Un pays assis sur un volcan, affirme Mgr Aguirre Munoz

Le Centrafrique au lendemain de la réélection de Patassé :

Bangui, 12 octobre 1999 (APIC)Au lendemain de la réélection du président Ange-Félix Patassé, le Centrafrique  » reste assise sur un volcan «, estime Mgr Juan José Aguirre Munoz, un missionnaire espagnol âgé de 45 ans. Présent dans le pays depuis vingt ans, Mgr Munoz est depuis 1997 évêque auxiliaire à Bangassou et président de la Commission épiscopale «Justice et Paix «.

Le 19 septembre dernier, le président Patassé a été réélu pour un second mandat au premier tour avec 51,74 % des suffrages ; son principal adversaire, l’ancien dictateur André Kolingba, qui a gouverné le pays de 1981 à 1993 a obtenu 19 % des voix. Dès que les résultats officiels ont été communiqués, le 2 octobre, des protestations se sont élevées chez les partisans de A. Kolingba, tous membres de la tribu des Yakomas. Mais la ville de Bangui est calme. La capitale est gardée par l’armée et par des troupes de la MINURCA, la force d’interposition de l’ONU présente dans le pays depuis 1996 et qui comprend 1’300 hommes, fournis par l’Egypte, le Sénégal et le Burkina Faso.

La plaie du tribalisme

Si le président Patassé a été confirmé malgré une pauvreté croissante, c’est parce que la population a peur d’un bouleversement. Pour Mgr Munoz, un visage nouveau serait pourtant la solution, une personnalité qui ne soit favorable ni à Patassé ni à l’ancien président André Kolingba, car «ce sont eux ont divisé le pays en réveillant le tribalisme et en opposant le Nord et le Sud», a-t-il expliqué à l’agence missionnaire romaine Fides

La crainte de l’évêque est que ceux qui ont perdu les élections n’acceptent pas les résultats et déclenchent la guerre, comme cela s’est produit au Congo-Brazzaville. Aujourd’hui, le pays est divisé entre la direction de A. Patassé et de la tribu Karé originaire du Nord, et celle de A. Kolingba, de la tribu Yakoma du Sud.

«Une personnalité neutre aurait pu contribuer à faire croître le pays, explique le missionnaire espagnol. Avec la victoire de Patassé, tout continuera comme avant, et le pays sera toujours plus pauvre et divisé. Le symbole des problèmes du pays est la capitale : Bangui elle aussi est divisée en deux par la grande artère qu’est l’avenue Boganda qui, comme une cicatrice, divise les habitants provenant du Nord de ceux provenant du Sud. en 1997, il y a eu des émeutes, et j’ai été le témoin de nombreux massacres ; mon église a été bombardée et les gens ont commencé à se déplacer d’une région de la ville à l’autre, en suivant l’appartenance tribale.»

Quelle démocratie ?

Le problème numéro un du pays, c’est bien entendu la pauvreté, qui engendre la violence sociale, dont sont victimes les plus faibles, comme les personnes âgées, qui sont éloignées de leurs familles et qui sont accusées de sorcellerie, les veuves qui, d’après les traditions locales, sont dépouillées de tout au moment de la mort de leur mari, et les minorités, comme les pygmées. Des violences dénoncées par la Commission «Justice et Paix», qui emploie une dizaine de personnes à temps plein et peut compter sur la collaboration de cinq magistrats très actifs et bien insérés dans la communauté civile. Mais la commission ne se contente pas de dénoncer : ces temps derniers, elle a travaillé pour que les gens connaissent leurs droits, en insistant sur l’information pour les droits politiques.

Un travail de la plus haute importance. «en Afrique Centrale, la démocratie a amené le passage du parti unique à la pluralité des partis, mais elle a réveillé les luttes tribales, affirme Mgr Munoz. Cela s’est produit partout. La démocratie ne nous a pas aidés sur ce plan. Nous vivons avec une bombe à retardement. Nous devons travailler pour que les gens ne se laissent pas écraser comme des animaux : si la démocratie ne s’accompagne pas de l’éducation et du développement, elle engendre un conflit. Dans cette optique, «Justice et Paix» est devenue un lieu de rencontre et de conciliation. Certains demandent notre aide pour pouvoir faire s’asseoir les deux parties en lutte autour d’une même table. C’est un rôle très significatif et évangélique. «

Outre la pauvreté, Mgr Munoz déplore le manque d’éducation, sans laquelle on engendre l’injustice – le pays a connu trois années  » blanches  » durant lesquelles les enfants ne sont pas allés à l’école à cause des grèves continuelles des enseignants -, la corruption présente à tous les niveaux et qui est impunie, et le drame de la spoliation des richesses : «Le pays est riche, il a des diamants, du café, du coton. Mais la richesse va régulièrement à l’étranger : le monopole des diamants est aux mains des Sud-africains, celui du café et du coton aux mains des Libanais. Il ne reste rien pour les Centrafricains ! «

Faire parler l’évangile

Quant au rôle de l’église, l’évêque auxiliaire de Bangassou le voit comme un appui au dialogue. «L’Eglise est en croissance, dit-il. elle a 100 ans, elle n’est pas une enfant. elle a 160 prêtres autochtones, et la moitié de l’épiscopat l’est aussi. Le défi le plus grand est la pacification du pays, pour ne pas faire comme le Congo-Brazzaville, le Congo Kinshasa ou le Soudan. L’Eglise doit savoir être intermédiaire, en raison du fait aussi qu’elle est l’unique réalité qui a un poids moral en mesure d’agir en faveur de la réconciliation «

Un autre défi est de faire accepter en profondeur le message évangélique : «Nous en sommes à la troisième génération de chrétiens, et l’évangile doit s’exprimer dans la vie, souligne Mgr Munoz. Chez nous, malheureusement, beaucoup sont chrétiens le jour et redeviennent païens la nuit». Il y a encore le défi de la justice sociale, car «il y a en Centrafrique des situations véritablement inacceptables pour le christianisme «.

C’est à la lumière de ces défis que le président de «Justice et Paix» voit le rapport avec la culture traditionnelle. «C’est un processus lent, explique le prélat. évangéliser la culture veut dire faire parler l’évangile dans ces réalités et dans ces attitudes qui sont anti-évangéliques. C’est dans ce sens que travaillent les communautés de base. Le Centrafricain est un homme religieux, mais le christianisme est accepté encore de manière superficielle. La purification de certains aspects de la culture nécessite des dizaines d’années. Pensez au phénomène des «hommes-caïman» : on croit qu’une personne peut se transformer en un animal féroce et tuer, et, s’il arrive un accident, on cherche aussitôt un coupable sur la base de ce préjugé, déchaînant ainsi des vengeances et des meurtres. Ou encore le problème des veuves, dont j’ai déjà parlé : certains aspects de la culture ne sont pas en accord avec l’évangile, et l’Eglise le dit clairement. Mais nous sommes conscients que nous ne verrons pas tout le fruit de notre travail. Les générations qui viendront après nous le verront. (apic/cip/fides/mp)

12 octobre 1999 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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