Le vade-mecum des évêques jette un froid

Suisse: «Il ne peut pas y avoir deux gouvernements côte à côte dans l’Église catholique»

Fribourg, 29 août 2013 (Apic) «Il ne peut pas y avoir deux gouvernements côte à côte dans l’Église catholique». Ce ferme rappel à l’ordre lancé par les évêques a jeté un froid au sein de l’Eglise en Suisse. Les responsables des corporations chargées de gérer les impôts ecclésiastiques ont fait la grimace à la lecture du «vade-mecum pour la collaboration de l’Eglise catholique avec les corporations de droit public ecclésiastique en Suisse» publié le 23 août 2013 par la Conférence des évêques suisses (CES). Face aux réactions de défiance, le président de la CES, Mgr Markus Büchel, a dû rappeler le 26 août que les évêques soutiennent le système actuellement en place.

«Selon l’enseignement du Concile Vatican II, ce sont les évêques qui gouvernent l’Église, avec l’aide de leurs collaborateurs que sont les prêtres, les diacres ainsi que des laïcs qu’ils ont mandatés spécialement. Les organisations de droit public ecclésiastique ne sont par conséquent légitimes que lorsqu’elles sont de nature à assister et à soutenir, et qu’elles revêtent un caractère auxiliaire», affirme le vade-mecum.

Ce document, approuvé par la CES lors de son assemblée de printemps au début du mois de mars dernier, est en fait le rapport final de la commission spécialisée instituée après le colloque organisé en 2008 à Lugano sur la question des rapports entre l’Eglise catholique et l’Etat en Suisse. En treize pages, il pose les principes en vue de «réorienter ou réformer» l’actuel système pour qu’il corresponde mieux «à la nature et aux besoins de l’Eglise en Suisse». A l’instar du pape Jean XXII lançant le Concile Vatican II, il y a cinquante ans, les évêques souhaitent un «aggiormamento» (mise à jour).

L’Eglise catholique suisse est un «Sonderfall»

Depuis sa fondation, la Confédération suisse cultive les particularismes locaux. On parle du ‘Sonderfall Schweiz’. C’est particulièrement vrai dans le domaine religieux où chaque canton dispose d’une organisation propre.

A côté des diocèses et des paroisses, qui sont les structures ordinaires de l’Eglise catholique-romaine partout dans le monde, il existe en Suisse des organisations cantonales de droit public ecclésiastique et des communes ecclésiastiques. Ces corporations ont été créées par l’Etat qui leur a concédé l’autorisation de percevoir un impôt ecclésiastique auprès des fidèles, à condition de respecter les principes démocratiques en disposant notamment d’organes élus. Leur tâche principale est l’administration des ressources provenant de cet impôt. Ce sont donc elles, et non pas les évêques ou les curés, qui tiennent les cordons de la bourse.

Inspiré par la Réforme protestante

Cette situation unique, qui puise ses racines dans la Réforme protestante et sa conception des Eglises nationales, remonte en fait au XIXe et à l’avènement progressif de la Suisse moderne. Les cantons, tout en reconnaissant le principe de la liberté religieuse, ont institué une forme de contrôle démocratique sur les Eglises reconnues dont celles-ci ont dû s’accommoder de plus ou moins bon gré. Ces législations dites de droit public ecclésiastique ont établi dans la plupart des cantons des Eglises cantonales (Landeskirchen), appelées ainsi par analogie avec les Eglises protestantes.

Risque de tension et de désaccords

Cette co-existence de deux pouvoirs, celui de l’évêque et des curés et celui des instances démocratiques, comporte évidemment un risque de tension et de désaccord. Les évêques ont le sentiment de devoir mendier leur subsistance auprès des corporations cantonales. Tandis que celles-ci, fortes du principe ‘qui paie commande’, sont tentées d’intervenir dans les questions ecclésiales de pastorale, de discipline ou même de doctrine.

La situation des évêques est d’autant plus complexe que la plupart des diocèses suisses s’étendent sur plusieurs cantons et qu’ils sont confrontés à autant de systèmes différents. Avec ce paradoxe d’une Eglise globalement riche, mais de diocèses pauvres.

Le spectre de ‘l’affaire Haas’

L’exemple le plus frappant de désaccord remonte à ‘l’affaire Haas’ au milieu des années 1990. Pour s’opposer à leur évêque très contesté, certaines corporations ecclésiastiques avaient supprimé leur contribution au diocèse de Coire. Après des années de conflit, l’affaire avait connu son épilogue par ‘l’évacuation par le haut’ de Mgr Wolfgang Haas nommé en 1997 archevêque sur le siège, créé pour la circonstance, de Vaduz, au Liechtenstein. Les tensions ont resurgi après les déclarations du vicaire général de Coire, Martin Grichting, remettant en cause l’existence même des corporations de droit ecclésiastique.

En juin dernier, les parlements des corporations ecclésiastiques des deux Bâle ont approuvé une initiative demandant l’abolition du célibat des prêtres et l’ordination des femmes.

Situation très diversifiée du côté romand

Côté romand, les tensions sont beaucoup moins vives, du fait d’une mentalité ecclésiale différente et de situations cantonales plus diversifiées. On se souvient cependant du conflit ayant opposé, dans les années 1990, Mgr Pierre Bürcher, alors vicaire épiscopal à Lausanne, à la Fédération des paroisses du canton de Vaud autour de son droit de nomination des agents pastoraux.

A Fribourg et dans le Jura, lors de la rédaction de nouveaux statuts ecclésiastiques, les assemblées constituantes ont été particulièrement attentives à la répartition et au partage des compétences entre l’autorité diocésaine et l’autorité ecclésiastique. Le débat le plus récent concernait la question des ‘sorties d’Eglise’. Neuchâtel et Genève ont des situations relativement simples, puisque ces deux cantons connaissent la séparation Eglise-Etat. Le Valais fait figure d’exception. Dans le diocèse de Sion, où ce sont les communes qui prennent en charge les frais du culte, il n’y a en effet pas de corporation ecclésiastique La situation de l’évêque n’est cependant guère plus confortable puisqu’il ne dispose pas de ressources directes, hormis les revenus de son patrimoine et les quêtes. (apic/mp)

#Eviter la confusion des termes

Pour mieux exprimer «le fait que les organisations de droit public ecclésiastique sont au service de l’Eglise», le vade-mecum recommande de ne pas utiliser des termes semblables pour désigner des entités différentes. Ainsi les Eglises catholiques cantonales (Landeskirchen) ne devraient pas conserver cette dénomination, mais adopter celle de ‘corporations’.

De même le terme ‘synode’ ne devrait pas être utilisé pour désigner les parlements élus de ces corporations, puisque, dans l’Eglise, il désigne une assemblée d’évêques ou un rassemblement diocésain. Enfin le terme de ‘paroisse’ devrait être réservé pour désigner l’entité canonique différente de la ‘commune ecclésiastique’.

Lorsqu’un diocèse comprend plusieurs corporations cantonales, il faudrait donner un cadre juridiquement contraignant à leurs relations avec le diocèse, au moyen de conventions, préconise le vade-mecum. Il s’agirait notamment d’assurer le versement à long terme des contributions au diocèse et à ses institutions et de viser à une prise en compte plus forte de l’échelon diocésain et national lors de l’attribution des moyens financiers.

La question de l’élection des curés, prévue par les législations de certains cantons, occupe un large chapitre du vade-mecum. Si cette situation peut être admise, il est indispensable que le prêtre dispose d’une mission canonique de son évêque. Si une corporation souhaite se séparer de son curé, elle doit obtenir de l’évêque qu’il retire à ce prêtre sa mission. (apic/mp)

#Le financement des Eglises en Suisse

20 des 26 cantons suisses connaissent le système de l’impôt ecclésiastique obligatoire pour le financement du fonctionnement des Eglises reconnues. Mais dans le détail les législations peuvent différer. En Suisse romande, seuls les cantons de Fribourg et du Jura connaissent ce système. Les impôts sont perçus au niveau des paroisses qui en remettent une partie à la corporation cantonale pour le financement des tâches supra-paroissiales et le cas échéant des ministères. Les corporations cantonales contribuent à leur tour au financement des tâches diocésaines ainsi que des tâches suisses par l’intermédiaire de la Conférence centrale catholique-romaine (RKZ).

Le canton de Vaud ne connaît pas d’impôt ecclésiastique. L’Eglise évangélique réformée et l’Eglise catholique-romaine sont reconnues comme institutions de droit public. A ce titre, l’Etat leur assure par des subventions les moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission. Les catholiques se sont réunis au sein de Fédération des paroisses catholiques du canton de Vaud (FEDEC) qui est l’interlocutrice de l’Etat.

Genève et Neuchâtel vivent sous le régime de la séparation Eglise-Etat. Les deux cantons connaissent une contribution ecclésiastique sous une forme uniquement volontaire. Les administrations cantonales prêtent néanmoins leur concours pour l’encaissement de cet impôt facultatif.

Dans le canton du Valais, les frais du culte sont pris en charge par les communes qui assurent la couverture du budget des paroisses. Seules quelques communes ont introduit pour cela une contribution ecclésiastique spécifique. Les paroisses sont administrées par un ‘conseil de gestion’ auquel appartient nécessairement le curé. (apic/mp)

29 août 2013 | 14:56
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 6 min.
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