Le président argentin Javier Milei invite officiellement le pape
«Je vous invite à visiter notre chère patrie», indique le président de l’Argentine, Javier Milei, dans une lettre au pape François rendue publique le 11 janvier 2024. Le chef d’État, qui avait copieusement insulté le pape durant la campagne présidentielle, s’était entretenu avec lui par téléphone le 22 novembre 2023, au surlendemain de sa victoire électorale.
Dans cette lettre, le président Javier Milei, élu au terme d’une campagne à la tonalité populiste et agressive, remercie le pape pour ses «sages conseils» et ses vœux de «sagesse» et de «courage» formulés lors de leur entretien téléphonique du 22 novembre. «Le courage ne me manque pas, et la sagesse, je suis en train d’y travailler», lui aurait alors répondu le président élu, selon le quotidien La Nacion. Le journal argentin avait alors précisé que l’amitié personnelle entre un proche de Javier Milei et l’ophtalmologue Fabio Bartucci, qui avait opéré le pape de la cataracte, avait permis d’établir ce contact direct entre le pape et le président élu.
Un mois après son entrée en fonction, le président Milei explique que ces mots du pape l’ont encouragé dans «sa conviction sur l’urgence de transformer la réalité qui traverse notre pays, pour assurer la paix et la prospérité, à travers les réformes sociales et politiques qui sont tellement nécessaires». En rupture radicale avec le péronisme, Javier Milei dit s’être inspiré des conseils du pape pour «proposer une série de mesures de gouvernement destinées à transformer la situation dont la République argentine souffre depuis des décennies».
«Notre économie se trouve dans un état critique, et il est nécessaire d’adopter des mesures urgentes pour éviter une catastrophe sociale avec des mesures douloureuses», explique Javier Milei. Il a rappelé que la moitié de la population vivait sous le seuil de pauvreté.
Transmettre au peuple «l’affection filiale»
Vivement contesté par la justice et les syndicats pour la signature de décrets dérégulant l’économie et le droit du travail, Javier Milei reconnaît, dans cette lettre, les «profondes inquiétudes» que suscite ce changement de politique. Il assure cependant que l’objectif de son gouvernement est de protéger les plus vulnérables. Invité par l’archevêque de Buenos Aires, le jour de son entrée en fonction, à «œuvrer pour le bien commun», Javier Milei remercie l’Église catholique pour sa collaboration et son action dans le domaine social.
«Je vous invite à visiter notre chère patrie, selon les dates et les lieux qui nous seront indiqués, en tenant compte du désir généralisé de nos villes, provinces et villages de compter sur votre présence et de vous transmettre leur affection filiale», assure le président au pape. Il espère que ce voyage portera des «fruits de pacification et de fraternité», et assure le pape de «sa plus haute considération» et de son «respect pour son œuvre et pour sa personne».
Tourner la page d’une campagne polarisée
Quelques semaines après une campagne très agressive, cette formule va au-delà de la simple bienséance protocolaire et résonne comme une volonté de faire amende honorable. Dans une émission télévisée, le candidat populiste avait notamment reproché au pape de se situer «du côté des dictatures sanglantes» cubaine et vénézuélienne. Des déclarations plus anciennes, dans lesquelles Javier Milei qualifiait le pape de «communiste» et de «fils de p…» étaient également ressorties. Il avait néanmoins présenté ses excuses pour ces dérapages.
Sans nommer explicitement Javier Milei, le pape avait assuré dans un entretien diffusé le 12 décembre par la télévision mexicaine qu’il faut «beaucoup distinguer entre ce que dit un politique durant la campagne électorale et ce qu’il va réellement faire après, car après, vient le moment du concret, des décisions», ouvrant donc la voie à une prochaine rencontre avec le nouveau président de son pays d’origine.
Une carrière fulgurante
Vainqueur de l’élection présidentielle argentine avec plus de 56% des voix au second tour face à son adversaire péroniste de gauche Sergio Massa, Javier Milei a fait campagne sur un agenda ultra-libéral prônant notamment la suppression de nombreux ministères, de la Banque centrale, de la monnaie nationale et des aides sociales, et pariant sur la liberté d’entreprendre comme moteur du développement économique. Cet économiste, élu député en 2021, a connu une ascension politique fulgurante en capitalisant sur la colère du peuple face aux élites, dans un pays marqué par une inflation à 140% sur un an et par une forte hausse du taux de pauvreté.
Un voyage incertain
Aucune date n’a pour le moment été fixée quant à un éventuel voyage du pape en Argentine, désormais envisagé plutôt pour le second semestre. L’hypothèse la plus fréquemment évoquée est celle d’une tournée incluant aussi l’Uruguay, le Brésil, mais aussi les Canaries, pour une escale dédiée aux migrants. La canonisation, le 11 février prochain, de la laïque consacrée argentine Mama Antula pourrait constituer une occasion de mise en valeur du lien entre le pape François et son pays d’origine.
Outre les fragilités de santé du pontife de 87 ans, ce projet pourrait toutefois être mis à mal par le risque de récupération politique de l’image du pape François, très palpable dans cette lettre du chef de l’État. Une autre difficulté pourrait émerger en rapport à la mise en cause du cardinal Victor Manuel Fernández, compatriote argentin et proche ami et collaborateur du pontife, pour l’exhumation d’écrits à connotation érotique et pour les tensions liées à la publication, le 18 décembre dernier, d’une déclaration doctrinale sur la bénédictions des couples dits «irréguliers», parmi lesquels les couples de même sexe.
Le pape François, qui au long de son pontificat a visité 12 pays des Amériques (Brésil, Équateur, Bolivie, Paraguay, Cuba, États-Unis, Mexique, Colombie, Pérou, Chili, Panama, Canada) n’est encore jamais revenu dans son pays d’origine. (cath.ch/imedia/cv/rz)