Corée: L'histoire étonnante de la jeune Eglise coréenne
Les Actes des Apôtres revisités
Corée, 12 août 2014 (Apic) D’une poignée à la fin du XVIIIe siècle, les chrétiens coréens sont aujourd’hui des millions. Le développement de la jeune Eglise que le pape s’apprête à visiter est spectaculaire. Missionnaires, persécutions, croissance irrépressible: la ressemblance avec les Actes des Apôtres est frappante. Mgr René Dupont était l’évêque du diocèse d’Andong (centre) de 1953 à 1990. Il revient sur la genèse de cette Eglise pour «Eglises d’Asie», l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. Synthèse d’un récit captivant.
Tout commence il y a quelques 200 ans, à l’époque de la Révolution française. La Corée était alors vassale de la Chine qui accueillait à sa cour des scientifiques européens. Parmi eux, quelques prêtres catholiques faisaient office de «spécialistes de la religion». Au moment où le gouvernement coréen ferme hermétiquement toutes les portes sur l’extérieur, de jeunes intellectuels coréens se transmettent secrètement des livres chinois, dont un certain nombre d’écrits chrétiens.
Un premier baptême
Parmi ces jeunes intellectuels, Lee Byeok, fasciné par le christianisme qu’il découvre, souhaite entrer en contact avec ces «sages» occidentaux qui entourent le roi. Impossible pour le roturier qu’il est, mais non pas pour un de ses amis, Lee Seung-hun, dont le père est secrétaire d’ambassade. Les jésuites qu’il rencontre le captivent. Après trois semaines de discussions, il leur demande le baptême. Il repart en Corée, portant le nom de Pierre. Tout un symbole.
De retour au pays, avec son ami Lee Byeok, il se lance à corps perdu dans l’étude du christianisme. Nous sommes en 1784. Pierre Lee juge qu’il est apte à être baptisé. Lee Byeok reçoit donc le baptême des mains de son ami. Rapidement c’est un premier groupe qui va être à son tour baptisé, puis d’autres ensuite. La communauté grandit, portée par l’élan missionnaire des nouveaux convertis.
Le début des persécutions
Très vite, on chuchote dans les milieux officiels que des éléments dangereux se réunissent secrètement et risquent de troubler l’ordre public. L’affaire éclate au grand jour quand des policiers pénètrent chez un certain Thomas Kim qui réunissait des chrétiens chez lui, au centre de Séoul, à l’emplacement de la cathédrale actuelle. L’affaire fait beaucoup de bruit: la communauté est dispersée et Thomas Kim envoyé en exil. Les persécutions commencent.
Dans un «paradoxe» que l’on retrouve tout au long de l’histoire de l’Eglise, les chrétiens se multiplient au temps des persécutions. Des milliers de chrétiens composent désormais la communauté. Il lui faut un prêtre. Pierre Lee pense avec un brin de naïveté que, pour cela, des élections suffisent. Aussi au sein de la communauté, certains sont «élus» prêtres. Un doute persiste quant à la validité du procédé. L’évêque de Pékin, consulté par la suite, confirme la nullité de la démarche, mais promet l’envoi d’un prêtre.
Premiers martyrs
Jacques Ju, bientôt béatifié par le pape François, entre secrètement en Corée en 1794. Il vit caché, mais ne cesse de parcourir tout le pays la nuit pour encourager les chrétiens, leur donner les sacrements, prêcher la Bonne Nouvelle. Les chrétiens étaient 4’000 à son arrivée. Leur nombre passe à 10’000. Arrêté par la police après six ans d’une mission des plus fécondes, il est torturé puis exécuté. Pékin n’a plus de prêtre à envoyer en Corée.
Les chrétiens se tournent alors vers le pape Léon XIII et celui-ci demande aux Missions Etrangères de Paris d’envoyer des missionnaires en Corée. Le premier à prendre la route est Barthélémy Bruguière. Le voyage, d’abord par voies maritimes puis à pied à travers l’immense Chine, dure trois ans. A la frontière de la Corée, à bout de force, il meurt avant même d’avoir pu y exercer son ministère.
Deux autres prêtres des Missions Etrangères de Paris, les Pères Pierre Maubant et Jacques Chastan, s’introduisent en Corée par… les égouts! Quelques mois après leur arrivée, en 1836, trois jeunes Coréens les rejoignent de Chine où ils se préparent au sacerdoce. Arrêtés par la police, ils seront tous trois décapités. Durant les vingt années qui suivirent, la persécution connaîtra une certaine accalmie. Quelques missionnaires entrent clandestinement dans le pays, ils se cachent et la police fait mine de les ignorer. Pourtant la plus grande persécution est encore à venir. Elle aura lieu en 1866. On parle de 10’000 victimes. Le clergé est décimé, les chrétiens se retrouvent à nouveau isolés et devront attendre dix ans avant qu’un prêtre les rejoigne.
Une période faste
A partir de cette époque, les temps changent. La Corée signe des accords et des traités avec l’Occident. L’un d’eux comporte même une clause sur la liberté de religion. En 1886, les catholiques sont environ 20’000, accompagnés en tout et pour tout par une douzaine de missionnaires parisiens. La période est faste: l’Eglise crée des imprimeries, construit des écoles, ouvre des séminaires. De 1890 à 1933, Mgr Gustave Mutel, évêque titulaire de Milo et vicaire apostolique de Corée, ordonnera 64 prêtres indigènes.
Deux pays, deux univers
Après le seconde Guerre mondiale et les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, la Corée est coupée en deux. Les Russes sont censés réorganiser le nord et les Américains le sud. Durant huit ans, la frontière ne va cesser de se déplacer et les conflits vont faire des millions de victimes. Au Nord devenu communiste, en 1953, il ne reste qu’une poignée de chrétiens, mais aucun prêtre. Au Sud, c’est l’inverse: l’Eglise n’a cessé de croître. En soixante ans, elle a passé de 180’000 fidèles à 5 millions. Les communautés protestantes ont, elles aussi, connu un développement extraordinaire: ils sont dix millions aujourd’hui, ce qui signifie que le tiers des Sud-Coréens sont chrétiens. Aux côtés de ces millions de catholiques, 4’200 prêtres, 11’400 religieux et 1’700 séminaristes accueilleront ces prochains jours le pape François.
Ultime paradoxe de l’histoire, la terre de mission est aujourd’hui devenu une source: environ 1’000 missionnaires sud-coréens annoncent l’Evangile dans plus de 75 pays. (apic/ea/pp)