Samia et Mathilde: mieux vaut vivre cachée quand on est une réfugiée afghane au Pakistan | © Mathilde Weibel
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Les Afghans d'Iran et du Pakistan sont renvoyés en masse

«La situation des Afghans ayant trouvé refuge en Iran ou au Pakistan s’est dégradée ces derniers mois», témoigne la Genevoise Mathilde Weibel de retour du Pakistan, et les renvois se font massifs. Depuis le début 2025, plus de 1,2 million d’Afghans installés dans ces deux pays ont dû rentrer chez eux, indique le UNHCR.

Fin mai 2025, l’Iran a annoncé que les Afghans sans-papiers devraient quitter le pays d’ici le 6 juillet, une décision qui concerne quatre millions d’Afghans sur les six millions vivant en Iran (selon les chiffres officiels de Téhéran). Depuis, plus de 640’000 Afghans sont repartis dans leur pays et plus de 366’000 ont été expulsés, parmi lesquels des réfugiés et des demandeurs d’asile. Rien que le 26 juin, quelque 36’100 Afghans ont repassé la frontière Iran-Afghanistan et 43’000 le 1er juillet! De fait, le nombre de retours quotidiens n’a cessé d’augmenter depuis le 13 juin. Ces retours massifs vont déstabiliser un peu plus encore la situation de la population en Afghanistan, s’alarme l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.

De Charybde en Scylla

«Je reviens de la frontière entre l’Iran et l’Afghanistan, où des milliers d’Afghans rentrent dans des conditions très difficiles», témoigne Arafat Jamal, représentant du HCR à Kaboul. «Ces familles afghanes sont à nouveau déracinées, arrivant avec pour seuls biens quelques maigres possessions, épuisées, affamées et effrayées par ce qui les attend dans un pays où beaucoup d’entre elles n’ont jamais mis les pieds. Les femmes et les filles sont particulièrement inquiètes, car elles craignent les restrictions à la liberté de mouvement et aux droits fondamentaux tels que l’éducation et l’emploi.»

Le dernier conflit dans la région, soit la guerre d’Israël contre l’Iran enclenchée le 13 juin 2025, ainsi que les troubles fréquents à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan aggravent encore un peu plus les tensions entre ces peuples, mettant potentiellement en danger des millions d’Afghans qui ont quitté leur pays.

Le rapport annuel Tendances mondiales du HCR, publié le 12 juin 2025, indique en effet que l’Iran est le plus grand pays d’accueil de réfugiés au monde, avec quelque 3,5 millions de réfugiés, principalement originaires d’Afghanistan. Une reprise de la guerre Israël et États-Unis contre Iran ferait plonger les populations réfugiées dans ce pays dans une nouvelle période d’incertitude et des difficultés accrues, alerte le HCR.

En Iran, les Afghans sont méprisés

Les réfugiés Afghans en Iran subissent déjà en temps «normal» de nombreuses vexations, voire maltraitances. Au début du mois de juin, avant le déclenchement de la guerre par Israël contre l’Iran, Nabi, 25 ans, un jeune apprenti à Genève, requérant d’asile afghan, expliquait à cath.ch: «C’est difficile pour moi ici, car je dois apprendre une nouvelle langue et comprendre une autre culture. Mais j’ai rencontré des gens gentils. Ce n’est pas le cas de mon père qui a trouvé refuge en Iran il y a quelques années. Là-bas, même si nous partageons la même langue, la même religion et une culture proche, c’est trop dur. Les Iraniens sont méprisants à notre égard et mauvais avec nous.»

Mathilde Weibel

Mathilde Weibel, grande connaisseuse de l’Afghanistan, confirme cette description. Traductrice du pachto et du dari (le persan afghan), la Genevoise a travaillé un an au CICR en Afghanistan, a œuvré comme interprète pour des ONG médicales actives auprès des exilés à Lesbos et Paris, et travaille toujours aujourd’hui auprès de ces populations, comme interprète à Genève.

«J’ai recueilli des récits concordant au Pakistan lors de mon dernier séjour là-bas. Je lis et visionne aussi de nombreux témoignages sur les réseaux sociaux qui évoquent les maltraitances dont sont victimes les Afghans dans ces deux pays.»

Comme sur cette page Instagram où l’internaute déclare: « La soi-disant République islamique d’Iran – quelle blague! Le traitement brutal qu’ils réservent aux Afghans n’a rien d’islamique ni même d’humain. Depuis des années, les Afghans sont traités comme des animaux, soumis à une discrimination systémique, au harcèlement et à la violence. Même ceux qui ont des papiers en règle sont détenus, accusés à tort d’espionnage et déportés de force dans des conditions humiliantes et cruelles. Le Pakistan d’abord, l’Iran maintenant, nos deux voisins n’ont fait preuve d’aucune pitié ni d’aucun respect à l’égard des Afghans en quête de sécurité et de dignité. Au lieu d’offrir un refuge, ils exploitent, harcèlent et expulsent les Afghans comme des parasites indésirables. Et pourtant, lorsque ces mêmes pays sont confrontés aux attaques d’Israël ou de l’Inde, nous sommes censés nous tenir à leurs côtés, les soutenir et les appeler frères parce que nous partageons une même oumma. Mais où est cette solidarité lorsqu’il s’agit des Afghans? Elle est oubliée, ignorée ou carrément niée.»

Sur une autre vidéo, on voit un jeune homme se faire brutaliser en raison de son origine. Un autre partage encore évoque les problèmes auxquels sont confrontés les Afghans renvoyés chez eux du jour au lendemain. On voit sur la vidéo un Afghan demander son salaire à son employeur iranien, car il va être déporté en Afghanistan, et son patron refuser. «Ce type de comportement est assez fréquent», atteste Mathilde Weibel.

Contraintes de vivre cachées au Pakistan

La situation des réfugiés afghans au Pakistan n’est guère meilleure, témoigne encore l’interprète. En janvier 2025, elle s’est rendue à Islamabad pour y retrouver plusieurs connaissances afghanes réfugiées là-bas, dont Zholia Parsi, une militante féministe, lauréate du prix Martin Ennals 2024. «Zholia sort à peine de chez elle. La police pakistanaise est déjà venue quatre fois lui rendre visite. Elle a demandé les passeports, les visas. (…) Depuis plusieurs mois, la police pakistanaise fait du porte-à-porte chez les réfugiés afghans. Elle arrête les gens sans raison, les emmène dans des camps et parfois, les reconduit à la frontière», écrivait-elle dans Le Courrier à son retour. Avec tous les dangers que cela comporte, en particulier pour les femmes.

Depuis deux ans Samia attend à Islamabad d’être relocalisée par le HCR | © Mathilde Weibel

La frontière entre les deux pays est poreuse et le Pakistan abrite de nombreux Talibans. La méfiance est donc de mise et les réfugiés vivent le plus discrètement possible. C’est le cas de Samia (prénom fictif), ‘installée’ au Pakistan depuis deux ans. Cette Afghane a travaillé dans son pays pour plusieurs ONG étrangères et a dû fuir suite à des menaces. «On lui a même tiré dessus dans la rue», dénonce la Genevoise.

Incertitude et isolement

Au Pakistan, ceux qui croyaient avoir échappé aux menaces des talibans font face à l’angoisse d’un renvoi vers la frontière. Plusieurs sources dénoncent une augmentation des arrestations sommaires de réfugiés afghans, y compris de ceux qui sont en possession de cartes d’enregistrement auprès du HCR et qui attendent d’être relocalisés dans un pays tiers.

Samia, elle-même, a un dossier validé par le HCR et une promesse de relocalisation en Italie. Mais comme des milliers d’autres Afghans dans son cas, elle ne reçoit aucun soutien financier ni social. Et elle a peur de la police, alors même qu’elle a des documents attestant de son statut légal. «Elle vit cachée là-bas et survit avec l’argent qu’elle a amené avec elle et grâce à un réseau d’aide créé en Suisse», explique Mathilde Weibel.

Samia vit donc très isolée, dans la peur constante d’une dénonciation, d’un renvoi forcé. «Je l’ai vu faire, elle raconte à chaque fois une autre histoire aux gens qui l’interrogent dans la rue ou au marché. Une fois elle est mariée, une autre fois non. Elle ne donne pas sa vraie identité et n’a pas d’amis.» Et pour cause!

«Tous ceux qui vivent à Islamabad racontent la même histoire, poursuit Mathilde Weibel. Les policiers débarquent en pleine nuit, quand les gens dorment. Ils embarquent ceux qui n’ont pas de papiers valables, mais aussi parfois ceux qui en ont. Sur WhatsApp, les Afghans du Pakistan partagent des vidéos d’arrestations prises depuis un balcon, en pleine nuit. Les images sont floues, sombres, mais on distingue bien les femmes forcées de monter dans une fourgonnette de police.» (cath.ch/lb)

Le féminisme et le christianisme, des «idéologies hérétiques»
Les attaques contre les libertés civiles des Afghans a franchi un cran supplémentaire, a indiqué le 1er juillet l’agence de presse RASC. Le ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice a annoncé l’arrestation de deux membres du personnel de Nama, une organisation culturelle et religieuse basée à Kaboul. Les détenus sont accusés de promouvoir des «idéologies hérétiques», notamment le féminisme et le christianisme.
«Le féminisme a toujours été diabolisé par les talibans, qui y voient un symbole du déclin moral de l’Occident, peut-on lire sur le site de l’agence.  Le christianisme, quant à lui, est considéré comme une menace existentielle pour l’interprétation rigide de l’islam par le régime. (…)  Les talibans, tout en projetant une image d’unité religieuse, continuent d’imposer une interprétation homogène de l’islam, sunnite et pachtoune, qui interdit de fait la diversité théologique et cible les minorités ethniques sous le couvert de la ‘cohésion nationale’.» LB

Samia et Mathilde: mieux vaut vivre cachée quand on est une réfugiée afghane au Pakistan | © Mathilde Weibel
21 juillet 2025 | 17:00
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 6  min.
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