Mausolée de Lénine à Moscou, devant les remparts du Kremlin © Bernard Litzler
International

Lénine, «traître à la patrie» pour le «n° 2» du Patriarcat de Moscou

Qualifiant Lénine, premier dirigeant de l’Union soviétique, de «traître à la patrie» qui aurait dû être jugé pour haute trahison, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, «numéro deux» du Patriarcat de Moscou, ne souhaite pas qu’il soit inhumé pour le moment.

En effet, Vladimir Ilitch Lénine – dont le corps embaumé est exposé au public depuis 1924, année de sa mort, et repose dans son Mausolée, sur la Place Rouge à Moscou – reste «une relique sacrée» pour ses adeptes. Ils ressentiraient une éventuelle inhumation «comme une atteinte à leur propre foi».

Pas encore le moment

L’Union des architectes de Russie a suscité récemment une polémique en annonçant un concours sur l’utilisation du Mausolée après l’inhumation du corps de Lénine, mais le projet a été stoppé suite aux vives protestations des communistes russes.

Pour le président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, il faut agir avec prudence afin de ne pas provoquer de confrontations civiles avec les nostalgiques du communisme. «Les communistes nous ont laissé entendre qu’ils ne laisseraient pas passer une atteinte au corps de Lénine. Il faudra donc sans doute encore attendre que l’idéologie communiste soit une page définitivement tournée. Il sera temps, alors, d’enterrer le corps de Lénine».

Les bolcheviks ont fait dynamiter les églises et tuer les prêtres

«Nous disons qu’en faisant dynamiter les églises et tuer les prêtres, les bolcheviks ont porté atteinte à notre foi. Si le corps de Lénine est retiré du mausolée, ceux pour qui ce corps reste une relique sacrée le ressentiront comme une atteinte à leur propre foi. Il faut donc être très prudent, afin de ne pas provoquer des troubles sociaux. Les communistes nous ont laissé entendre qu’ils ne laisseraient pas passer une atteinte au corps de Lénine. Il faudra donc sans doute encore attendre avant de pouvoir l’enterrer».

Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, ‘numéro deux’ du Patriarcat de Moscou | © Jacques Berset

«Je ne doute pas que, tôt ou tard, le corps de cet homme finira par être inhumé (…) Je pense qu’il n’a rien à faire sur la place Rouge», a déclaré Hilarion le 3 octobre 2020 lors de l’émission «L’Eglise et le monde» (Tserkov’ i mir), diffusée sur la chaîne de télévision Rossia-24. Et l’hiérarque de l’Eglise russe rappelle que Lénine, avec une trentaine d’autres bolcheviks, est rentré en Russie en avril 1917 après un parcours de la Suisse à Petrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg).  

Rentré en Russie dans un wagon plombé

«Il est rentré en Russie quand la Russie était enflammée par la révolution et en guerre avec l’Allemagne. Lénine et d’autres révolutionnaires sont revenus grâce à l’argent allemand. Autrement dit, l’Allemagne savait qu’elle ne pourrait vaincre la Russie par les armes et a voulu profiter de la situation pour changer le régime politique en Russie», relève le métropolite Hilarion.

Statue de Lénine, dans le parc d’Ouglitch, en Russie © Bernard Litzler

Il estime que le traité de paix de Brest-Litovsk, signé le 3 mars 1918 entre les Empires centraux menés par l’Empire allemand et la Russie soviétique, qui ont mis fin aux combats sur le front de l’Est, tenait surtout compte des intérêts de l’Allemagne. «Autrement dit, poursuit-il, c’est un traître à la patrie qui est rentré en Russie dans un wagon plombé, un homme qu’on aurait dû, selon la loi, juger pour haute trahison. Or, c’est cet homme qui a déclenché la terreur rouge, les répressions contre la population russe !»

Un musée des répressions de masse

Un artiste américain voudrait bâtir une copie du monument à Washington et se dit prêt à racheter le corps de Lénine. 50 millions de dollars auraient déjà été collectés à cette fin, selon Ekaterina Gratcheva, présentatrice de l’émission «L’Eglise et le monde».

La journaliste russe se demande si l’Eglise orthodoxe russe pourrait remplacer le Mausolée de Lénine par une église. Mais pour le métropolite Hilarion, il n’en est pas question: «Je pense qu’il est absolument inutile d’y bâtir une église. Il y a déjà Basile-le-Bienheureux, Notre-Dame-de-Kazan, la chapelle de la Vierge Iverskaya (d’Iveron, ndlr)… Il y a déjà suffisamment d’églises sur la Place Rouge !» Hilarion est d’avis qu’il faut conserver le monument lui-même. «Il est l’œuvre du grand architecte Chtchoussiev, auteur de plusieurs églises et de nombreuses édifices. En bonne logique, on pourrait y installer un musée des répressions de masse!» (cath.ch/interfax/mospat/be)

Lénine, la «divinité» d’une nouvelle religion
Quand les communistes sont arrivés au pouvoir, ils ont compris qu’il fallait remplacer la religion par quelque chose. «Pas tout de suite, mais progressivement. Le culte de Lénine a commencé dès son vivant et a été entretenu après sa mort par Staline et par ses successeurs. Ce culte est bientôt devenu une sorte d’anti-religion ou de pseudo-religion», affirme le métropolite Hilarion.

Lénine a été promu au rôle d’une sorte d’autorité infaillible, à laquelle il fallait se référer dans tous les mémoires scientifiques, dans tous les manuels. Un livre ne pouvait sortir si sa préface ne contenait pas, au moins, une citation de Lénine. Les portraits de Lénine étaient partout: dans les écoles, dans les universités, dans les lieux publics, les usines, les ateliers. Il n’y avait pas un lieu public où il manquait ‘l’icône’ de Lénine.

Dans son mausolée, comme un pharaon
«Bien plus, beaucoup affichaient des portraits de Lénine chez eux. C’était un culte, conçu pour servir de religion à ceux qui seraient en quête religieuse, et ils étaient nombreux, pour qu’ils aient de quoi alimenter leur recherche. C’est ainsi que le principal athée de Russie a été quasiment divinisé, c’est ainsi que cet homme, mort depuis près de cent ans, dort dans son mausolée, comme un pharaon». JB    

Mausolée de Lénine à Moscou, devant les remparts du Kremlin © Bernard Litzler
14 octobre 2020 | 00:13
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 4 min.
Partagez!