Le sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth, à une jeune fille accordée en mariage à un homme nommé Joseph, de la famille de David; cette jeune fille s’appelait Marie. (Luc I, 26-27)
«Celui de qui il est écrit dans la Loi de Moïse et dans les prophètes, nous l’avons trouvé: c’est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth.» «De Nazareth, lui dit Nathanaël, peut-il sortir quelque chose de bon?» (Jean 1, 45-46)
APIC Reportage
Nazareth 2000, un enjeu politique et économique pour la Galilée
Rencontre avec Ramiz Jaraisy, maire de la Cité de l’Annonciation
Jacques Berset, Agence APIC
«Vous êtes à Nazareth, pays natal de Jésus… Ce qui est arrivé il y a 2000 ans, dans ce qui n’était alors qu’un village insignifiant de Galilée, dont le nom même était ignoré des contemporains, a changé le cours de l’Histoire», lance le maire de la Cité de l’Annonciation. Ramiz Jaraisy veut lui aussi bousculer l’ordre des choses. Grâce au projet de Nazareth 2000.
L’homme en costume cravate, à la large moustache poivre et sel, a le regard décidé. Il milite pour l’égalité des droits, dont sont loin de jouir pleinement les citoyens arabes israéliens qui forment pourtant quelque 20% de la population de l’Etat d’Israël. Le Grand Jubilé de l’an 2000 représente pour Ramiz Jaraisy l’occasion unique de sortir sa ville du marasme et de renforcer le rôle politique de la plus grande cité palestinienne d’Israël. «Nazareth subit une discrimination systématique justement parce que c’est une ville arabe!»
Nazareth en effet, comme aux temps du Christ et de la Sainte Famille, fait aujourd’hui encore figure de parent pauvre: plus de 50% de ses 65’000 habitants vivent au-dessus du seuil de pauvreté. La ville galiléenne aux infrastructures obsolètes et à la circulation congestionnée – visitée à la sauvette par des millions de touristes et de pèlerins qui lui préfèrent le confort moderne de la ville juive ou des kibboutzim du bord du lac de Tibériade – a été longtemps délaissée. «Délibérément», déplore le maire.
L’ingénieur Jaraisy, élu vice-maire à l’âge de 27 ans aux côtés Tewfik Zayad – le légendaire poète nationaliste qui s’empara brillamment de la mairie lors des élections municipales de 1975 – est à la tête d’une alliance dominée par les communistes. Issu d’une famille de confession grecque-orthodoxe, Ramiz Jaraisy a remplacé le musulman Zayad, tué en 1994 dans un accident de la route.
Paradoxe au pays de Jésus
Un paradoxe de plus au pays de Jésus: aujourd’hui peuplée à 60% de musulmans et à 40% de chrétiens (*), Nazareth confie alors son sort à un magistrat d’origine chrétienne. Qui plus est, élu sur une liste du Front démocratique pour la paix et l’égalité, une alliance arabe dominée par le parti communiste israélien Hadash. Dans l’agitation de la mairie, Ramiz Jaraisy nous reçoit entre deux rendez-vous: en cette période de Pâques orthodoxe, conformément à la tradition, les leaders religieux de la ville viennent tour à tour lui présenter leurs vœux. A peine le cérémonial achevé, le travail reprend intensément à la tête de la ville transformée en chantier, anxieuse d’être à l’heure pour la date fatidique de l’an 2000.
Rayée de la liste des villes prioritaires par Netanyahou
A l’instar des autres agglomérations arabes, Nazareth ne bénéficie pas du même taux de subventionnement que les villes juives d’un niveau socio-économique égal. Elle faisait pourtant partie – jusqu’en février dernier – du plan des «zones nationales prioritaires». Clientélisme politique oblige, le gouvernement Netanyahou, par la décision N° 3292, a redéfini la liste des priorités et gommé les villes arabes notamment au profit des colonies juives dans les territoires occupés.
La ville juive de Nazareth-la-Haute (Nazerat ’Illit), par contre, édifiée en grande partie sur des terrains confisqués appartenant à la Nazareth historique et aux villages arabes environnants, bénéficie du statut de «priorité nationale». Ayant pour mission, conformément aux ordres de Ben Gourion, de contribuer à la «judaïsation» de la Galilée – restée longtemps majoritairement arabe -, la ville juive est chouchoutée: le gouvernement veut encore lui attribuer plusieurs centaines d’hectares. Des terrains pris à la ville arabe qui étouffe dans ses limites étroites, corsetées par un plan d’aménagement datant de l’époque où la ville comptait moins de 15’000 habitants. C’était avant qu’elle ne soit submergée en 1948 par les réfugiés, déportés ou fuyant les villages rasés lors des opérations de l’armée israélienne en Galilée.
Un projet pour sortir la ville du marasme
«La municipalité de Nazareth a été la première à préparer quelque chose de concret pour le Grand Jubilé. Nous avons lancé le projet Nazareth 2000 en 1991 déjà. Un comité spécial s’est mis à réfléchir pour améliorer la situation de la ville, victime de la politique discriminatoire menée contre les Arabes israéliens dès l’établissement de l’Etat d’Israël en 1948. En tant que ville arabe, Nazareth a eu à souffrir dès le début d’une politique basée sur la préférence nationale en faveur des juifs. C’est la raison pour laquelle elle n’a pas été développée comme elle aurait dû l’être étant donné sa position particulière pour l’humanité tout entière, en particulier pour les chrétiens».
Ramiz Jaraisy parle sans ambages: «Notre budget régulier est inférieur de moitié à la moyenne du pays, comparé aux villes juives. Nous sommes discriminés parce que nous sommes Arabes: l’inégalité de traitement est une caractéristique de la politique du gouvernement israélien depuis toujours. En démocratie, les citoyens israéliens devraient être traités tous de la même manière, qu’ils soient juifs, musulmans, druses ou chrétiens».
En tant que zone de développement – Nazareth est l’un des villes les plus pauvres du pays – «nous ne recevons pratiquement rien», déplore le maire. La majorité des Nazaréens travaillent en dehors de la ville, car elle n’a qu’une offre insuffisante de services et pas de zones industrielles: la majorité du terrain de la ville a été confisqué en faveur de Nazerat ’Illit, qui a annexé également des terres des villages arabes environnants. «Ils nous ont même pris notre nom… ils auraient pu lui donner n’importe quel autre nom, mais leur but, en appelant la nouvelle ville juive Nazareth, était d’en faire la capitale de la Galilée. A la place de la ville arabe, réduite au rang de réserve. S’ils avaient réussi, cela aurait le couronnement d’une politique d’apartheid».
Ramiz Jaraisy tire les leçons de l’échec de cette politique d’éviction: «La nature est plus forte que la politique et les plans humains; nos gens ont continué de croître et de bâtir même illégalement – les Israéliens ne nous donnent pas de permis de construire – car ils n’avaient pas le choix. Ainsi, Nazareth, avec ses 65’000 habitants, est restée plus grande que la ville juive, malgré les grandes vagues d’immigrants. Nazerat ’Illit ne compte que 45’000 habitants, même si sa surface – des terres confisquées aux municipalités arabes – est deux fois plus grande et que les autorités israéliennes ont l’intention d’annexer encore d’autres terres appartenant notamment à Cana de Galilée. La ville juive, surdéveloppée, a toutes les facilités et les meilleurs services publics, d’importantes zones industrielles. Tandis que nous n’avons pratiquement rien. La vieille ville a été totalement délaissée…»
La municipalité a donc réfléchi à la position spéciale de Nazareth dans le but d’en faire un levier pour changer la situation. D’où l’idée de lancer le projet Nazareth 2000, car la plus grande ville arabe d’Israël – point de départ de l’histoire de la Rédemption – est l’un des grands pôles – avec Bethléem et Jérusalem – des célébrations du Grand Jubilé de l’an 2000 auquel se préparent toutes les Eglises du monde entier.
Ce qui est arrivé à Nazareth il y a 2000 ans a changé le destin du monde, souligne son maire. Pour cette raison, la Cité qui a été témoin de l’Annonciation du mystère de l’Incarnation à la Vierge Marie fait partie de l’héritage de l’humanité. «Nous voulons que Nazareth soit en mesure d’occuper son rang d’importance universelle et renforcer sa position politique. En tant que plus grande ville arabe à l’intérieur d’Israël, elle est considérée comme la capitale politique, culturelle et spirituelle des Palestiniens citoyens de l’Etat d’Israël».
L’espoir et l’optimisme nés des Accords d’Oslo
La célébration du Jubilé va amener des millions de touristes et de pèlerins dans le pays natal de Jésus, estiment les responsables de Nazareth 2000, un ambitieux projet dirigé par un architecte juif de Jérusalem, Arie Rahamimoff, secondé par Adeeb Daoud, un architecte arabe de Nazareth, dont les maîtres d’œuvre sont le Ministère israélien du Tourisme et la Municipalité.
Les responsables de Nazareth 2000 se doivent de trouver des sources de financement public et privé pour améliorer la pauvre infrastructure de la ville, ce qui générera des bénéfices pour tous, tout en respectant une ligne s’inscrivant dans un concept de «développement urbain durable». C’est dans cet état d’esprit que la Fontaine de la Vierge – dont la dernière version date de 1964 -, sera reconstruite à l’ancienne et que les monuments de la vieille ville seront remis en valeur. Le Puits-de-Marie est devenu le logo de la Municipalité, qui compte faire de Nazareth l’un des plus importants centres de pèlerinage du monde.
«Nous avions commencé à l’époque à discuter avec le Ministre du tourisme du gouvernement de Shamir, sans succès. Après les élections de 1992, avec l’arrivée au pouvoir d’Ithzak Rabin, le projet a reçu un élan. Le gouvernement dominé par les travaillistes avait besoin à la Knesseth de l’apport des cinq députés arabes du «groupe de blocage» venant du Front démocratique pour la paix et l’égalité et du Parti démocratique arabe. L’attitude des travaillistes à notre égard a alors changé, cela a influencé la manière du gouvernement de traiter la minorité arabe».
D’autre part, le processus de paix – «l’esprit d’Oslo» et la reconnaissance de l’OLP -, ont suscité une atmosphère optimiste, favorable au projet Nazareth 2000. Un plan complet fut alors préparé: un programme pour développer les pèlerinages et le tourisme à Nazareth et Cana de Galilée… Avec des experts – architectes, économistes, etc. – en collaboration avec le Ministère israélien du tourisme et l’Organisation gouvernementale israélienne du tourisme. «Pour la première fois la ville de Nazareth était reconnue comme zone de développement de degré A pour le tourisme, avec un budget pour financer l’achèvement des infrastructures de la ville. En ville, vous constatez partout que les chantiers avancent: infrastructures routières et hôtelières, embellissement de la ville!»
Grâce à Nazareth 2000, la ville décolle lentement au niveau socio-économique. Avant le début des travaux, la région connaissait le pourcentage de chômage le plus élevé de la Galilée. Pour la première fois, la ville connaît un taux inférieur à la moyenne nationale (autour de 8%), grâce aux dizaines de chantiers qui fournissent du travail à nombre d’ouvriers. «Nous avons le projet de construire 3’000 chambres d’hôtel supplémentaires par rapport à la situation actuelle. Un millier sont déjà en route mais nous devons encore réaliser les 2000 autres, pour compléter l’infrastructure touristique. Si nous n’y parvenons pas, le taux de chômage remontera à ce qu’il était auparavant».
Si les principaux projets de Nazareth 2000 – près de 100 millions de dollars de fonds publics – approuvés sous l’ancien gouvernement, n’ont pas été annulés, les subventions pour développer les zones arabes ont globalement diminué. «La politique de Netanyahou signifie la relance de la colonisation juive, le durcissement de la politique à l’égard des Arabes israéliens et un recul général du processus de paix». (apic/be)