Le pape met en garde contre l’émergence d'un «conflit mondial»
L’actuelle prolifération des conflits dans le monde transforme «la ‘troisième guerre mondiale par morceaux’ en véritable conflit mondial», a déclaré le pape François dans son traditionnel discours au corps diplomatique, le 8 janvier 2024. Il a énuméré les défis auxquels doit faire face le monde, évoquant notamment les conflits à Gaza, en Ukraine, les crises écologiques et migratoires.
Après avoir écouté le discours en français du doyen du corps diplomatique, le Chypriote Georgios Poulides, le pontife s’est adressé aux représentants des 184 États qui entretiennent des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, rassemblés dans la Salle des Bénédictions. Il a commencé par se réjouir des avancées effectuées par la diplomatie du plus petit État du monde en 2023: l’ouverture des relations diplomatiques avec Oman, la nomination d’un représentant pontifical au Vietnam et la ratification d’un accord complémentaire avec le Kazakhstan.
Une logique de dissuasion «illusoire»
Le pontife s’est ensuite inquiété de la prolifération des conflits, et du fait que ces affrontements frappent désormais «aveuglément la population civile», citant comme «preuve évidente» Gaza et l’Ukraine. «Les victimes civiles ne sont pas des dommages collatéraux», a-t-il insisté, demandant que les crimes de guerre soient non seulement dénoncés, mais aussi prévenus.
Le pape François a déploré le rôle joué dans ces conflits par «l’immense disponibilité des armes». Il a souligné que ces dernières, dans un cercle vicieux, «créent la méfiance et détournent les ressources». Critiquant la possession d’arsenaux nucléaires et «d’engins de plus en plus sophistiqués et destructeurs», il a plaidé pour une politique de désarmement et écarté la logique de la dissuasion, décrivant cette dernière comme «illusoire». Il a notamment demandé la reprise des négociations concernant l’accord sur le nucléaire iranien.
L’évêque de Rome a invité à réorienter les ressources des armes vers les autres crises actuelles: alimentaire, environnementale, économique et sanitaire. Il a proposé une nouvelle fois la création d’un Fonds mondial pour éradiquer la faim et promouvoir un développement durable. Il a condamné les gaspillages alimentaires énormes et l’exploitation des ressources naturelles par un petit nombre, qui laisse dans la misère et la pauvreté des populations entières.
Terre sainte, Syrie, Liban
Le pape argentin a ensuite fait la liste des conflits en cours et a commencé par exprimer une nouvelle fois son inquiétude concernant le conflit actuel en Terre sainte. Il a rappelé la condamnation par le Saint-Siège de l’attaque terroriste du 7 octobre et du terrorisme en général. Il a dans le même temps souligné les conséquences de la «forte réponse militaire israélienne», qui a entrainé des «souffrances inimaginables» et tué des dizaines de milliers de civils, notamment des enfants. Le pontife a aussi décrit l’augmentation des actes antisémites dans le monde comme étant «préoccupante», invitant à «éradiquer» ce fléau.
Le pontife a plaidé pour un «cessez-le-feu sur tous les fronts», y compris à la frontière libanaise, pour la «libération immédiate de tous les otages», pour l’envoi d’une aide humanitaire à Gaza et pour la protection des écoles, hôpitaux et lieux de culte. Il a défendu une nouvelle fois la solution à deux États, l’un israélien et l’autre palestinien, avec un statut spécial international pour Jérusalem.
Le pape a ensuite évoqué les pays voisins déstabilisés par le conflit. Il a commencé par la Syrie, frappée par un tremblement de terre en février dernier, pour laquelle il a demandé la fin des sanctions internationales. Il a cité ensuite le Liban, avec notamment l’afflux massif de migrants syriens, l’aggravation de la situation économique et sociale, et surtout «l’impasse institutionnelle qui le met de plus en plus à genoux». Il a souhaité que soit désigné un président pour le Pays du Cèdre.
Ukraine, Caucase et Afrique
Le pape a regretté l’enracinement de la «guerre à grande échelle menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine». Ce conflit «ne peut être autorisé à se poursuivre», a martelé le pape, enjoignant les acteurs internationaux à la «négociation».
Après quoi, l’évêque de Rome s’est tourné vers le conflit qui oppose l’Azerbaïdjan et l’Arménie, exhortant les parties à la signature d’un Traité de paix pour faire face à la «situation humanitaire dramatique» qui frappe les habitants de cette région. Il a plaidé pour le retour des personnes déplacées dans leurs foyers en toute légalité et le respect des lieux de cultes.
Le pontife a ensuite évoqué les nouvelles crises humanitaires et politiques qui frappent l’Afrique, citant le Soudan, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo, le Mozambique ou encore le Cameroun. Il a aussi demandé la mise en œuvre de l’Accord de Pretoria de 2022 afin de résoudre le conflit qui déchire la région du Tigré en Éthiopie depuis une dizaine d’années.
Birmanie et Amérique latine
Continuant son tableau de la situation internationale, le pape François a une nouvelle fois alerté sur la situation en Birmanie, et particulièrement celle concernant la minorité rohingya. Il a par ailleurs souligné les tensions frontalières qui opposent ces derniers mois le Venezuela et la Guyana, ainsi que l’instabilité démocratique au Pérou.
Il a enfin décrit la situation au Nicaragua, où l’Église catholique est en conflit ouvert contre le gouvernement, comme étant «très préoccupante», et souligné les «conséquences douloureuses» qu’elle a sur les catholiques. Alors que le gouvernement nicaraguayen a récemment renvoyé le nonce apostolique, le pape a demandé l’ouverture d’un «dialogue diplomatique respectueux».
Crise écologique
La solution à ces conflits, pour le pape, passe en particulier par un multilatéralisme renforcé. Il a dit son regret de ne pas avoir pu participer personnellement à la COP28 de Dubaï, qu’il a décrite comme une «étape encourageante» et comme la preuve qu’il «existe une possibilité de revitaliser le multilatéralisme» par la question climatique.
Le pontife a plaidé pour la mise en œuvre de quatre principes clés de la COP28: «l’efficacité énergétique, les sources renouvelables, l’élimination des combustibles fossiles et l’éducation à des modes de vie moins dépendants de ces derniers». «La crise climatique exige une réponse de plus en plus urgente et demande la pleine implication de tous et de toute la communauté internationale».
Le pape a enfin évoqué les pays victimes des catastrophes naturelles «que la main de l’homme ne peut pas contrôler» – Maroc, Chine, Turquie, Syrie, Libye – mais aussi mis en garde contre celles «imputables» à l’homme, citant notamment la déforestation de l’Amazonie, «poumon vert de la Terre».
Migration
Remerciant ensuite les autorités françaises, le pontife est revenu sur son voyage à Marseille en septembre dernier. Il a renouvelé son appel pour une Méditerranée qui serait un «laboratoire de paix» pour le monde. Il a alerté sur la situation des migrants dans le bassin méditerranéen, le qualifiant à nouveau de «grand cimetière», mais aussi dans le Sahara, dans la forêt de Darién entre la Colombie et le Panama, en Amérique centrale et au nord du Mexique, à la frontière avec les États-Unis.
«Les migrations doivent être réglementées pour accueillir, promouvoir, accompagner et intégrer les migrants, dans le respect de la culture, de la sensibilité et de la sécurité des populations qui prennent en charge l’accueil et l’intégration», a insisté le 266e pape. Il a aussi rappelé le «droit de pouvoir demeurer dans sa patrie». Le pontife a enfin salué l’adoption par l’Union européenne d’un nouveau Pacte sur la migration et l’asile. Il a cependant mis en garde contre «certaines limites» concernant la reconnaissance du droit d’asile et le «risque de détention arbitraire».
«Colonisation idéologique»
Le pontife a ensuite lancé un appel appuyé contre «la pratique de ladite mère porteuse, qui lèse gravement la dignité de la femme et de l’enfant». Il l’a décrit comme «fondée sur l’exploitation d’une situation de nécessité matérielle de la mère». «Un enfant est toujours un cadeau et jamais l’objet d’un contrat», a-t-il insisté. Il a demandé un engagement de la Communauté internationale pour faire interdire cette pratique au niveau universel.
Plus largement, et en ciblant en particulier l’Occident, le pape François a critiqué la «diffusion persistante d’une culture de la mort qui, au nom d’une fausse piété, rejette les enfants, les personnes âgées et les malades». Il a en particulier visé la «théorie du genre», la décrivant comme «très dangereuse parce qu’elle efface les différences dans la prétention de rendre tous égaux».
Le pontife a insisté sur le fait que ces «colonisations idéologiques», instrumentalisées par certains États, jouaient un rôle néfaste dans les négociations internationales en provoquant «des blessures et des divisions entre les États», et en fragmentant la scène internationale en «clubs».
Liberté religieuse et nouvelles technologies
Plus tard dans son discours, le pontife a déploré le fait que «de plus en plus de pays adoptent des modèles de contrôle centralisé de la liberté religieuse, avec l’utilisation massive de la technologie». Il s’est inquiété de la situation des chrétiens en particulier, déplorant la «lente marginalisation» dont ils sont les victimes dans certains pays. «Plus de 360 millions de chrétiens dans le monde subissent un niveau élevé de persécution et de discrimination en raison de leur foi», a-t-il dénoncé.
Le pape est ensuite revenu sur son message sur la paix, consacré cette année à l’intelligence artificielle, et s’est inquiété que les nouvelles technologies soient trop souvent «des instruments de division ou de diffusion de fake news». Plaidant pour une réglementation éthique de ces technologies, le pape a tenu à rappeler la «centralité de la personne humaine, dont la contribution ne peut et ne pourra jamais être remplacée par un algorithme ou une machine».
Pour une propriété intellectuelle au service du bien commun
Le pontife a aussi annoncé que le Saint-Siège comptait s’engager sur la question de la propriété intellectuelle en participant à deux conférences diplomatiques qui seront organisées sur ce sujet en 2024. «La propriété intellectuelle est essentiellement orientée vers la promotion du bien commun et ne peut s’affranchir de limitations de nature éthique donnant lieu à des situations d’injustice et d’exploitation indue», a-t-il insisté. Il a plaidé contre «le brevetage du matériel biologique humain et le clonage des êtres humains».
Il a enfin rappelé l’ouverture en décembre prochain d’une année jubilaire. «Il peut être venu pour tous – chrétiens et non-chrétiens – le temps de briser les épées pour en faire des charrues; le temps où une nation ne lèvera plus l’épée contre une autre nation et où l’on n’apprendra plus l’art de la guerre», a-t-il conclu. (cath.ch/imedia/cd/rz)