L'Église en Syrie est en train de mourir, déplore Mgr Jacques Mourad
«L’Église en Syrie est en train de mourir… Il n’y a aucune liberté, religieuse ou autre» dans le pays, déplore Mgr Jacques Mourad, archevêque syriaque catholique de Homs, à l’ouest de la Syrie. Mgr Mourad était récemment à Rome pour participer à la présentation du Rapport 2005 sur la liberté religieuse dans le monde, rédigé par la fondation pontificale Aide à l’Église en Détresse (ACN).
Jacques Mourad avait été pris en otage par les terroristes de Daech, l’État Islamique, en 2015. Durant ses cinq mois de captivité, il avait été torturé pour le contraindre à renier sa foi et soumis à une exécution simulée, mais il n’a jamais renié sa foi au Christ. Aujourd’hui, il déplore les pressions exercées sur les chrétiens.
L’archevêque syriaque catholique de Homs a donné à Rome un aperçu de la situation actuelle dans son pays ravagé par la violence et l’insécurité. Au cours de son intervention, il a averti que «l’Église en Syrie est en train de mourir», en raison d’une situation politique et juridique insupportable et insoutenable.
Les chrétiens se sentant menacés par le nouveau pouvoir islamique, face à une situation économique catastrophique et sans perspectives d’avenir quittent le pays à la recherche de meilleures conditions de vie. Selon les estimations d’ACN, environ 2,1 millions de chrétiens vivaient en Syrie en 2011, avant le déclenchement de la guerre, alors qu’en 2024, leur nombre était plus proche de 540’000.

Impossible d’empêcher l’émigration des chrétiens
Mgr Mourad, âgé de 57 ans, est membre de la communauté monastique de Saint Moïse-l’Abyssin ou Deir Mar Moussa al-Habachi. Sa communauté s’est toujours efforcée de cultiver des relations de fraternité entre chrétiens et musulmans, dans un pays où les premiers ne représentent que 2,3 % de la population et les seconds 95,9 %. L’archevêque syriaque évite de parler des tortures qu’il a subies quand il était aux mains de l’État Islamique, et préfère penser aux musulmans qui l’ont aidé à échapper aux miliciens. Il parle avec douceur, mais avec des mots clairs: «Nous espérons que prendre la parole en ce moment fera du bien à notre pays».
«Aucune tentative de l’Église universelle ou de l’Église locale pour limiter le flux migratoire n’a fonctionné, car les causes ne sont pas liées à l’Église mais à la réalité politique et économique désastreuse du pays. Il est impossible d’essayer de limiter une vague migratoire sans tenter tout d’abord d’établir un modèle politique de gouvernement bien défini en Syrie et un système de sécurité solide», a expliqué l’archevêque. «Personne ne peut condamner le peuple syrien parce qu’il émigre et cherche le salut hors de Syrie. Personne n’a le droit de juger», dans une situation où toute l’économie, le système éducatif et même le système sanitaire sont en train de s’effondrer.
«Nous ressemblons de plus en plus à l’Afghanistan»
Selon ses déclarations, «le peuple syrien continue de souffrir de violences et de représailles, et des événements tragiques et regrettables persistent, anéantissant toutes les demandes internationales ainsi que les récriminations populaires visant à mettre fin à ce bain de sang». «Nous ressemblons de plus en plus à l’Afghanistan. Il n’y a pas cette violence, mais nous n’en sommes pas loin non plus. De nombreux types de pressions sont exercés sur les personnes. Ne pensez pas que nous marchions vers la liberté, ni la liberté religieuse, ni aucun autre type de liberté», a-t-il assuré.
Depuis Rome, le natif d’Alep a lancé un «appel à toutes les personnes de bonne volonté du monde pour qu’elles prennent les mesures nécessaires afin de mettre un terme à la violence et trouvent les moyens d’en finir avec les injustices passées et présentes». Il a précisé que l’absence de justice est le résultat des 60 dernières années, au cours desquelles une profonde division s’est créée entre l’État et le peuple.
«Les gens n’ont confiance ni dans le gouvernement local ni dans la communauté internationale. Nous ne faisons confiance qu’à Dieu», a-t-il déclaré. Selon Mgr Jacques Mourad, la représentation médiatique dominante, surtout en Occident, ne correspond pas à ce qu’il voit et entend sur les nouvelles souffrances du pays. «Nous, les catholiques, nous nous sentons étrangers dans notre propre pays, ce qui est intolérable, a-t-déclaré à l’agence vaticane Fides.
Les djihadistes sont toujours là
Il lui reste en mémoire le traumatisme provoqué par le massacre des chrétiens tués à Damas le 22 juin 2025, alors qu’ils étaient réunis pour prier à l’intérieur de l’église grecque-orthodoxe Saint-Élie. L’attentat terroriste a fait au moins 25 morts et 63 blessés. Selon le ministère syrien de l’Intérieur, l’État islamique serait responsable de l’attentat au cours duquel un kamikaze a ouvert le feu avant de faire détoner son gilet explosif. L’attaque a cependant été revendiquée par un autre groupe djihadiste, Saraya Ansar al-Sunnah, un groupe dissident des islamistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTS), le groupe djihadiste d’Ahmed al-Charaa. Fondateur et chef du Front al-Nosra, un temps lié à al-Qaïda, puis de HTS, al-Charaa est l’actuel président de la République arabe syrienne à titre transitoire depuis le 29 janvier 2025.
Le double discours du pouvoir actuel
Même après le massacre dans l’église Saint-Élie, les représentants du gouvernement ont répété que les chrétiens étaient une composante incontournable du peuple syrien. Mais pour l’archevêque Jacques Mourad, «le gouvernement porte directement la responsabilité de tout ce qui s’est passé. Car tout gouvernement est responsable de la sécurité de son peuple. Et je ne parle pas seulement des chrétiens. Beaucoup de sunnites, beaucoup d’alaouites, de druzes, ont été tués, beaucoup ont disparu. Si une équipe envoyée par un organisme international venait inspecter les prisons, elle trouverait aujourd’hui beaucoup de gens qui n’ont rien à voir avec les crimes du régime précédent. Je pense qu’on peut dire que ce gouvernement persécute le peuple. Tout le peuple», a-t-il confié à Fides.
Pour Mgr Mourad, «Chaque fois que j’entends parler de la ’’protection’’ des chrétiens, j’ai l’impression que nous sommes accusés. Et menacés. Ce sont des formules utilisées non pas pour manifester de la bienveillance, mais pour incriminer. Ce que je dois dire, c’est que ce gouvernement fait les mêmes choses que le régime d’Assad a faites contre le peuple. Les deux régimes, celui d’Assad et celui d’aujourd’hui, n’ont aucun respect pour le peuple syrien et son histoire».
Appel des islamistes à la conversion des chrétiens
Et de mentionner des militants islamistes qui passaient sans cesse devant l’église Saint-Élie à Damas avec des haut-parleurs montés sur leurs voitures pour diffuser à plein volume dans les oreilles des baptisés des versets du Coran et des appels à se convertir et à adhérer à l’islam. La même chose, confirme l’archevêque Jacques Mourad, se passe également à Homs et dans toute la Syrie: «Ils passent avec les voitures de sécurité du gouvernement et, à travers les haut-parleurs, ils demandent aux chrétiens de se convertir. Si nous demandons des explications à ceux de la sécurité, ils nous répondent qu’il s’agit d’initiatives individuelles. Mais entre-temps, ils continuent à utiliser les voitures de sécurité… le peuple ne croit plus à ce gouvernement ».
«Nous, les catholiques, nous nous sentons étrangers dans notre propre pays, ce qui est intolérable, a-t-il également déclaré à Fides. (cath.ch/acn/fides/be)





