Les théologiennes Élisabeth Parmentier (à g.) et Anne Deshusses-Raemy  | © Anne Durrer
Suisse

Les balises pour un œcuménisme renouvelé de Anne Deshusses-Raemy

Ceux qui pensent que le dialogue œcuménique est en panne ou qu’il est déjà abouti trouveront avec ce livre de quoi «faire quelques pas de plus». Présenté à Genève le 16 mai 2005 par deux théologiennes, la catholique romaine Anne Deshusses-Raemy, son auteure, et la protestante Élisabeth Parmentier, la préfacière, «Changer de regards – Balises œcuméniques» est le fruit de l’expérience de l’Atelier œcuménique de théologie.

Dans la cité du bout du lac, le dialogue œcuménique est devenu «une tradition». Et pourtant, les Genevois reviennent de loin. Cité épiscopale, puis Cité de Calvin, il faudra bien 400 ans pour que les tensions s’y apaisent et débouchent sur un dialogue entre communautés confessionnelles. Aujourd’hui, comme l’écrit Anne Deshusses-Raemy, «on rencontre dans la plupart des lieux une grande bienveillance les uns envers les autres». Et de préciser que, «sur le terrain, ce ne sont pas les institutions qui se rencontrent mais des personnes».

Les deux interlocutrices de la soirée représentent bien cette réalité. Doyenne de la Faculté de théologie protestante de Genève et professeure de théologie pratique, Élisabeth Parmentier est co-présidente du Groupe des Dombes, un mouvement œcuménique fondé avant l’heure, en 1937, par des Genevois notamment. Anne Deshusses-Raemy, pour sa part, est enseignante de l’Atelier œcuménique de théologie (AOT) depuis 2010 et en a été sa co-directrice catholique de 2014 à 2022.

Déconstruire des idées reçues

L’AOT est né en 1973, sous l’initiative du Centre protestant d’études et de la Communauté des jésuites de Genève. Plus de 2000 chrétiens ont suivi depuis l’une de ses formations théologiques* pour adultes de toute confessions – voire sans confession. Le livre Changer de regards – Balises œcuméniques (co-édité de manière ›œcuménique’ par les éditions St-Augustin et Ouverture) a été écrit par Anne Deshusses-Remy, avec l’apport et le soutien de l’équipe d’enseignantes et d’enseignants, dans la foulée des festivités des 50 ans de l’AOT.

L’enseignement théologique et biblique prodigué à l’AOT a toujours visé à «déconstruire des idées reçues», à aider «à changer de regards» sur ses propres croyances, sur la vie, le monde. Ce livre poursuit la même ambition, a expliqué son auteure lors de sa présentation au Sacré-Cœur de Genève, devant une centaine de personnes: responsables d’Églises du canton, actifs dans la sphère œcuménique genevois, enseignants et participants de l’AOT, anciens ou actuels.

Un ouvrage clair et pédagogique

Ce livre est «très pédagogique car il rappelle les réalités du terrain» ainsi que les fondamentaux qui font de nous des chrétiens, comme la figure du Christ comme boussole ou notre perception de la personne humaine, fait remarquer Élisabeth Parmentier. Un compliment d’autant plus beau pour son auteure qu’il émane d’une professeure de ›théologie pratique’.

L’ouvrage, en effet, propose pour commencer un petit retour sur l’histoire des conflits confessionnels et de l’œcuménisme à Genève, puis il dresse un état des lieux actuel des institutions impliquées dans le dialogue interconfessionnel, avec, bien sûr, un accent sur l’AOT.

De manière réaliste, Anne Deshusses-Raemy évoque ensuite quatre pierres d’achoppement du dialogue œcuménique, qui peuvent faire croire que celui-ci est en rade: la conception de l’eucharistie (catholique) ou Sainte Cène (protestante) ou divine liturgie (orthodoxe), les ministères, la place des femmes dans les Églises et enfin les questions d’éthique et de morale.

Déplacer son regard n’est pas trahir

Elle propose ensuite douze balises, en douze verbes invitant au déplacement du regard et à l’action, pour un cheminement œcuménique renouvelé, «réaliste et réalisable». Parmi elles, rechercher des «consensus différenciés».

Si catholiques, réformés et orthodoxes n’expriment pas forcément avec les mêmes mots ni avec les mêmes concepts certains points théologiques ou de foi – car ils sont issus de cultures et de traditions différentes -, ils partagent le même fondement, affirme l’auteure. Et d’appeler les Églises et communautés chrétiennes à appréhender cette richesse comme un «ferment d’unité et non comme raison ou prétexte de division». C’est d’ailleurs ce que vit l’AOT depuis 52 ans.

Anne Deshusses-Raemy cite ainsi Frère Alain Taillard, moine de l’abbaye de la Pierre-qui-vire en Bourgogne (décédé en août 2024), qui déclarait en novembre 2023, lors d’une conférence donnée pour le Jubilé de l’AOT: «L’œcuménisme commence quand nous comprenons pourquoi nous pourrions vivre dans une autre confession chrétienne et pourquoi nous restons dans la nôtre.»

«Cette orientation de formation» part de l’amour, souligne pour sa part Élisabeth Parmentier, la préfacière de l’ouvrage. «Être avec des personnes qui pensent autrement et apprendre de ces personnes, ce n’est pas trahir les siens.» «Je pense, dira-t-elle un peu plus tard dans la soirée, que les Églises de la Réforme ont appris par exemple, à travers l’Église catholique et les dialogues, à mieux valoriser la Sainte Cène.»

L’importance de la formation

«La force de ce livre est de rappeler que le changement est possible sans perdre la mémoire», approuve encore la doyenne de la Faculté de théologie de Genève. Un point essentiel, car il y a encore d’énormes blessures liées à ce qui s’est passé entre les catholiques et les protestants, font remarquer les deux théologiennes. Quand on fait de l’œcuménisme à Genève, on ne doit pas perdre de vue cette histoire, sous peine de grossières erreurs, ajoutent-elles.

«La force de ce livre est de rappeler que le changement est possible sans perdre la mémoire»
Élisabeth Parmentier

La formation, la connaissance se révèlent donc fondamentales pour avancer sur le chemin du dialogue œcuménique. «Je suis persuadée que la vraie révolution œcuménique n’est possible que par une formation de base à la théologie et à l’histoire des Églises, par l’exercice du discernement valorisant, mais aussi critique et autocritique», écrit dans la préface Élisabeth Parmentier.

Renverser les veaux d’or

Cette approche demande à chacun de «dépasser l’idolâtrie», pour revenir à la personne du Christ, souligne la théologienne catholique. La Bible, la tradition, les rites risquent de devenir des objets d’idolâtrie dès qu’on cesse de les interroger. Mais «le christianisme n’est pas une religion du livre!» s’exclame la professeure. Et de rappeler l’approche du prêtre et théologien Maurice Zundel qui a beaucoup questionné les Églises à ce sujet.

«Un véritable travail œcuménique peut se mettre en route, insiste Anne Deshusses-Raemy, si chacune de nos Églises se pose sincèrement la question de l’idolâtrie qu’elle porte à ces objets et repère sincèrement les moments où elle risque de perdre de vue que la seule autorité du christianisme est le Christ vivant.» (cath.ch/lb)

* Jusqu’à présent, ces formations se déroulaient sur deux ans, autour d’un fil conducteur. Cette formule, plutôt exigeante en temps pour les participants, a été revue. Dès septembre 2025, la formation de l’AOT pourra être suivie sous forme de modules. Une nouvelle proposition plus accessible et plus souple. Plus d’informations ici

Les théologiennes Élisabeth Parmentier (à g.) et Anne Deshusses-Raemy | © Anne Durrer
28 mai 2025 | 17:00
par Lucienne Bittar
Temps de lecture : env. 5  min.
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