Le «mystère divin» de l'immigré

Suisse: Ce que dit la Bible sur l’étranger

Fribourg, 6 février 2014 (Apic) Comment la Bible parle-t-elle de l’étranger? Est-il un ennemi, un égal, un frère? Le prêtre et bibliste français Yves Saoût estime, dans le récent ouvrage «Ce que dit la Bible sur l’étranger», qu’il existe un véritable «mystère» divin de l’étranger. A l’heure où le peuple suisse votera, le 9 février 2014, sur «l’immigration de masse», il peut être utile d’approfondir la signification de la parole biblique sur celui qui vient d’ailleurs.

«J’étais un étranger et vous m’avez recueilli […] En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.» (Matthieu 25, versets 35.40). Ces paroles de Jésus décrivent, pour Yves Saoût, le «mystère divin de l’étranger». Fréquemment dans les Evangiles, Jésus s’identifie à l’immigré, à l’affamé, au prisonnier, au malade qui attend une visite. «Accueillir l’étranger, c’est accueillir Dieu le Père!», martèle le prêtre français, qui a longtemps officié dans des pays lointains. Pour le bibliste, c’est cette capacité à accepter l’autre, l’inconnu, le mystère de Dieu, qui fait de nous des vrais croyants. Il étaye cette idée en relevant une citation du philosophe et historien jésuite français Michel de Certeau, tirée de son livre «L’Etranger»: «Dieu reste l’inconnu, celui que nous ne connaissons pas, alors même que nous croyons en lui; il demeure l’étranger pour nous, dans l’épaisseur de l’expérience humaine et de nos relations. Mais il est aussi méconnu, celui que nous ne voulons pas reconnaître et qui, saint Jean le dit, n’est pas reçu chez lui, par les siens. Et c’est là-dessus que nous serons jugés en dernier ressort, c’est le dernier test de la vraie vie chrétienne: avons-nous reçu l’étranger, fréquenté le prisonnier, accueilli l’autre?»

Crainte et rejet de l’étranger

Certes, la Bible, et en particulier l’Ancien Testament, a une attitude ambivalente envers l’étranger. Le récit est imprégné de la crainte des Israélites de voir leur culture, leur religion, ou même leur peuple entier disparaître. Ce qui, dans le contexte de l’époque où le texte sacré a été écrit, n’est pas irréaliste. Les Hébreux se sont en effet trouvés, tout au long de leur histoire, coincés entre les grandes puissances de l’époque. La terre de Canaan était notamment un couloir de passage pour les armées du nord, par exemple assyriennes ou babyloniennes, quand elles allaient affronter l’Egypte, et vice-versa.

Les Israélites ont ainsi vécu de nombreuses occupations et exils, ils ont été confrontés à de nombreux autres peuples. Ce qui fait que les relations interculturelles revêtent une importance particulière dans le récit vétérotestamentaire.

Il s’agit ainsi d’admettre que le texte contient de nombreux épisodes de rejet et de crainte envers les étrangers. Un exemple est le passage du livre d’Esdras, qui explique qu’après l’exil en Israël, Esdras et Néhémie, le prêtre-scribe et le gouverneur, obligent ceux qui ont épousé des femmes étrangères à les renvoyer, même avec leurs enfants. Yves Saoût, qui avoue être choqué par cet épisode, indique qu’il ne cherche pas à défendre la Bible dans tous ses aspects. Il note à cet égard que le Concile Vatican II reconnaît que les écrits de l’Ancien Testament comportent, pour les chrétiens, de «l’imparfait et du caduc».

La mémoire d’un peuple itinérant

Mais le bibliste français note parallèlement que biens d’autres passages de l’Ancien Testament révèlent des relations plus positives avec les autres cultures. Il explique ainsi notamment comment Israël a intégré des étrangers et s’est laissé influencer par les autres cultures. Yves Saoût relève que, dans la Bible, l’intégration des étrangers se fait, soit par un effort personnel, soit par des lois, soit par des conversions. Au niveau des lois, l’hospitalité et l’accueil de l’immigré tenaient une place importante chez les Israélites, notamment parce qu’ils conservaient cette mémoire collective d’un peuple maintes fois déplacé. En témoigne par exemple un passage du Deutéronome: «Tu ne biaiseras pas avec le droit d’un émigré ou d’un orphelin […] Tu te souviendras qu’en Egypte, tu étais esclave, et que le Seigneur ton Dieu t’a racheté de là […] Si tu fais la moisson dans ton champ, et que tu oublies des épis dans le champ, tu ne reviendras pas les prendre. Ce sera pour l’émigré, l’orphelin et la veuve […]».

Dieu aime la diversité dans l’unité

L’analyse du bibliste français démontre que le texte vétérotestamentaire contient les germes de la bienveillance du christianisme à l’égard de l’étranger. La Bible reflète tout d’abord l’amour de Dieu pour la diversité dans l’unité. Le fait que Dieu souhaite cette diversité dans la nature est bien visible, notamment dans le livre de la Genèse, mais aussi dans de nombreuses autres parties du Livre, comme les Psaumes: «Que tes œuvres sont nombreuses, Seigneur! Tu les as toutes faites avec sagesse, la terre est remplie de tes créatures. […]». Cette volonté de diversité est également démontrée sur le plan de l’humanité. Dès le chapitre 4 de la Genèse, les fils d’Adam se différencient ainsi en cultivateurs et éleveurs, constructeurs, forgerons et musiciens.

Universalité

Le Nouveau Testament développera cette dimension, en y ajoutant celle de l’universalité du message divin transmis par le Christ. Ainsi, même si Jésus destinait son enseignement principalement aux juifs «[…] allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël» (Matthieu 10), il éprouve une admiration particulière pour la foi des étrangers, comme celle du centurion romain dont il guérit le serviteur. «En l’entendant, Jésus fut plein d’admiration et dit à ceux qui le suivaient: ‘En vérité, je vous le déclare, chez personne en Israël je n’ai trouvé une telle foi’». Dans le même passage, le Christ affirme l’universalité de son message: «Aussi, je vous le dis, beaucoup viendront du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux» (Matthieu 8). C’est également dans l’Evangile de Matthieu que plus tard il invitera ses disciples à aller porter sa parole dans «toutes les nations».

Mais c’est certainement dans la parabole du bon Samaritain que Jésus enjoint de la façon la plus explicite l’homme à considérer tout semblable, même le plus différent et le plus méprisé, comme son frère, et à l’aimer en tant que tel.

Yves Saoût rappelle ainsi que l’unité naturelle de l’humanité a été déchirée par les guerres, l’oppression, l’esclavage, les péchés de haine, de racisme, de machisme, la xénophobie. Mais que, «par la mort et la résurrection du Christ, une unité naturelle est proposée à l’humanité: ‘Il n’y a plus ni juif, ni grec; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre; il n’y a plus l’homme et la femme; car tous vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ» (Galates 3)».

Encadré

Yves Saoût est prêtre du diocèse de Quimper, en Bretagne. Né à Plouédern en 1938, il a obtenu une licence de théologie et la licence d’Écriture Sainte à Rome, pendant le Concile Vatican II.

Il a été étudiant à l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem, a enseigné trois ans au Grand séminaire de Yaoundé, au Cameroun. Il a été curé de paroisse et formateur dans le diocèse de Maroua-Mokolo, au nord du pays, durant 15 ans.

Il a ensuite été formateur dans le diocèse de Quimper et responsable du Bureau biblique diocésain pendant plusieurs années, tout en étant également formateur en Bolivie, par périodes de quatre mois chaque année, durant 14 ans.

Revenu en janvier dernier d’un nouveau séjour de trois ans au nord Cameroun, il vient d’être renommé responsable du Bureau biblique du diocèse de Quimper. Il réside au presbytère Saint-Marc, à Brest.

Le Père Yves Saoût est l’auteur de sept ouvrages sur la Bible. apic/rz)

Référence: «Ce que dit la Bible sur l’étranger», par Yves Saoût, Nouvelle Cité, 2013.

6 février 2014 | 11:24
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
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