L'Eglise fait son baptême nautique sur le lac des Brenets
Au port des Brenets (NE), ce samedi 14 juin vers 17 heures, les voix s’élèvent dans l’air chaud. Une vingtaine de choristes sous la direction de Laurent Chiron répètent une dernière fois avant l’embarquement. Leurs chants se mêlent au clapotis du Doubs. Dans quelques minutes, ils vivront une première: célébration de la messe sur l’eau.
Reportage Silvia Freda, pour cath.ch
Sur le quai, la Compagnie de Navigation sur le lac des Brenets (NLB) a prévu large. «L’affluence est telle que nous envisageons un deuxième bateau, prêt à être arrimé au premier», lance Sophie Durig, catéchiste à la Chapelle des Brenets, épouse du capitaine de la Compagnie de navigation et à l’origine de cette initiative (voir l’encadré). Finalement, tout le monde peut embarquer à bord de la grande vedette. Le bateau s’éloigne lentement et la messe commence. À l’avant, une simple table recouverte de blanc fait office d’autel. Une sono. Quelques fleurs. Et beaucoup de silence.
Le soleil cogne. L’abbé Rémi Steinmyller s’éponge le front. La chaleur n’empêche pas le recueillement. «J’ai souvent célébré en montagne, dans la forêt, à plein d’endroits, dans la neige, sur des rochers… mais sur l’eau jamais», a confié le prêtre avant de monter à bord.
Une belle image biblique
Ordonné depuis un an, l’abbé Steinmyller voyait dans cette messe une belle image biblique. «L’eau est hyper présente dans la Bible», souligne-t-il. «On a la barque de Pierre qui symbolise l’Église dans la mer du monde. On a le baptême, avec la plongée dans l’eau pour renaître. Sans oublier Jésus qui apaise la tempête, marche sur l’eau ou dort dans la barque avec ses disciples. Espérons que le lac sera calme pendant la messe, et que Dieu ne soulèvera pas une tempête pour éprouver notre foi!», glisse-t-il en souriant.
Vœu exaucé. Le calme, justement, enveloppe le Doubs lors de la liturgie. Seuls les chants du chœur percent l’air. Le jeune prêtre consacre son homélie à la Trinité, en l’illustrant par un récit centré sur l’eau. «J’ai choisi de raconter un rêve de saint Augustin» lance-t-il à l’assemblée. «Un enfant tente de remplir un trou de sable avec l’eau de la mer» poursuit-il. «Saint Augustin, étonné de ce geste absurde, lui dit que c’est impossible. L’enfant lui répond: ‘C’est comme toi qui veux comprendre le mystère de la Trinité’…»
La quête pour la mise à disposition du bateau
Tandis qu’il éclaire la Parole du jour, l’assemblée l’écoute, sereine et concentrée. Le soleil fait danser des reflets de l’eau dans le bateau. Sur le toit, une partie de l’équipement dessine une croix presque parfaite. Divin hasard. La quête permettra de défrayer la mise à disposition du bateau par la NLB.
À la fin de la célébration, le bateau regagne lentement le quai. Le silence persiste encore quelques instants. Puis un apéritif est partagé sur le port. Une manière simple de prolonger la célébration. «Il ne faut pas juste avoir la porte de nos églises ouverte», explique l’abbé Steinmyller lors de ce moment de convivialité, il faut aussi aller jusqu’à la sortie, héler les passants. C’est également ce que permettent ces messes en plein air.»
«Un retable vivant»
«Autour, la nature encadrait la scène comme un retable vivant. Des canoës nous côtoyaient, comme touchés par la grâce eux aussi», témoigne Floriane Jequier, choriste et auxiliaire de l’eucharistie, de retour sur la terre ferme. Elle ajoute, dans un sourire: «C’était assez magique, je dirais». Marie-Noëlle Willemin, aussi choriste, partage son enthousiasme. «À refaire! Être à l’extérieur, comme pendant la messe suivie d’une Torrée, notre spécialité neuchâteloise, c’est très bien!»
Déjà le 25 mai, une messe avait en effet réuni les fidèles en plein air, à l’ancienne place de gym des Brenets. Cérémonie suivie d’une torrée. Ce jour-là, l’abbé Steinmyller avait cité le pape François et parlé d’«une Église qui sort». «On célèbre la messe comme on peut et du mieux qu’on peut. Tant que c’est digne, on peut la célébrer partout» rassure-t-il, alors que les verres s’entrechoquent sur le port.
À quelques pas, tout sourire et heureuse que tout se soit bien déroulé, Danielle Dupraz, présidente du conseil du rectorat des Brenets, revient sur cette expérience. Avec son mari Aloïs Nipp, sacristain, et l’aide des bénévoles, ils ont supervisé toute l’organisation. «Nous étions en pleine création, en pleine œuvre de Dieu extraordinaire avec ses bassins et cette nature. Être là en plein cœur de cette création splendide, ça nous ouvre à cette Trinité Sainte.»
De Montlebon, en France voisine, Victor Poulain évoque une homélie entendue ailleurs. «Sur la rivière m’est revenu en mémoire un sermon entendu lors d’une autre messe: Dieu est La Source, Jésus est la rivière, et l’Esprit-Saint, le courant.» Des propos qui ont tant frappé l’abbé Rémi Steinmyller qu’il en a fait bénéficier les paroissiens de la Mère-Commune, lors de la messe dominicale du lendemain. «C’est ce qu’on appelle une ‘homélie participative’.»
Alors, tradition en devenir, la messe sur le bateau? «Oui, c’est possible», pense-t-il à quelques jours du premier anniversaire de son ordination, le 22 juin. «Si ça aide les personnes à vivre leur foi, ça se pourrait bien.» (cath.ch/sf/bh)
A la source d’une tradition naissante?
L’histoire commence en juin 2024, lors d’une sortie des catéchistes de l’Unité pastorale des Montagnes neuchâteloises aux Brenets. L’abbé Christophe Godel, prêtre modérateur de l’Unité pastorale des Montagnes neuchâteloises, raconte: «On a fait une rencontre des catéchistes et pour les remercier, on leur a offert un tour en bateau sur le Doubs. Après, était prévue la messe à la Chapelle des Brenets.» Sophie Durig, catéchiste et épouse du capitaine à la NLB, lance spontanément: «Pourquoi ne pas la célébrer sur le bateau?» Une idée née dans la simplicité et qui fait mouche.
Le 3 juin 2024, une première messe a donc lieu à bord, entre catéchistes. «C’était formidable!», se souvient-elle. «C’était tellement beau qu’on s’est demandé si on pourrait refaire ça en ouvrant ce rendez-vous à tous ceux qui voudraient en être», confirme Christophe Godel. Une messe publique est alors agendée pour le 12 octobre, mais annulée à cause du mauvais temps. Celle du 14 juin est ainsi devenue la première célébration ouverte à tous sur les eaux du Doubs.
L’abbé Christophe Godel replace cette initiative dans un cadre plus large. «Il y a très longtemps, il me semble qu’il y a eu une messe sur le lac Léman, organisée par l’Église catholique dans le canton de Vaud.» Mais aux Brenets, la célébration sur le Doubs a fait figure de pionnière. «Et comme le dit l’adage, si après une première fois qui se passe bien, suit une deuxième, c’est à la troisième que ça devient une tradition». La messe du 14 juin constitue donc la première étape de ce qui pourrait devenir un rendez-vous annuel. Du moins si la NLB est partante! SF