Fribourg: Le théologien québécois Gilles Routhier croit à l’avenir des paroisses

Les paroisses ne sont pas mortes, elles se métamorphosent

Fribourg, 7 mars 2012 (Apic) D’aucuns, dans les années 1960 déjà, prophétisaient la fin de la paroisse. La plupart d’entre eux sont morts aujourd’hui, alors que la paroisse résiste encore… Gilles Routhier, professeur à l’Université Laval, à Québec, a passionné son public en évoquant, le 6 mars 2012 à l’Université de Fribourg, la métamorphose du paysage paroissial au Québec, où l’Eglise connaît un «grand dérangement» depuis une soixantaine d’années.

Souvent justifiés par le manque de prêtres et les problèmes financiers, les regroupements de paroisses ont brisé le modèle établi (une paroisse, un curé, une équipe pastorale) et entraîné une foule de conséquences pastorales et administratives. Vice-doyen de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, Gilles Routhier, l’un des meilleurs théologiens de la pastorale en francophonie, a esquissé mardi soir l’avenir des paroisses et des ministères à l’époque post-moderne. Tout en sa gardant de «jouer au prophète».

Le prêtre catholique québécois bien connu en Romandie, qui avait répondu à l’invitation de la chaire de théologie pastorale, a d’emblé confirmé la mort de ce qu’il nomme la «civilisation paroissiale», qui avait pris racine au XIIe siècle déjà. Ce modèle reposait sur des «sociabilités courtes» et de proximité (familiales ou de voisinage), une grande stabilité des populations et une grande homogénéité confessionnelle. Il se caractérisait également par une relation étroite et durable entre le curé et ses fidèles, sur un territoire donné.

#La paroisse traditionnelle est chamboulée

Cette figure de la paroisse, qui avait déjà connu plusieurs assauts depuis le XIXe siècle, était étroitement liée à une société donnée, dans laquelle le christianisme s’était particulièrement bien inculturé. Mais ce type de civilisation paroissiale est dépassé et il ne peut plus se perpétuer dans la situation actuelle, avance le professeur Routhier.

L’érosion des pratiques religieuses et l’effondrement graduel des institutions qui les encadraient sont le produit des changements en Occident durant ces derniers siècles. «On est toujours croyant dans un environnement socioculturel donné, on ne peut faire l’impasse sur cet environnement». Pour penser la paroisse aujourd’hui, ajoute-t-il, il est nécessaire que l’on s’intéresse de près à l’espace vécu et au «temps social» des contemporains.

#Réinventer la paroisse dans un nouveau contexte socioculturel

Ce n’est qu’ensuite qu’il faut procéder à l’examen des facteurs internes à l’Eglise, en particulier la question des ministères, notamment celui de curé. Il faut, à ses yeux, renverser la perspective: en «réinventant» la paroisse dans son nouveau contexte, on ne procède pas à un simple ajustement organisationnel en fonction de ressources financières déficientes ou de prêtres qui viendraient à manquer. «Même si le nombre de prêtres était suffisant, on n’aurait pas résolu le problème de la paroisse traditionnelle, déstructurée par les changements de la société. Vouloir la prolonger ne peut servir l’Evangile dans la situation présente».

Pour lui, la paroisse est un organisme vivant, suffisamment «plastique» et modelable pour s’ajuster à d’autres environnements et opérer la mutation nécessaire à sa survie. Gilles Routier relève que l’économie contemporaine a défait les liens sociaux, les liens familiaux et les liens de voisinage. Même si l’on a dit que l’on vivait désormais dans un «village global», à l’heure de la mondialisation, «ce village n’est précisément plus un village».

L’économie moderne a modifié de manière radicale le rapport au temps et a introduit de nouveaux rythmes qui ne sont plus liés à la nature et à ses cycles, tandis que les moyens de transport et les moyens de communication, à l’heure d’internet, ont profondément modifié les espaces vécus.

#Le défi de «réinventer» la paroisse

Parlant du Concile ouvert il y a 50 ans, le professeur québécois souligne que, contrairement au Concile de Trente, où les propositions tridentines avaient façonné la civilisation paroissiale, les documents de Vatican offrent peu de ressources pour penser la «réinvention» de la paroisse. Vatican II ne présente pas de développement systématique sur la paroisse. Il plaide toutefois pour davantage de collaborations interparoissiales et supraparoissiales, tout en continuant à s’appuyer sur l’institution paroissiale.

«En somme, Vatican II prend conscience de l’émergence de nouveaux espaces humains, de nouveaux mondes vécus». La paroisse ne doit plus être autarcique, mais vivre en interdépendance avec d’autres formes de regroupements. Il s’agit de mettre en place de nouveaux cadres pastoraux, complémentaires à la paroisse. Vatican II n’aborde plus simplement la question de la paroisse à partir du ministère du curé, prenant conscience de l’émergence de nouveaux espaces humains. «L’un et l’autre dépassent et débordent la paroisse et introduisent un dépassement de la civilisation paroissiale».

#Un «rendez-vous manqué»

Gilles Routhier regrette que les intuitions «encore hésitantes et insuffisamment formalisées de Vatican II» n’aient pas connu de développements importants à la suite du Concile. «De plus, le nouveau Code de droit canonique de 1983 ne les a pas retenues… Les termes ’supraparoissial’ ou ’interparoissial’ utilisés par Vatican II ne se retrouvent pas dans le Codex». Malgré l’ouverture du Concile à ces dimensions, il doit constater que les évolutions postconciliaires n’ont pas favorisé le développement de ces nouveaux «ensembles paroissiaux», qualifiant cette absence de développement de «rendez-vous manqué».

Ainsi, poursuit-il, la pastorale s’est de plus en plus repliée sur des fonctions sédentaires, les «nouveaux ministères» confiés à des laïcs s’approchant davantage de ministères de substitution en mesure d’assumer les tâches autrefois assurées par les curés, que de ministères ouvrant de nouveaux champs pastoraux à caractère plus missionnaire.

#Eviter de regrouper les paroisses de façon technocratique

S’il plaide pour le regroupement des paroisses, il faut éviter que cela soit mené de manière technocratique et que la nouvelle paroisse ne représente qu’une fiction juridique pour faciliter, au plan administratif, la desserte de plusieurs anciennes paroisses par un même prêtre. «On n’aura rien résolu si un tel regroupement ne procède que d’une étude statistique sur le nombre de prêtres disponibles, le nombre de fidèles ou les ressources financières disponibles. Cela précipiterait l’implosion des paroisses, mêmes de celles qui avaient encore du tonus. Au lieu de favoriser la relance de l’action pastorale dans un milieu donné, elle signera son arrêt de mort».

Le prêtre québécois pense qu’il faut s’appuyer, pour permettre le dépassement d’une figure de la paroisse qui a fait son temps, sur les énergies ecclésiales de chaque milieu, afin de permettre l’émergence de nouveaux espaces humains plus ajustés aux différents liens sociaux. «Il faut le faire en offrant un accompagnement rapproché des communautés, en tenant compte des réalités locales, et en permettant petit à petit le dépassement des frontières paroissiales par le développement, dans le respect des particularités locales, d’une action pastorale et de ministères au caractère interparoissial et supraparoissial».

Il regrette toutefois que la direction que semble prendre actuellement la réflexion, aussi bien dans les diocèses qu’au niveau romain, soit toute autre. «Quarante ans après Vatican II, la notion de pastorale d’ensemble est désormais totalement absente de l’horizon… A ne penser qu’à partir de la paroisse l’habitation de l’Eglise sur un territoire et à n’imaginer qu’à partir de la paroisse l’inscription de l’Evangile dans un espace humain donné, conclut-il, on ne prépare pas la nouvelle évangélisation qu’on appelle par ailleurs de tous ses vœux». (apic/be)

7 mars 2012 | 17:36
par webmaster@kath.ch
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