Le nouveau pape Léon XIV apparaît à la loggia de la basilique Saint-Pierre |  © Vatican Media
Dossier

Les papes au balcon

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Depuis l’invention du cinéma, les images de la première apparition du nouveau pape à la loggia de la basilique Saint-Pierre sont devenues iconiques. Les exégètes de tous poils glosent sans fin sur leur signification pour le pontificat qui s’ouvre. Décryptage avec les derniers papes.

La plupart retiennent des impressions, des tenues ou des gestes, cherchant à détecter dans le moindre signe les orientations du pontificat qui s’ouvre. De fait, à revoir les images et à relire le texte de ces petits discours, on constate que les continuités sont beaucoup plus nettes que les ruptures. Ces messages qui apparaissent spontanés sont en fait assez codifiés. Le propos de Léon XIV, le 8 mai 2025 est nettement le plus construit, le plus spirituel et le plus intellectuel. Il est le seul pape qui a parlé avec des notes en main.

Jean Paul II fait le show

La salutation est le premier élément.

Jean Paul 1er, élu le 26 août 1978, salue la foule uniquement par quelques gestes de la main et par son sourire qui lui vaudra son surnom de ‘pape au sourire’, avant de chanter directement d’une voix très émue, la formule en latin de la bénédiction Urbi et Orbi, puis de se retirer.

Moins de deux mois plus tard, Jean Paul II ‘fait le show’, le 16 octobre 1978. Karol Wojtyla sait galvaniser la foule à grands coups de bras et s’appuyant sur le rebord du balcon pour se pencher vers les fidèles. ‘Sia laudato Gesus Cristo’ (Loué soit Jésus-Christ en italien), puis ‘Carissimi fratelli et sorelle’ (très chers frères et sœurs) seront ses premier mots de sa belle voix d’acteur.

Jean Paul II galvanise la foule lors de son élection | capture d’écran Vatican Media

Plus de 25 ans plus tard, le 19 avril 2005, Benoît XVI, se fait beaucoup plus sobre dans son expression. Il salue certes la foule des deux bras mais se contente d’un «chers frères et soeurs».

«Buona sera!«

François, qui apparaît sur le balcon de la basilique le 19 mars 2013, en soutane blanche, sans le camail rouge porté par ses prédécesseurs, salue assez timidement d’une seule main, la foule et se tient un peu en retrait. Sa salutation tranche,il dit simplement: ‘Buona Sera’ (bonsoir) puis en terminant son discours par: ‘Bonne nuit et bon repos !’

Le 8 mai 2025, Léon XIV est le premier à utiliser la salutation liturgique propre aux évêques: «La paix soit avec vous! (…) À toutes les personnes, où qu’elles soient, à tous les peuples, à toute la terre: la paix soit avec vous.» 

Hommage au prédécesseur

L’hommage au prédécesseur est naturellement le deuxième élément du discours. Alors que Jean Paul Ier n’a régné que 33 jours, Jean Paul II explique sans s’attarder: «Nous sommes encore tous attristés depuis la mort du très aimé pape Jean Paul Ier.»

François rend hommage aussi à son prédécesseur démissionnaire: «Et tout d’abord, je voudrais prier pour notre évêque émérite, Benoît XVI. Prions tous ensemble pour lui afin que le Seigneur le bénisse et la Vierge le protège.»

Benoît XVI était le successeur naturel de Jean Paul II | capture Vatican News

Léon XIV livre un hommage plus appuyé dans une formule plus chaleureuse et plus personnelle: «Nous gardons encore à l’oreille la voix faible mais toujours courageuse du pape François qui bénissait Rome, qui donnait sa bénédiction au monde entier, au matin du jour du Pâques. Permettez-moi de faire suite à cette bénédiction. Dieu nous aime, Dieu vous aime tous, et le mal ne l’emportera pas. Nous sommes tous dans les mains de Dieu.»

Évêque de Rome ou successeur de Pierre?

Le troisième élément développe le choix des cardinaux électeurs.

En tant que premier pape non italien depuis plusieurs siècles, Jean Paul II évoque ses origines: «Les éminentissimes cardinaux ont appelé un nouvel évêque de Rome. Un pape appelé d’un pays lointain. Lointain mais toujours quasi proche par la communion et la tradition chrétienne.»

Benoît XVI, toujours très sobre et précis dans son expression, combine les deux premiers éléments : «Après le grand pape Jean Paul II, Messieurs les cardinaux m’ont élu moi, un simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur.» 

François reprend la définition d’évêque de Rome, dans des termes très similaires de ceux de Jean Paul II 35 ans plus tôt: «Vous savez que la tâche du conclave était de donner un évêque à Rome. Il semble bien que mes frères cardinaux soient allés le chercher quasiment au bout du monde… Mais nous sommes là… Je vous remercie pour votre accueil. La communauté diocésaine de Rome a son évêque: merci !»

En contraste, Léon XIV met en avant son rôle de ‘successeur de Pierre’: ›Je veux remercier aussi tous les confrères cardinaux qui m’ont choisi pour être successeur de Pierre et marcher avec vous comme Église unie, cherchant toujours la paix, la justice, cherchant toujours à travailler comme hommes et femmes fidèles à Jésus-Christ, sans peur, pour proclamer l’Évangile, pour être missionnaires.» Une phrase aux accents très ‘bergogliens’.

«J’ai eu peur!«

Tous les papes insistent ensuite sur la peur qui les a saisis au moment de l’élection.

Jean Paul Ier apparaît à la loggia de la basilique Saint-Pierre le 26 août 1978 | capture d’écran CTV

Jean Paul Ier s’en explique ouvertement lors de l’angélus du dimanche suivant son élection. Albino Luciani est le premier pape à parler à la première personne, récusant le ‘nous’ de majesté qui prévalait jusqu’alors: «Hier matin je me suis rendu à la Sixtine pour voter tranquillement. Jamais je n’aurai soupçonné ce qui allait arriver. À peine le danger s’est-il annoncé pour moi, que les deux collègues, mes voisins, m’ont murmuré des paroles de réconfort. L’un d’eux m’a dit: ‘Courage ! Si le Seigneur charge d’un poids, il donne aussi l’aide pour le porter’. L’autre a poursuivi : ‘N’ayez pas peur, dans le monde entier, il y a tant de personnes qui prient pour le nouveau pape’. Le moment venu, j’ai accepté.» Trente-trois jours plus tard, le monde constatait avec effroi que le poids était effectivement trop lourd pour lui.

Jean Paul II, pour sa part en appelle à l’obéissance : «J’ai eu peur en recevant cette nomination, mais je l’ai fait en esprit d’obéissance à Notre Seigneur Jésus Christ et de confiance totale en sa mère, la Très Sainte Vierge.»  

«Priez pour moi«

Benoît XVI insiste davantage sur l’humilité: «Le fait que le Seigneur sache travailler et agir également avec des instruments insuffisants me console et surtout, je me remets à vos prières, dans la joie du Christ ressuscité, confiant en Son aide constante.»

Si Benoît XVI demande déjà que l’on prie pour lui, François se distingue par son geste de s’incliner pour demander la bénédiction de la foule: «Et maintenant je voudrais donner la bénédiction, mais auparavant, je vous demande une faveur: avant que l’évêque bénisse le peuple, je vous demande de prier le Seigneur afin qu’Il me bénisse: la prière du peuple, demandant la bénédiction pour son évêque. Faisons cette prière en silence de vous tous sur moi.»

En 2013, le pape François s’incline pour demander la bénédiction de la foule | capture d’écran Vatican Media

La prière de Léon XIV est collective: «Je voudrais prier avec vous, prions ensemble pour cette nouvelle mission, pour toute l’Église, pour la paix dans le monde. Et demandons cette grâce spéciale de Marie, notre mère.»

Un mot personnel

Souvent le pontife ajoute alors quelques mots plus personnels.

«Je ne sais si je peux bien m’expliquer dans votre… dans notre langue italienne. Si je me trompe, vous me corrigerez», ajoute, le Polonais Karol Wojtyla, écornant effectivement l’italien au passage.

L’intervention de François prend un cours plus programmatique: «Et maintenant, initions ce chemin: l’évêque et le peuple. Ce chemin de l’Église de Rome, qui est celle qui préside toutes les Églises dans la charité. Un chemin de fraternité, d’amour, de confiance entre nous. Prions toujours pour nous: l’un pour l’autre. Prions pour le monde entier afin qu’advienne une grande fraternité.»

Fils de saint Augustin

Léon XIV évoque ici sa famille religieuse: «Je suis un fils de saint Augustin – un augustinien – qui a dit: ‘Avec vous je suis chrétien, et pour vous évêque’. En ce sens, nous pouvons tous marcher ensemble vers cette patrie que Dieu nous a préparée.»

Léon XIV est le seul aussi à évoquer un de ses anciens ministères (en espagnol): «Et si vous me le permettez, aussi une parole, un salut à tous et d’une façon particulière à mon cher diocèse de Chiclayo au Pérou, où un peuple fier a accompagné son évêque, a partagé sa foi, et a donné tellement, tellement, pour rester une Église fidèle à Jésus-Christ.» Au risque de vexer les catholiques américains, il ne dit rien en anglais, sa langue maternelle.

Bénédiction Urbi et Orbi en latin

La bénédiction Urbi et Orbi est toujours prononcée ou chanté selon la formule liturgique en latin. François ne revêt qu’à ce moment là ‘l’étole des papes’ ornée des figures des deux piliers de l’église saints Pierre et Paul.

La première apparition des papes qui ne dure que quelques minutes s’achève sur une brève conclusion où l’intercession de la Vierge Marie est toujours évoquée: «Et voilà, je me présente à vous tous, pour confesser notre foi commune, notre espérance, notre confiance en la Mère du Christ et de l’Église, et aussi pour recommencer de nouveau sur cette route de l’histoire et de l’Église, avec l’aide de Dieu, et avec l’aide des hommes», conclut Jean Paul II.

«Nous allons de l’avant, le Seigneur nous aidera et Marie, Sa Très Sainte Mère, est de notre côté dit Benoît XVI avant de conclure par un simple ‘Merci’.

Après avoir fait réciter le Notre Père, le Je Vous Salue Marie et le Gloire au Père, (et il est le seul à le faire) François conclut par: «Priez pour moi et à bientôt! Nous nous reverrons rapidement: demain je veux aller prier la Vierge pour qu’Elle protège Rome tout entière.»

Toujours dans la suite directe du pape François, Léon XIV récite un Ave Maria avec la foule. «Aujourd’hui, au jour de la Supplique à la Vierge de Pompéi, notre mère Marie veut toujours marcher avec nous, être proche de nous, nous aider par son intercession et son amour. Je voudrais prier avec vous, prions ensemble pour cette nouvelle mission, pour toute l’Église, pour la paix dans le monde.» Léon XIV reprend aussi le ‘avanti’ de Benoît XVI: «C’est pourquoi, sans peur, unis, main dans la main avec Dieu et entre nous, allons de l’avant.» (cath.ch/mp)

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