L'Eglise du Nigeria se prépare en vue des élections du 16 février

Alors que le Nigeria se prépare aux élections à la présidence et à la députation à l’Assemblée nationale, le 16 février 2019, la frustration est grande dans la population. «Le président sortant avait promis beaucoup, mais il n’a pas tenu parole…», lance l’abbé Walter C. Ihejirika, professeur de journalisme et de communication à l’Université de Port Harcourt, dans la région du Delta du Niger.

Le président nigerian Muhammadu Buhari, 76 ans, au pouvoir depuis 2015 dans ce pays de près de 200 millions d’habitants, se représente face à l’homme d’affaires Atiku Abubakar, 72 ans, tous deux musulmans sunnites. L’arrivée au pouvoir de cet ancien général avait ravivé l’espoir, au sein de la population, après les promesses d’un assainissement de l’économie, d’une éradication du mouvement terroriste Boko Haram, d’un rétablissement de l’ordre et d’un climat des affaires propice à attirer les investisseurs étrangers. Sans parler de la lutte contre la corruption qui gangrène le pays, où il a totalement échoué.

La conférence épiscopale du Nigeria a demandé à Muhammadu Buhari, président du Nigeria, de quitter le pouvoir , après le massacre de deux prêtres et seize fidèles dans une église de Mbalom, dans l’État de Benue. en avril 2018 | European Parliament/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0)

Promesses non tenues

«Il avait pourtant promis de débarrasser le pays de la plaie de Boko Haram et avait même déclaré, en 2016, que ces djihadistes avaient été ‘techniquement’ vaincus… Mais on voit tous les jours que c’est faux: une faction de Boko Haram, appelée «Province d’Afrique de l’Ouest de l’Etat islamique» (ISWAP), s’est même affiliée à Daech, l’Etat islamique. Ses combattants sont bien mieux équipés que nos soldats!»

«La corruption partout présente est un obstacle majeur pour mener efficacement la guerre contre le terrorisme». Depuis 2009, combats et massacres auraient déjà fait 27’000 morts dans le pays et quelque 2 millions de déplacés internes, forcés de quitter leur foyer», a-t-il confié à cath.ch lors de son passage aux 23e Journées Internationales Saint François de Sales, tenues à Lourdes du 30 janvier au 1er février 2019.

Nigeria Attentat suicide de djihadistes visant une église à Potiskum, dans l’Etat de Yobe | © somervillesustainableconservation

Le terrorisme provoque une explosion de la pauvreté

Au Nord-Est du Nigeria, Boko Haram est encore très actif dans les Etats de Borno, Yobe et Adamawa. «C’est devenu un terrorisme international, qui a débordé dans les pays voisins, le Cameroun et le Tchad… Boko Haram s’est mélangé avec l’Etat islamique, c’est le groupe terroriste le plus violent, provoquant également une explosion de la pauvreté».

Au centre du pays, dans la Middle Belt (ceinture du milieu), les violences entre éleveurs nomades (essentiellement musulmans) et agriculteurs sédentaires (essentiellement chrétiens), ont déjà fait des centaines de morts. Si la lutte pour le contrôle des terres arables est une raison fondamentale de ces conflits, «la dimension religieuse n’est pas absente, car les musulmans veulent gagner des terrains dans les zones chrétiennes».

Dimension religieuse du conflit

«Beaucoup pensent que les musulmans veulent prendre tout le pays et qu’ils cherchent toutes les occasions pour déplacer les chrétiens», note le professeur de l’ethnie igbo, originaire du Sud-Est du Nigeria (ancien Biafra).

Dans la région du Delta du Niger, dans le pays des Ogonis, depuis les années 1950, des entreprises pétrolières, notamment l’anglo-néerlandaise Shell, polluent gravement l’environnement, privant les populations de pêcheurs et d’agriculteurs de leurs moyens de subsistance.

Boko Haram a enlevé des milliers de femmes, au Nigeria (Photo:bellmon1/Flickr/CC BY-NC 2.0)

Rébellion armée

Le refus des compagnies de réparer les dégâts et de restituer une part des richesses extraites sur leur territoire a provoqué un soulèvement armé des habitants du Delta, des enlèvements de travailleurs de l’industrie prétrolière et de marins, et le sabotage d’oléoducs. Cette rébellion, sévèrement réprimée par le pouvoir, «pourrait reprendre à tout moment, car le gouvernement, qui avait promis de nettoyer la région polluée, n’a encore rien fait. Les gens de la région du Delta menacent à nouveau de prendre les armes…»

Malgré ces tensions, l’Eglise s’est fortement mobilisée dans tout le pays, avec ses Commissions locales ‘Justice et Paix’, engagées aux côtés d’observateurs de la société civile pour surveiller les élections du 16 février prochain. Quelque 7’400 chefs religieux sont engagés par une organisation de la société civile qui milite pour la transparence électorale, ReclaimNaija Grassroots Movement. Il s’agit d’un mouvement social de citoyens de base pour la responsabilité démocratique et le développement inclusif.

‘Justice et Paix’ sur la brèche

«La population, qui a un grand intérêt pour ces élections, a développé une grande conscience civique», se réjouit l’abbé Walter C. Ihejirika. ‘Justice et Paix’  a organisé des débats avec les candidats (ils sont 73 en compétition!) «L’Eglise, sans être partisane, a incité les électeurs à participer et à exercer leurs responsabilités civiques».

«L’Eglise devient plus engagée, plus sociale, davantage consciente des besoins des pauvres. Elle encourage les fidèles, dans les paroisses, à s’engager dans des ‘sodalités’, des associations de fidèles comme les Sociétés de Saint-Vincent de Paul, de Saint-Jude, du Sacré-Coeur, la Légion de Marie. Ces associations combinent prières et engagement social, c’est réjouissant!» JB


Héritage colonial et recensement manipulé

Le professeur de l’Université de Port Harcourt relève que les divisions du pays prennent aussi leur origine dans l’héritage colonial laissé par les Britanniques, qui avaient favorisé le Nord musulman. «Le recensement avait été manipulé, pour démontrer à l’époque que le Nord musulman était majoritaire. Depuis l’indépendance, aucun vrai recensement n’a été mené, alors qu’il devrait être fait tous les dix ans. Le gouvernement n’a qu’une estimation du nombre d’habitants du pays, mais il n’a aucune intention de faire un nouveau recensement dans ce pays qui n’a même pas un système national de cartes d’identité. Le gouvernement a peur qu’en mettant sur pied une telle statistique, on s’aperçoive que le Nord n’est pas si peuplé que ce que l’on prétend…»

Si le pays est riche en potentialités, déplore l’abbé Walter C. Ihejirika, le Nigeria passe pour «la capitale mondiale de l’extrême pauvreté», selon le rapport du World Poverty Clock. Le géant démographique de l’Afrique compterait près de la moitié de ses 200 millions d’habitants vivant dans l’extrême pauvreté. «Ce qui fait passer ce pays d’Afrique de l’Ouest devant l’Inde qui compte quelque 72 millions de personnes extrêmement pauvres pour une population près de sept fois supérieure à celle du Nigeria!» JB


Quand le discours religieux devient excessif

Le professeur Walter C. Ihejirika se montre très critique face à la croissance exponentielle, en Afrique sub-saharienne, des sectes évangéliques, notamment des communautés pentecôtistes. «Le danger est que, de nombreuses fois, les adeptes de ces mouvements religieux deviennent passifs, indolents.  Ils prient sans arrêt et attendent passivement que Dieu fasse tout pour eux, sans qu’ils s’engagent eux-mêmes, alors que Dieu nous a donné des capacités d’agir».

Cette façon de concevoir la religion est, au yeux du professeur de journalisme, un obstacle pour s’engager dans des démarches scientifiques. «C’est un frein au développement quand on pense que tout peut se résoudre par la prière, par des miracles, sans faire d’efforts». Ces mouvements évangéliques disent que tout le mal vient du Diable. Beaucoup sont adeptes de ‘l’Evangile de la prospérité’.

L’Evangile de la prospérité

«Ils espèrent devenir millionnaires, car ce serait le signe de leur élection par Dieu, mais ils attendent sans rien faire. Comme il leur faut à tout prix donner un témoignage de leur réussite matérielle, cela favorise la corruption. Chez eux, tout un chacun peut s’intituler ‘pasteur’, fonder sa propre ‘Eglise’, faire des ‘guérisons’…»

«Certains de nos prêtres catholiques sont tentés d’imiter ces pasteurs pentecôtistes, de faire les exorcistes. C’est un phénomène très répandu en Afrique, cela vient de notre arrière-fond culturel. Le succès de ces Eglises s’explique aussi par la récupération et la réinterprétation du substrat religieux ancien. Les catholiques ne doivent certes pas enlever Dieu de l’équation, car le progrès n’est pas dû à l’homme seul, mais Dieu nous donne un cerveau et des mains pour que nous fassions aussi notre part dans la société!» JB


Abbé Walter C. Ihejirika, professeur de communication, Port Harcourt, Nigeria | © Jacques Berset

Biographie

Spécialiste des médias, l’abbé Walter C. Ihejirika a étudié les communications sociales à  l’Université grégorienne de Rome. Il a étudié le rôle des télévangélistes nigérians dans la conversion de catholiques au pentecôtisme. Il est actuellement professeur de communication et d’études des médias à l’Université fédérale de Port Harcourt, dans une région qui est l’épicentre de l’activité pétrolière au Nigeria. Il enseigne notamment la production télévisuelle et cinématographique à l’Université et participe à la production de programmes de télévision au Kairos Communication Studio de Maynooth, en Irlande, et au Centre pour l’étude de la culture africaine et de la communication à Port Harcourt.

Le professeur nigérian a été membre du jury des Prix du journal catholique du Nigeria. Il a également participé en tant que membre de Signis et du Jury œcuménique aux Festivals du Film de Zanzibar, en Tanzanie, de Venise, du FESPACO, au Burkina Faso, également à Locarno. Le professeur Ihejirika est actuellement le président de Signis-Africa, section de l’Association catholique mondiale pour la communication. (cath.ch/be)

Abbé Walter C. Ihejirika, professeur de communication, Port Harcourt, Nigeria | © Jacques Berset
8 février 2019 | 17:00
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 6 min.
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