«Le football a-t-il pris Dieu en otage?»

Lausanne: certains footballeurs se signent, «communient» avec leurs fans et invoquent la «main de Dieu» quand ils trichent

Lausanne, 21 mai 2010 (Apic) Alors que la Coupe du Monde de football débute le 11 juin 2010, le professeur d’éthique de l’Université de Lausanne (UNIL) et de Genève Denis Müller donne son avis sur le football et la relation «particulière» que semblent entretenir certains joueurs avec Dieu. Auteur de l’essai «Le football, ses dieux et ses démons – Menaces et atouts d’un jeu déréglé»(*), il livre son analyse dans le dernier numéro de «Allez Savoir!», magazine quadrimestriel de l’UNIL(**).

«Ma première religion, ma religion populaire, c’est le football», confie Denis Müller, interrogé par Laurent Bonnard pour le magazine «Allez Savoir». Ethicien, théologien, fervent supporter, Denis Müller suit les péripéties footballistiques, au niveau local et international, depuis plus de cinquante ans.

Signes de croix à profusion, prosternements et prières des footballeurs

L’éthicien romand semble bien placé pour remettre à leurs places respectives la religion et le football. La mission reste délicate parce que tout concourt à embrouiller les pistes. Il y a évidemment, en première ligne, le vocabulaire usuel des «fidèles» et les expressions telles que «la communion» du public avec son équipe, ou encore, la «main de Dieu». «Sur le terrain, il y a aussi les signes extérieurs de piété qui se multiplient, avant, pendant et après les matches. Il y a ces signes de croix à profusion, ces prosternements sur le gazon aussi nombreux que peu discrets, ces prières en cercles intimes avant le coup d’envoi», commente le professeur.

Quand le beau jeu crée une forme de communion

De prime abord, la comparaison entre football et religion est difficile. Par exemple, il existe deux camps adversaires au football, alors qu’il n’y a rien de semblable du côté religieux classique. La passion du football n’a-t-elle vraiment rien de commun avec une religion? Réponse pas évidente, Denis Müller fait appel à ses souvenirs: «Dans un match où le résultat a moins d’importance, il peut arriver que le beau jeu stimule une atmosphère qui finit par culminer dans une forme de communion: c’est rare, mais ça arrive; alors cette sorte de bonheur supplémentaire (quel match!) rapproche ce moment d’une religion».

«Par à-coups, le football laisse entrevoir le surgissement possible de la gloire»

Evoquer avec le professeur d’éthique les multiples dimensions du football, c’est faire inévitablement, et en permanence, l’aller et retour entre ses souvenirs d’enfance et les textes multiples qui fondent sa réflexion. Où l’on retrouve souvent Norbert Elias (»Sport et civilisation. La violence maîtrisée»), Marc Augé (»Football: de l’histoire sociale à l’anthropologie religieuse»), et bien d’autres auteurs qui ont su dépasser une approche radicale du sport considéré définitivement comme une nouvelle version de l’opium du peuple.

Finalement, Denis Müller se rapprocherait plutôt du théologien protestant Paul Tillich, qui parle du football en tant que «quasi-religion»: «La plupart du temps, le football demeure soumis à la compétition brute et à la violence déshumanisante d’une pauvre imitation de la religion et de la beauté; ce n’est que par à-coups et par intermittence qu’il laisse entrevoir le surgissement possible de la grâce et de la gloire».

(*) Denis Müller, Le football, ses dieux et ses démons – Menaces et atouts d’un jeu déréglé, Ed. Labor et Fides (collection Le Champ éthique), 2008

(**) Laurent Bonnard, Le football a-t-il pris Dieu en otage?,»Allez Savoir!», n° 47, mai 2010.

(apic/unil/fb)

21 mai 2010 | 11:48
par webmaster@kath.ch
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