Bienne: Une ville aux allures de kaléidoscope culturel et religieux

Les communautés religieuses vivent en paix … mais dans l’indifférence

Bienne, 6 mars 2013 (Apic) Deuxième ville du canton de Berne avec 54’000 habitants, Bienne a des allures de kaléidoscope culturel et religieux: la proportion d’étrangers atteint près de 30% de la population. Qu’entreprendre pour garantir la paix confessionnelle alors que plus de 140 nationalités sont représentées dans la ville? Si la municipalité affirme que les communautés religieuses vivent en paix et en bonne harmonie, plusieurs acteurs de la scène religieuse et associative sont d’avis qu’elles «évoluent les unes à côté des autres».

Interrogée par l’Apic, la Municipalité souligne qu’il incombe d’abord aux différentes communautés de maintenir le dialogue interreligieux sous leur propre responsabilité, sans intervention publique. «La Suisse vit sous le régime de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il n’est donc pas forcément du ressort du pouvoir public de gérer le dialogue interreligieux ou d’assumer un rôle de médiateur quand des tensions éclatent entre communautés», indiquent la mairie et la Direction de la formation, de la culture et du sport.

Si elle admet que des cas d’incompatibilité de programmes scolaires et de conceptions religieuses apparaissent dans les écoles, la Ville de Bienne affirme qu’il règne «un climat de liberté d’expression et de croyance» et que «les communautés religieuses vivent côte à côte en paix et en bonne harmonie». Elle cite en exemple la mise en place d’un carré musulman dans un cimetière «sans conflit politique majeur».

Quant à la réputation de nid du fondamentalisme musulman, due notamment à la présence de Nicolas Blancho, le fondateur du très controversé Conseil central islamique suisse, la Municipalité rappelle la présence de différentes communautés musulmanes en ville. Elle nie toute trace de radicalisation dans les mosquées et souligne que Nicolas Blancho n’est, à sa connaissance, plus actif dans la commune.

La Municipalité craint de mettre les pieds dans un guêpier

Responsable de la Table ronde des religions, une plate-forme fondée en 2002 sous l’égide de l’Eglise réformée pour favoriser la culture du dialogue entre les différentes confessions de la capitale seelandaise (protestants, catholiques romains, catholiques chrétiens, musulmans, juifs, mormons, bouddhistes, hindouistes et baha’is), Liliane Lanève-Gujer regrette la frilosité de la Municipalité: «Elle craint de mettre les pieds dans un guêpier, elle peine à s’engager. Le religieux, il est vrai, demeure un territoire sensible où les préjugés sont légion. Et la réputation, injustifiée, de Bienne comme forteresse de l’islam radical n’arrange rien dans une cité qui compte près de 6% de musulmans.»

Cette analyse trouve un écho auprès de Nassouh Toutoungi, curé de la paroisse catholique chrétienne de Bienne depuis septembre 2011: «Nous subissons le contrecoup des attentats de New York: l’amalgame entre musulmans et terroristes marque toujours les esprits, la conviction que l’islam n’est pas soluble dans la démocratie, dans la civilisation occidentale continue d’imprégner les mentalités collectives. On peut dès lors comprendre que la Municipalité soit sur la retenue, qu’elle ait peur de se brûler les ailes.»

Co-directrice de Multimondo, un centre interculturel de rencontre, de formation et de consultation créé à Bienne en 1998 et très actif dans la lutte contre le racisme, Anne Aufranc constate un climat de tension autour de la problématique de la migration. Et d’estimer que «le Conseil municipal devrait jouer un rôle plus actif afin d’assurer une coexistence pacifique entre communautés religieuses.»

Désintérêt de la société biennoise pour la religion

Pasteur de la paroisse réformée de Bienne depuis 1987, Jean-Eric Bertholet dresse, lui, un constat plus sociologique: «La société biennoise, à commencer par l’exécutif communal et son laïcisme assumé, est assez peu portée sur la religion. Je parlerais même de désintérêt, voire d’indifférence.» «On pourrait dire que la philosophie de Bienne, c’est vivre et laisser vivre. Les différentes communautés évoluent les unes à côté des autres, plutôt sur un mode de cloisonnement, d’éclatement, d’individualisme, parfois presque en vase clos. Elles marchent les unes à côté des autres en s’ignorant les unes les autres», analyse-t-il.

En dépit de ce morcellement, les relations entre Eglises chrétiennes ne connaissent pas d’accroc majeur: la capitale seelandaise fourmille de célébrations œcuméniques sous la forme de prières, de rencontres, de méditations, qui trouvent leur apogée dans la Semaine de l’unité, organisée chaque année en janvier. «Les liens entre confessions chrétiennes sont amicales», résume Elsbeth Caspar, responsable de la formation au sein de la paroisse catholique-romaine de Bienne. «Nous nous réunissons régulièrement pour prendre la température, échanger des informations, mettre sur pied des colloques œcuméniques où sont abordés des thèmes tels que l’harmonisation entre vie privée et professionnelle», complète Nassouh Toutoungi.

Les communautés musulmanes semblent fuir l’espace public

En revanche, les échanges interreligieux trébuchent sur les rapports avec l’islam. Echaudées par les articles de presse mettant l’accent sur la présence d’extrémistes islamistes dans la métropole horlogère, en butte aux divisions, peu organisées, dépourvues de véritables porte-parole, les communautés musulmanes semblent fuir l’espace public. Contactés par mail ou par téléphone, les associations et centres islamiques de Bienne préfèrent ne pas s’exprimer. «Des problèmes de langues, des barrières ethniques caractérisent les différentes communautés musulmanes», confirme la médiatrice culturelle Naïma Serroukh, qui est aussi membre de la commission d’intégration de la Ville de Bienne.

Hormis les relations informelles ou les manifestations culturelles ponctuelles (chants d’Orient et d’Occident dans le cadre de la Semaine des religions, expositions collectives d’artistes musulmans, juifs et chrétiens, visites de mosquées dans le cadre de la catéchèse), le dialogue entre chrétiens et musulmans est en panne. «On chercherait en vain avec qui engager le dialogue», explique, un brin dépité, Nassouh Toutoungi. Kurt Zaugg, président de l’Alliance évangélique de Bienne et environs, brosse un tableau encore plus sombre: «Il existe entre chrétiens et musulmans un mur spirituel, qui ne peut être brisé que spirituellement. L’image du rideau de fer me vient spontanément à l’esprit …  » (apic/eda/bb)

Encadré:

Les écoles, principal lieu d’intégration

Si la Ville de Bienne soutient divers projets et manifestations comme l’association «Parcours culturel», qui promeut le dialogue, le respect et la mise en réseau entre les communautés culturelles et linguistiques, l’école reste toutefois le principal lieu d’intégration, selon la Municipalité. Les établissements scolaires biennois s’inspirent des lignes directrices de la Direction de l’instruction publique du canton de Berne, qui a édité en 2009 le guide «Traditions et symboles culturels et religieux: quelle attitude adopter?»

Le contact et l’échange entre communautés religieuses était également favorisé par la création d’un poste de chargé de l’intégration, occupé jusqu’en août 2012 par Bettina Bergner (les autorités assurent qu’il sera très prochainement repourvu). Les Eglises réformée et catholique romaine, ainsi que différentes cultures sont représentées par leurs délégués dans la commission de l’intégration.

Encadré:

Les catholiques sont devenus les plus nombreux

Le paysage religieux de la région biennoise est désormais dominé par la paroisse catholique romaine (laquelle compte quelque 22’000 membres, dont une forte proportion de migrants est-européens, africains et asiatiques. Les orthodoxes sont au nombre de 600, les catholiques chrétiens 350 environ.

La paroisse réformée de Bienne affiche, elle, 19’000 membres, alors que les Eglises évangéliques revendiquent près de 4’000 fidèles. La communauté juive de Bienne, en constant recul, ne compte qu’une soixantaine de personnes.

Bienne se distingue par une forte représentation de l’islam sunnite, avec des communautés très éclatées issues des Balkans, du Maghreb, de Turquie, du Proche-Orient et du Pakistan. La ville compte huit mosquées et moult associations culturelles islamiques. Selon les dernières statistiques communales, encore provisoires, 3’200 musulmans (6% de la population) vivent dans la cité horlogère.

Bienne abrite également des représentants du bouddhisme, de l’hindouisme et du bahaïsme. Leur nombre demeure difficile à évaluer, tant est si bien qu’ils n’apparaissent pas dans les statistiques. (apic/eda/bb)

6 mars 2013 | 10:19
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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