La restauratrice Christine Baeriswil travaille sous l'oeil attentif de Mgr Morerod | © Manuela Matt
Suisse

Les tableaux gardent aussi des cicatrices

En octobre 2020, des coups de couteau ont endommagé un tableau des Rois Mages dans la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg. Le tableau a été restauré pendant des semaines. Juste à temps pour l’Epiphanie. Il brille d’une splendeur nouvelle, mais une cicatrice demeure.

Raphael Rauch kath.ch / traduction et adaptation Maurice Page

«Ce vandalisme me rend très triste», relève Mgr Charles Morerod. L’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg était en visite à l’atelier Olivier Guyot à Romont (FR). Sur une grande table se trouvent le grand tableau des Rois Mages. Les balafres au couteau commises en octobre dernier par un inconnu sont bien visibles.

«Il y a probablement quelque chose qui ne va pas chez l’auteur de cet acte de vandalisme. J’espère qu’il trouvera de l’aide»

Charles Morerod

La police avance à tâtons. «Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à faire cela ?» se demande Charles Morerod. L’évêque ne se préoccupe pas seulement du tableau. En tant que chrétien, son attention se porte également sur l’auteur du délit: «Il y a probablement quelque chose qui ne va pas chez lui. J’espère qu’il trouvera de l’aide».

Du vandalisme, au centre de Fribourg, au cœur de la cathédrale? «C’était comme si j’avais été poignardé. J’étais furieux et en colère», a déclaré Claude Ducarroz, ancien prévôt du chapitre cathédral après la découverte le 18 octobre, par le sacristain Pierre Feraut, du tableau endommagé.

Melchior Paul von Deschwanden a peint les Trois Rois Mages

Le tableau en question est «L’Adoration des mages», situé dans le collatéral nord de l’église. Commandé en 1868 au peintre de Suisse centrale Melchior Paul von Deschwanden (1811-1881), il représente Gaspard, Melchior et Balthasar dans l’étable de Bethléem avec l’Enfant-Jésus.

Pour Stanislas Rück, chef de service des biens culturels de Fribourg, sa restauration n’est pas facile. «Le tableau peut être réparé dans une certaine mesure. Mais sa substance est irréversiblement endommagée. Les coupures seront toujours visibles – peut-être pas pour les profanes, mais certainement pour les spécialistes. C’est malheureux».

Presque la même chose qu’avant

La cathédrale de Fribourg et ses œuvres appartiennent au canton. C’est donc Stanislas Rück qui a chargé le consortium Guyot-James d’effectuer la restauration du tableau. Les restaurateurs le confirment: Malgré un travail millimètre par millimètre, une cicatrice restera visible. A distance, cependant, il ressemble à ce qu’il était.

La restauration d’une toile est une oeuvre de chirurgien Atelier Olivier Guyot | © Manuela Matt

«J’aime ce tableau», note Charles Morerod. «Je trouve encore aujourd’hui le message des Rois Mages très inspirant.» L’Evangile, ne parle d’ailleurs pas de rois, mais de mages, c’est-à-dire de savants, venus d’Orient. «Je trouve passionnant que les gens se tournent vers Dieu par esprit de recherche scientifique.»

Travailler comme en salle d’opération

Dans l’atelier de Romont, la restauratrice Christine Baeriswil se penche sur le tableau munie d’une seringue. C’est ainsi que la toile doit être réparée. «La poussée du couteau a endommagé la couche de peinture. Je suis en train de réparer un endroit avec des fils de lin supplémentaires et de la colle», explique-t-elle.

L’atelier ressemble à une salle d’opération. «Il ne faut utiliser que très peu d’adhésif. C’est pourquoi je travaille avec une seringue. Presque comme un chirurgien». La chirurgie artistique se poursuit. «Il faut beaucoup de patience. Nous travaillons avec de la poudre de polyamide. Elle fond au contact de la chaleur et nous aide à fixer la toile. Mais nous devons être très prudents. Si c’est trop chaud, nous détruisons les fragments».

«Le processus de restauration est quelque chose d’intime. Cela a quelque chose à voir avec la proximité, avec l’intensité, avec le toucher».

Christine Baeriswil, restauratrice

Pour elle, ce travail est très particulier. Généralement elle s’occupe des craquelures qui se produisent en raison de l’âge de l’objet «C’est la première fois que je travaille sur une fissure aussi grosse.»

L’Adoration des mages a retrouvé sa place à la cathédrale Saint-Nicolas | © Georges Scherrer

La vision de la restauration, comme celle du travail artistique, est souvent romancée. Mais celui qui observe Christine Baeriswil au travail se rend compte qu’il faut une concentration totale et un savoir-faire parfait. «Le processus de restauration est quelque chose d’intime. Cela a quelque chose à voir avec la proximité, l’intensité, le toucher. Dans ces semaines de travail ‘en commun’, on s’habitue à la peinture. Elle fait partie de l’atelier. Cela me fait mal de rendre ce tableau. C’est comme si quelque chose manquait soudainement». (cath.ch/kath.ch/rr/mp)

Paul Melchior von Deschwanden, autoportrait 1850

Paul Melchior von Deschwanden

Né à Stans dans le canton de Nidwald, en 1811, Paul Melchior von Deschwanden étudie d’abord le dessin à Zoug puis à Zurich avant d’entrer à l’académie des beaux-arts de Munich (1830). Après un séjour à Lausanne pour apprendre le français (1835–1836), il retourna dans sa ville natale jusqu’en 1838-1840 où il partit étudier à l’académie du dessin de Florence. Après avoir rencontré le mouvement artistique dit des Nazaréens formé au début du XIXe siècle par un groupe de peintres des pays germaniques, il décida de consacrer son travail artistique à la peinture religieuse.  Pour certains de ces contemporains, en prenant cette décision le peintre aurait gâché son talent. Lui même d’ailleurs ne reniait pas totalement ce jugement, estimant avoir un rôle missionnaire (il restera d’ailleurs célibataire). «Je peins pour les esprits pieux, pas pour les critiques», disait-il.
De retour en Suisse, il reçut d’abord une commande pour faire les retables de la chapelle St. Pierre de Lucerne. Il développa alors son propre style avec des compositions simples et claires, des visages expressifs et une technique lisse. Deschwanden réalisa vraisemblablement plus de 2’000 œuvres, dont une majorité de retables d’autels. Il domina ainsi le domaine de la peinture religieuse en Suisse pendant presque quarante ans. Ses œuvres furent bien accueillies, tant par les catholiques que par les protestants. Il vendit également ses tableaux à l’étranger. On en retrouve encore aujourd’hui dans des églises aux États-Unis par exemple. Il inspira largement les autres peintres religieux après lui. Ses sujets, faciles à comprendre, se répandirent massivement sous la forme d’images pieuses reproduites par chromolithographie, assurant ainsi sa notoriété. MP

La restauratrice Christine Baeriswil travaille sous l'oeil attentif de Mgr Morerod | © Manuela Matt
10 janvier 2021 | 17:00
par Rédaction
Temps de lecture: env. 4 min.
Partagez!