Islande: Rencontre avec Oskar Thorsteinsson, ou l’espoir d’une Eglise autochtone islandaise
Les catholiques en Islande sont d’abord des immigrés
Reykjavik, 12 octobre 2009 (Apic) Il a beau porter le même nom que le footballeur Bjarni Oskar Thorsteinsson, le défenseur du club de Trottur Reykjavik, le théologien Oskar Thorsteinsson a une toute autre ambition: il veut devenir prêtre au service de la petite communauté catholique d’Islande. Dans ce pays de tradition luthérienne, l’Eglise catholique ne compte en effet qu’une dizaine de milliers de fidèles, en majorité immigrés.
Le séminariste à la chevelure blonde et à l’anglais mâtiné d’un léger accent scandinave s’est confié cet été à l’Apic à l’évêché de Reykjavik, la capitale de l’Islande, avant de retourner à Rome. Oskar Thorsteinsson a en effet commencé sa théologie cet automne dans la Ville éternelle, rejoint par un autre compatriote qui, lui, débute ses études de philosophie. Oskar – après sa philosophie au Collège suédois de Rome qui a aujourd’hui fermé ses portes – étudie désormais au Collège anglais, qui accueille en principe les étudiants destinés à la prêtrise pour l’Angleterre et le Pays de Galles.
Actuellement, l’Eglise catholique islandaise compte beaucoup sur la persévérance de ce jeune théologien issu d’une famille luthérienne de Neskaupstadur, un fjord à l’extrémité orientale de l’île. Après avoir achevé sa philosophie à Rome, il est reparti pour entreprendre des études de théologie et devenir prêtre catholique.
Apic: Oskar, vous êtes issu d’une famille luthérienne, comme un certain nombre de catholiques islandais… Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
Oskar Thorsteinsson: Mes parents sont restés luthériens. Je me suis converti quand je suis venu étudier l’histoire à l’Université de Reykjavik. Je suis devenu catholique à Landakot, la cathédrale du Christ Roi. Ma mère m’a éduqué dans l’Eglise luthérienne, où j’étais très actif. Mais quand je suis devenu adolescent, cela a changé. Certes, je croyais toujours fermement en Dieu, mais il y avait quelque chose qui manquait dans l’Eglise luthérienne.
Les prêtres semblaient faire ce dont ils avaient envie, cela manquait de structures. Je me souviens qu’un jour, à la place du sermon, le pasteur a tout simplement pris le journal, commentant je ne sais quel événement politique… Ce n’était pas satisfaisant pour moi, je voulais entendre parler de Dieu, de l’Evangile!
Apic: Qu’est-ce qui vous a attiré particulièrement dans l’Eglise catholique ?
O.T.: Comme je vivais non loin de la cathédrale catholique, j’ai décidé de venir un dimanche assister à la messe. Cela m’a fait une grande impression, en particulier la liturgie. Dans l’Eglise luthérienne, quand un pasteur est ordonné, après ses cinq années de théologie à l’Université d’Islande, il peut faire ce qu’il veut. Vous avez ce genre de culte «rock and roll», qui ne me plaît pas du tout. J’aspire à quelque chose de plus ordonné, de plus traditionnel. Et il y a aussi la présence de Jésus-Christ dans l’eucharistie, qui est très importante pour moi…
Dans l’Eglise luthérienne, l’eucharistie est très rare, notamment dans la région d’où je viens. La communion, c’était seulement lors de ma confirmation! De plus, chez les luthériens islandais, la communion est seulement célébrée pour «faire mémoire» de la dernière Cène, mais il n’y a pas cette notion de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, qui m’a attiré et qui m’a fait adhérer à la foi catholique.
Certes, au début de la Réforme, qui nous a été imposée par le roi du Danemark, il y a eu peu de changements en Islande: il n’y avait seulement plus de pape et plus de monastères, tandis que la plupart des autres choses restaient en l’état. Mais au cours du temps, cela a changé et aujourd’hui, l’Eglise luthérienne, qui est une Eglise d’Etat, est devenue très libérale et les pasteurs sont comme des fonctionnaires. Même si au moins 85% de la population en Islande appartient à l’Eglise luthérienne, l’assistance au culte est très faible. L’Eglise n’est là que pour les baptêmes, les mariages, les enterrements… Pour le reste, la très grande majorité des Islandais sont luthériens sur le papier!
Apic: Vous avez pourtant milité dans les mouvements de jeunesse de l’Eglise luthérienne !
O.T.: C’est vrai, ces mouvements étaient très populaires quand j’étais jeune, et j’en ai fait partie! Mais aujourd’hui, je ne sais pas si le mouvement auquel j’appartenais existe encore à Neskaupstadur, ma ville d’origine. Actuellement, il ne semble plus y avoir tellement d’intérêt pour ces mouvements.
De toute façon, à Neskaupstadur, je dois être le premier converti et peut-être le seul! Peut-être parce que l’Eglise luthérienne fait partie de la tradition, mais encore davantage parce que les gens aujourd’hui sont devenus indifférents, ils ne pensent pas à ces choses. Il n’y a pas de connaissance approfondie sur qui était Luther, sur ce qu’est le luthéranisme. Dans ma jeunesse, j’ai peu appris à ce sujet, mais si vous allez dans la rue demander la différence qu’il y a entre catholicisme et luthéranisme, peu de gens pourront vous répondre!.
L’intérêt qu’il y avait pour l’Eglise islandaise du temps de ma grand-mère – à cette époque on allait en masse à l’église et on lisait beaucoup la Bible – a disparu ces dernières décennies. Il n’y a plus de cours de catéchisme à l’école. Certes, on ne peut pas dire que le christianisme a disparu de la culture islandaise, mais c’est moins prégnant qu’autrefois. Aujourd’hui, la majorité des familles ne considère pas la foi comme une partie essentielle de leur vie, et beaucoup de repères ont été perdus. Selon la loi adoptée par le Parlement, un couple gay peut se marier à l’église, mais un pasteur peut accepter ou non de présider la cérémonie. L’Islande est un pays libéral, comme le reste de la Scandinavie.
Apic: Que s’est-il passé dans votre famille quand vous avez décidé de devenir catholique ?
O.T.: Mes parents n’y ont vu aucun problème, en particulier mon père, que rien ne surprend! Ma mère était un peu sceptique au début, mais tout est rapidement rentré dans l’ordre. Je n’ai ressenti à aucune occasion des sentiments négatifs autour de moi. Les gens étaient plutôt étonnés de cette décision, cherchant le pourquoi de ce choix. Je pense que c’est aussi dû à la mentalité islandaise: ici les gens pensent que l’on est libre de ses choix. Il y avait peut-être le pasteur de ma ville, qui n’était pas très heureux de ma décision, mais il l’a acceptée et on peut en discuter librement. Et l’ancien pasteur, celui avec lequel j’avais préparé ma confirmation, m’a beaucoup encouragé, car il penche vers l’Eglise catholique. Il était très content pour moi.
Vous pouvez rencontrer des anciens convertis au catholicisme, dans les années 50 ou 60; ils vous expliqueront qu’ils ont franchi le pas parce que dans l’histoire, le luthéranisme a été imposé par la force aux Islandais par le roi du Danemark. Mais en ce qui me concerne, la principale raison de devenir catholique est la présence réelle de Jésus dans l’eucharistie.
Apic: Que cela signifie-t-il pour vous de devenir dans quelques années prêtre au service de la petite communauté catholique islandaise, majoritairement composée d’immigrés ?
O.T.: Cela a une grande signification pour moi, car l’Islande semble être encore «un pays de mission». Il est difficile d’avoir des vocations sacerdotales dans ce pays, et c’est la même chose pour les ordres religieux féminins. Je pense que depuis la Réforme, nous n’avons pas eu plus d’une dizaine de prêtres islandais, dont un est devenu évêque. C’est tout. Quand le catholicisme a repris pied en Islande au XIXe siècle, les autochtones ne pouvaient devenir catholiques, sous peine de perdre leur propriété et de devoir quitter le pays.
Les premiers prêtres catholiques revenus en Islande après la période de répression et d’interdiction lors de l’imposition de la Réforme en 1550 furent au milieu du XIXème siècle les missionnaires français Jean-Baptiste Baudoin et Bernard Bernard. Ils étaient au service des pêcheurs étrangers. L’Islande a finalement reconnu la liberté de culte en 1874. Et quand les religieuses catholiques ont ouvert les premières écoles au début du XXe siècle, c’était un grand scandale quand des Islandais les fréquentaient, notamment quand il s’agissait d’enfants de la haute société, d’enfants de membres du Parlement.
Sous cet aspect, beaucoup de choses ont changé en Islande durant le XXe siècle! C’est une chance pour nous les catholiques, car aujourd’hui nous pouvons agir tout à fait librement, nous sommes acceptés, et les contacts avec les luthériens sont très bons. JB
Encadré
Depuis le retour, après l’imposition de la Réforme, de l’Eglise catholique en Islande au XIXe siècle, il n’y a eu que dix prêtres catholiques autochtones, dont un évêque. La communauté catholique n’était au début composée que d’une famille. Actuellement, sur les 18 prêtres travaillant en Islande, il n’y a que l’abbé Hjalti Thorkelsson, curé de la paroisse St-Pierre à Akureyri, qui soit islandais, et un séminariste, Oskar Thorsteinsson, qui a commencé sa théologie cet automne à Rome. Deux autres sont intéressés sérieusement, dont l’un entreprend actuellement des études de philosophie également à Rome. «Ce n’est pas si mal pour les quelque 10’000 catholiques officiellement enregistrés, dont seuls 3’000 sont Islandais», note Séra Jakob, comme on appelle en islandais le Père Jacques Rolland, chancelier du diocèse de Reykjavik. JB
Des photos de ce reportage peuvent être commandées à l’agence Apic : tél. 026 426 48 01, courriel : jacques.berset@kipa-apic.ch ou apic@kipa-apic.ch (apic/be)