avec leurs besoins spirituels et à les soutenir de manière adéquate. Simon Peng-Keller a expliqué que ce mouvement était en fait issu de la tradition chrétienne et qu’il ne constituait pas quelque chose de radicalement nouveau face à l’aumônerie classique.

Le spécialiste a assuré que les approches du «Spiritual Care» et de l’aumônerie n’étaient pas contradictoires et qu’elles pouvaient même être complémentaires. Elles constituent des «missions différentes», liées aux divers engagements professionnels.

Simon Peng-Keller, professeur de «Spiritual Care» à l’Université de Zurich | © Raphaël Zbinden

Simon Peng-Keller a insisté sur l’importance de la transparence en la matière. Il doit être clair pour le patient sous quelle approche est effectué son accompagnement. Le professeur de «Spiritual Care» a souligné que l’aumônerie avait par essence une dimension «universaliste». Jésus ne guérissait pas les personnes sous condition, mais dans un espace de liberté. «L’aumônerie confessionnelle devrait davantage revendiquer auprès des institution son expertise et ses compétences», a relevé le professeur. Il a averti qu’un éloignement des Églises reconnues du domaine des soins pourrait laisser la porte ouverte aux courants religieux extrémistes.

La manifestation, qui s’étendra encore dans la matinée du 27 janvier, propose diverses activités, telles que des ateliers développant des thèmes en lien avec les interventions, ou encore des célébrations religieuses. (cath.ch/rz)

Rita Famos, présidente de l'EERS, a rappelé que l'aumônerie de santé était un élément essentiel de la mission chrétienne | © Raphaël Zbinden
26 janvier 2024 | 17:29
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 5  min.
Arnd Bünker (4), Aumônerie (54), hôpital (71), Oecuménisme (392), Rita Famos (16), Santé (166)
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