L'évêque des Monts Nouba, au Soudan, se fait porte-parole d'un peuple menacé d'un lent génocide
Les Noubas résistent farouchement à une arabisation et à une islamisation imposées
Fribourg/Yida, 8 septembre 2014 (Apic) «Je suis leur voix, s’ils me perdent, qui va les défendre ?» Surnommé «l’évêque des rebelles», Mgr Macram Max Gassis, ancien évêque d’El Obeid, au Soudan, est l’apôtre des Monts Nouba. Dans cette région montagneuse du Kordofan du Sud, les peuplades noires des Noubas résistent à l’arabisation et à l’islamisation que tente d’imposer le régime de Khartoum. Assiégée et bombardée par les Antonov ou les Sukhoï de l’armée de l’air soudanaise, la région est totalement isolée, les voies de communication terrestres sont coupées, les gens souffrent de la faim, confie l’évêque soudanais à l’Apic.
«Le peuple des Noubas est menacé d’un génocide», lance Mgr Macram Max Gassis, qui fut évêque d’El Obeid de mars 1988 à octobre 2013. De passage en Suisse à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED) basée à Lucerne (*), l’»évêque des Monts Nouba» a apporté son témoignage fin août dans les paroisses de Suisse alémanique.
75’000 Noubas réfugiés au Soudan du Sud
Sous les bombardements, les populations des Monts Nouba fuient vers Ie Soudan du Sud, pour se réfugier dans l’Etat de l’Unité, à quelques kilomètres de la frontière. Situé dans les zones humides, à proximité du corridor de Jau, une région fortement militarisée, le camp de réfugiés d’Yida accueille déjà plus de 75’000 réfugiés.
«Dans les Monts Nouba, nous vivons dans une situation de guerre. Le régime du président Omar el-Béchir, à Khartoum, veut s’emparer de cette région où vit une population noire de 250’000 habitants – musulmans et chrétiens -, que le Nord considère comme des citoyens de deuxième classe», relève Mgr Macram Max Gassis, qui n’hésite pas à parler de tentative de «purification ethnique». Heureusement, note le missionnaire combonien, que les Noubas ont des armes pour se défendre et empêcher l’armée de pénétrer au cœur des montagnes. «Les gens se cachent dans les cavernes au flanc des montagnes, car les bombardements touchent les populations civiles».
Hôpital bombardé
Les 1er et 2 mai, Khartoum a lancé cinq bombes sur l’hôpital Mother of Mercy, à Gidel, faisant deux blessés et des dégâts matériels. L’établissement, le seul de ce type dans cette région, est soutenu par le Secours Catholique et Caritas Irlande (Trocaire). «C’était une attaque préméditée, parce qu’il y avait eu plusieurs vols de drones les jours précédents. Bombarder un hôpital, c’est un crime contre l’humanité!», lance l’évêque des Monts Nouba, actuellement en visite en Europe. Son travail d’entraide et de dénonciation le mène à travers le monde, où il témoigne de la réalité de cette région martyrisée qui résiste depuis des années aux incursions de l’armée de Khartoum.
L’évêque a ses bureaux à Nairobi, au Kenya, mais passe beaucoup du temps entre les Monts Nouba et le camp d’Yida. «Je m’occupe toujours des projets dans les Monts Nouba, pour éviter que tout ce qui a été mis en place ne s’effondre, car mon successeur sur le siège d’El-Obeid, Mgr Michael Didi Adgum Mangoria, n’a pas d’accès aux territoires contrôlés par les hommes de l’Armée de libération du peuple soudanais–Nord (SPLA-N)».
«S’il parvenait dans les Monts Nouba, il serait interrogé par les autorités du régime islamique de Khartoum à son retour à El-Obeid, qui lui demanderaient pourquoi il s’est rendu en territoire rebelle».
L’évêque émérite a besoin d’un million de dollars annuellement
Pour son travail avec ces populations encerclées, l’évêque émérite a besoin bon an mal an de près d’un million de dollars, raison pour laquelle il fait le tour des donateurs dans le monde. Ses soutiens viennent d’Allemagne (Missio, Misereor et Kindermissionswerk à Aix-la-Chapelle, Aide à l’Eglise en Détresse à Königstein), du Royaume-Uni (CAFOD), de Caritas, du Catholic Relief Service (Etats-Unis), etc. «Un seul vol depuis Loki, à la frontière kényane, à Yida me coûte 22’000 dollars pour 5 tonnes de fret… Puis, pour acheminer la marchandise dans les Monts Nouba, c’est encore 8 à 9 heures, avec des camionnettes, sur de dangereuses routes de montagne!»
«Nous avons besoin d’une infrastructure au Kenya, pour organiser l’achat des fournitures scolaires pour nos écoles – 5 écoles primaires et une école secondaire, pour un millier d’élèves -, des médicaments pour l’hôpital, de la nourriture… » Et l’évêque de souligner que l’école se donne en anglais, et pas en arabe comme dans le reste du Soudan. «On utilise le curriculum scolaire du Kenya mélangé avec celui de l’Ouganda. Nos examens sont corrigés au Kenya, pays qui nous envoie des surveillants lors des épreuves. D’ailleurs, 99% de nos enseignants sont des Kenyans. Les diplômes sont reconnus par le ministère de l’Education du Kenya, ce qui nous ouvre les portes pour toutes les Universités de l’Afrique de l’Est».
Des enseignants venus du Kenya
L’évêque et ses collaborateurs recrutent le corps enseignant à Nairobi. «Nous avons une cinquantaine d’enseignants kenyans. Ils viennent par avion de Loki à Yida, et de là, ils vont en voiture. Nous devons assurer leur salaire. Nous avons également au Soudan du Sud deux écoles primaires dans le district de Twic et une école secondaire à Turali. Une école normale pour former le corps enseignant sur place est en construction».
Dans les Montagnes, Mgr Macram Max Gassis organise également le creusage de puits – déjà 240 ont été terminés -, car l’eau potable est loin d’être accessible à tout le monde. L’évêque dispose actuellement de trois foreuses, dont l’une a été fournie par l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID). «J’ai besoin d’argent pour payer les techniciens, l’essence, le ciment pour les puits, les tubes, les filtres et les pompes… Rien ne peut venir de Khartoum, alors il faut tout amener par avion du Kenya!»
Pour cet évêque militant, l’Eglise est celle des gens concrets, l’Eglise du peuple souffrant. Et si elle doit mener son travail pastoral, former des catéchistes, construire des églises, elle doit aussi prendre en compte les besoins de base des gens. «C’est pourquoi j’alerte sans relâche la communauté internationale sur la situation tragique de cette population».
Encadré
Si les Monts Nouba ne souffrent pas directement de «cette maudite maladie du tribalisme» qui déchire le Soudan du Sud, car les Noubas sont du même groupe ethnique, il n’en est pas de même au Sud. La République du Soudan du Sud, qui a obtenu son indépendance le 9 juillet 2011, est déchirée par un conflit sanglant depuis la fin de l’an dernier.
Plusieurs milliers, peut-être des dizaines de milliers de Soudanais du Sud sont morts dans les combats ou ont été massacrés par la soldatesque, tandis que les réfugiés à l’extérieur se comptent par centaines de milliers et les déplacés internes dépassent le million.
«C’est une situation tragique, note Mgr Macram Max Gassis. Mais le problème n’est pas difficile à comprendre. L’ancien vice-président sud-soudanais Riek Machar – qui a fait dissidence après avoir été limogé et dont ses partisans affrontent l’armée sud-soudanaise du président Salva Kiir depuis la mi-décembre – avait déjà trahi dans les années 1990 le chef historique de la SPLA John Garang. Il avait fait défection et créé un groupe rival avant de se rallier secrètement à Khartoum et de combattre la SPLA pour le compte de Khartoum, qui lui livrait des armes. Il s’est finalement réconcilié avec la SPLA et il occupait le poste de vice-président jusqu’à son limogeage en juillet 2013, avec d’autres ministres corrompus. Mais il voulait le pouvoir à tout prix. Après une tentative de coup d’Etat, il s’est enfui de la capitale, Juba, avec ses partisans, et a pris une nouvelle fois les armes. «Cette affaire politique est devenue rapidement un affrontement tribal sanglant entre son ethnie, les Nouers, et l’ethnie du président Salva Kiir, les Dinkas. Dieu merci, conclut Mgr Macram Max Gassis, je ne suis pas d’une tribu!» (apic/be)
Encadré
El Obeid, dont Mgr Macram Max Gassis était l’évêque – et qu’il dirigeait le plus souvent de son bureau de Nairobi, au Kenya (exil oblige !) -, est un immense diocèse de près de 889’000 km2, soit environ 21 fois plus grand que la Suisse. Ce diocèse de près de 10 millions d’habitants est le plus grand du Soudan. Plus de la moitié des habitants du diocèse sont musulmans, le reste est divisé entre catholiques (près de 100’000), protestants et fidèles des religions africaines traditionnelles. El Obeid regroupe le Nord-Kordofan, le Darfour et les Monts Nouba.
Dans les Monts Nouba – que la guerre a séparés du reste du pays – la population a ses propres priorités et ne veut pas appartenir au Soudan islamiste. Dans cette région les écoles utilisent l’anglais, la zone gouvernementale utilisant l’arabe. La partition existe «de facto», mais Khartoum aimerait y mettre fin par tous les moyens. Durant la guerre, Khartoum avait essayé de tout arabiser, imposant tous les signes extérieurs en arabe, même à Juba (ou Djouba), l’actuelle capitale de la République du Sud Soudan. Dans le nouvel Etat, l’anglais est devenu la langue de l’instruction publique.
Agé de 76 ans, originaire de Khartoum, Mgr Macram Max Gassis appartient à la congrégation des missionnaires comboniens du Coeur de Jésus (MCCI). Mgr Macram Max Gassis, originaire de Khartoum, avait quitté El Obeid en 1990 pour se soigner en Europe et aux Etats-Unis d’un cancer du canal biliaire. Alors qu’il voulait rentrer dans son diocèse, il fut averti qu’il allait être arrêté pour avoir témoigné des atrocités du régime islamiste de Khartoum – les massacres, l’esclavage, les viols, les persécutions – devant le Congrès des Etats-Unis. Il décida ainsi de ne pas rentrer dans la zone gouvernementale.
Des photos de Mgr Macram Max Gassis et des Monts Nouba peuvent être commandées à l’agence apic Courriel: jberset@kipa-apic.ch ou tél. 026 426 48 01 (apic/be)