Les bûchers de l'Inquisition servaient de prétexte pour éliminer les prétendus hérétiques
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Le procès de la légende noire de l'Eglise

Croisades, Inquisition, guerres de religion, rejet de la science, soutien au fascisme, la légende noire de l’Eglise compte de nombreux chapitres. Ces critiques sont-elles fondées, légitimes, nécessaires?  Ou au contraire mensongères, exagérées et inutiles. Pour démêler le vrai du faux, l’écrivain et journaliste français Jean Sévillia a réuni une quinzaine d’historiens qui apportent leurs réponses aux procès à charge contre l’Eglise.

Les croisades étaient-elles une entreprise impérialiste à l’encontre de l’Orient musulman? L’Inquisition a-t-elle brûlé des milliers d’hérétiques? Les papes de la Renaissance ressemblaient-ils tous aux Borgia? Galilée a-t-il été condamné parce que les papes s’opposaient aux découvertes scientifiques? Dans les années 1930, le Vatican s’est-il aveuglé par anticommunisme sur les dangers du fascisme et du nazisme? Telles sont quelques-unes des questions abordées dans L’Eglise en procès.

«La mission de l’historien est de ne rien déformer, de ne rien dissimuler, de ne rien exagérer»

En dix-huit chapitres et 365 pages, cet ouvrage collectif publié sous la direction de Jean Sévillia revient sur quelques-uns des grands thèmes de la légende noire qui colle à l’Eglise depuis le Discours contre les chrétiens du philosophe romain Celse, au IIe siècle, aux auteurs contemporains en passant par la Réforme, le Siècle des Lumières, la Révolution française et le marxisme. Des crimes de l’inquisition à la richesse de l’Eglise.

Les accusations contre l’Eglise sont parfois fondées sur des faits incontestables, parfois sur des réalités grossies ou déformées, mais aussi sur des idées fausses ou préconçues se transformant en mythes tenaces, constate Jean Sévillia. Examiner la pertinence des questions touchant au passé de l’Eglise revêt ainsi une importance grandissante au fur et à mesure que la culture religieuse et historique s’étiole. La mission de l’historien est de ne rien déformer, de ne rien dissimuler, de ne rien exagérer, ni la face sombre, ni la face lumineuse.

Propos de café du commerce

Si l’histoire universitaire fait aujourd’hui assez correctement la part des choses, il n’en va pas de même pour l’histoire scolaire ou médiatique, qui rejoint fréquemment les propos de café du commerce. Pour preuve la déclaration de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes, en janvier 2019, selon laquelle, «Galilée était tout seul face à la majorité pour dire que la Terre était ronde et qu’elle tournait. La majorité pensait qu’elle était plate et statique». Or depuis l’Antiquité, les astronomes avaient démontré la rotondité de la terre et même calculé son diamètre. En fait Galilée défendait le principe que la terre tourne autour du soleil et non l’inverse.

«Le péché majeur de l’historien est l’anachronisme qui consiste à juger le passé avec les yeux d’aujourd’hui»

Une histoire qui dure depuis 2000 ans

Depuis 2000 ans, en dépit de toutes les crises et les scandales qui ont ponctué son histoire, l’Eglise a persisté en proclamant sa foi en Jésus-Christ. Si l’historien n’a rien à dire sur le contenu de la foi, il existe néanmoins un terrain objectif qui est précisément l’histoire de cette foi.

Pour Jean Sévillia, le péché majeur de l’historien est l’anachronisme qui consiste à juger le passé avec les yeux d’aujourd’hui. Or les événements du passé ne peuvent être compris et expliqués – ce qui ne veut pas dire justifiés – qu’en connaissant le contexte mental, social, politique et culturel de l’époque. Juger les hommes et les institutions d’autrefois à partir des critères actuels c’est s’interdire de les déchiffrer. Pour qui vit dans une démocratie laïque du XXIe siècle marquée par la séparation Eglises – Etat pénétrer dans l’univers sacral du Moyen-Age dont sont issues les Croisades et l’Inquisition revient à voyager sur un autre planète.

Rien n’est tout noir ou tout blanc

Le passé de l’Eglise n’a jamais été tout blanc ou tout noir. L’historien doit se départir de tout manichéisme. Relire les temps révolus à partir d’une grille d’analyse binaire c’est figer la réalité dans une histoire trompeuse. Ainsi les guerres dites de religions n’ont pas seulement mis face à face catholiques et protestants mais ont aussi vu des affrontements internes entre catholiques et entre protestants. Ce n’est d’ailleurs qu’à partir des années 1660 que l’on commence à parler de guerres de religion, largement plus d’un siècle après la Réforme. La croisade contre les Albigeois (cathares) ou l’Inquisition d’Espagne, de même que la colonisation de l’Amérique, sont d’abord des phénomènes politiques mus par des luttes d’intérêts qui n’avaient rien d’évangéliques.

Les ors de la basilique Saint Pierre de Rome cristallisent les critiques sur la richesse de l’Eglise (photo DR)

Le péché d’omission

Le troisième péché de l’historien est celui qui procède de l’omission. Si l’Eglise a connu des prélats corrompus et sans scrupules, elle a aussi suscité des milliers de clercs, papes cardinaux, évêques ou simples prêtres qui ont vécu la pauvreté évangélique et se sont occupés des plus démunis. Il ne s’agit pas cependant de remplacer la légende noire par une légende dorée qui dissimulerait les faiblesses, les fautes et parfois les crimes commis par les hommes d’Eglise, prévient Jean Sévillia.

De nos jours les Croisades ont mauvaise presse. Elle sont décrites comme une guerre d’agression de l’Occident contre l’Islam. Mais pour les Croisés, la libération de Jérusalem et de la Terre Sainte occupées par la force par les Turcs seldjoukides quelques années auparavant relève bien de la guerre juste par laquelle un propriétaire recouvre le bien que son adversaire lui a dérobé.

Prise de Jérusalem par les Croisés (Première Croisade, 15 juillet 1099), par Emile Signol (1804-1892). [AFP]

Eglise et pouvoir

A y regarder d’un peu plus près les principaux chefs d’accusation lancés contre l’Eglise touchent aux rapports entre religion et pouvoir, religion et argent, religion et science, religion et liberté individuelle. Il importe alors d’opérer les distinctions chronologiques, géographiques et culturelles pour discerner ce qui relève de la réalité des faits de ce qui découle d’une vision idéologique liée à un certain conformisme ambiant, souligne Jean Sévillia

Le dernier chapitre, dû au journaliste Bernard Lecomte, est un essai d’histoire immédiate puisqu’il revient sur la crise des prêtres pédophiles. Il décrit notamment les enjeux de la question au sein de la curie romaine entre le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, et nombre de prélats plus soucieux de laver leur linge sale en famille. (cath.ch/mp)

 

L’Eglise en procès, la réponse des historiens : Sous la direction de Jean Sévillia, Paris 2019, 365 p Editions Taillandier/Le Figaro

Les bûchers de l'Inquisition servaient de prétexte pour éliminer les prétendus hérétiques
3 septembre 2019 | 17:06
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 5 min.
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