«Les religions monothéistes ont toujours eu deux faces»

Fribourg: Débat au FIFF sur l’image de l’islam en Occident

Fribourg, 30 mars 2012 (Apic) Après les assassinats commis par Mohamed Merah, le «tueur au scooter», dans la période du 11 au 19 mars 2012 à Montauban et à Toulouse, l’islam est une nouvelle fois associé au terrorisme. C’est pour tenter d’élever le débat que le Festival International de Films de Fribourg (FIFF) a proposé le 29 mars un échange sur l’image de l’islam en Occident. Il s’est appuyé sur une série de films produits en Europe et illustrant cette problématique qui fait débat en France, en pleine période électorale.

Le FIFF, dans sa section Décryptage, propose chaque année de se pencher sur un thème de société. Il veut développer une réflexion sur la manière dont le cinéma aborde les grandes questions de son époque. Cette année, le Festival a choisi l’islam en Occident. Cette religion est une nouvelle fois sur la sellette, particulièrement en France, où certains politiciens font de l’abattage rituel et de la viande «halal» un thème de campagne électorale.

Il faut sortir des caricatures actuelles de l’islam

C’est «La Désintégration», du réalisateur français Philippe Faucon, incarné notamment par Rachid Debbouze, le petit frère du célèbre Jamel Debbouze, qui a servi à lancer les débats. Ce film, souligne Thierry Jobin, le nouveau directeur du Festival, préfigure en quelque sorte ce qui s’est passé à Toulouse. Il relève que des musulmans de Fribourg l’ont abordé dans la rue pour le remercier de cette initiative qui devrait permettre de sortir des caricatures actuelles de l’islam.

Dirigée par le journaliste Eric Hoesli, directeur éditorial des publications d’Edipresse et spécialiste du Caucase, la discussion était animée par les réalisateurs Yasmina Adi, une Française née de parents algériens, auteure de «Ici on noie les Algériens», et Rabah Ameur-Zaïmeche, également d’origine algérienne, et auteur du «Dernier maquis». A la table était également présent le professeur Mariano Delgado, doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg. Ce dernier déclare d’emblée que depuis toujours, le rapport entre Orient et Occident, entre islam et christianisme, a été marqué par une alternance de méfiance et d’idéalisation.

Le christianisme a, lui aussi, connu des pathologies

Reconnaissant que dans l’histoire, le christianisme a, lui aussi, connu des pathologies – croisades, guerres de religion, inquisition -, il souligne que les religions monothéistes ont toujours eu deux faces. La promotion des Droits de l’Homme montre un autre visage des religions. Depuis longtemps, notamment depuis le Concile Vatican II, l’Eglise parle de liberté religieuse. «La laïcité est un produit de la pensée européenne, de la pensée occidentale, comme l’égalité des sexes, la liberté religieuse et la séparation de la religion et de la politique». Il remarque que l’idée de laïcité est plus difficile à faire passer au Maghreb ou au Proche-Orient.

Se définissant comme sans religion, «mais respectant toutes les religions», Yasmina Adi déplore la diabolisation actuelle de l’islam et la stigmatisation des musulmans, qui sont régulièrement une cible dans la campagne électorale. Depuis une quinzaine d’années en France, on ne s’adresse plus à elle de la même manière.

On lui demande désormais: «Mlle, vous êtes musulmane ?», alors qu’il ne viendrait à l’idée de personne de demander si quelqu’un est catholique ou protestant… «Cela me choque qu’on m’interpelle de cette manière. Avant, on me demandait peut-être ma nationalité». Rabah Ameur-Zaïmeche dénonce de son côté la double morale de l’Occident, qui pactisait hier avec les fondamentalistes islamiques combattant la présence soviétique en Afghanistan. Les puissances occidentales ont choisi d’avoir les «pires alliés, les plus obscurantistes», insiste-t-il, en mentionnant les monarchies du Golfe. Mais il y d’autres islams que celui des wahhabites d’Arabie saoudite, que ce soit en Asie ou en Afrique noire.

L’islam est une réalité plurielle

Mariano Delgado constate, lui aussi, que l’islam est une réalité plurielle. C’est une religion qui n’a certes pas de hiérarchie formelle, mais tout de même des théologiens influents. A eux de «purifier l’islam» des pathologies qui ont également marqué le christianisme dans le passé. Et à eux de montrer que le «djihad» est d’abord un combat intérieur, une démarche spirituelle, pour éviter que ce concept devienne une expression fanatique «qui emprisonne le cerveau des hommes».

La lutte pour la justice prônée par l’islam est légitime, insiste-t-il, mais elle ne devrait pas appeler à la violence, comme l’a fait, en février 1989, l’ayatollah Khomeiny, qui a émis une fatwa réclamant l’exécution de Salman Rushdie. Une invitation adressée à tous les musulmans. «Il serait impensable pour les chrétiens, aujourd’hui, que l’Eglise lance une telle condamnation à mort!»

Les religions doivent s’installer dans la modernité

Rabah Ameur-Zaïmeche est d’avis que l’on utilise trop souvent la religion comme prétexte. Avec la mort des idéologies autrefois dominantes, c’est une réaction des minorités opprimées qui instrumentalisent l’islam pour lutter contre l’injustice en Palestine, en Afghanistan, en Irak. «L’islam sert alors d’instrument pour la rébellion, et il est aussi utilisé par les Américains comme en Afghanistan du temps de l’occupation soviétique». La Suisse n’est pas non plus à l’abri de la manipulation de l’islam, comme on l’a vu lors de la votation sur l’interdiction des minarets.

A ce propos, Rabah Ameur-Zaïmeche affirme que les musulmans n’ont pas réellement besoin de minarets pour leurs lieux de prière. Et de lancer un appel pour qu’ils soient, eux aussi, «plus humbles et moins arrogants, car ici, les minarets sont ressentis comme quelque chose d’agressif». Il pense cependant que s’il y a des craintes face à l’islam dans la population des pays occidentaux, c’est aussi parce que la foi chrétienne s’est affaiblie.

Le professeur Delgado souligne qu’en Suisse, comme dans d’autres pays européens, la foi ne se vit plus que sur le mode privé, alors que les musulmans n’ont pas peur de manifester leur foi de façon ostentatoire. «Ce n’est qu’à Fribourg que l’on peut encore rencontrer des dominicains ou des franciscains se promenant en habits religieux dans la rue, on ne voit plus cela à Genève!» Alors que l’Eglise catholique a fait un grand effort pour se définir dans la modernité, affirme-t-il, l’islam a encore du chemin à faire pour se débarrasser de certains anachronismes et pour trouver sa place dans la modernité. (apic/be)

30 mars 2012 | 12:48
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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